lexa & curtis « nothing left but the memories [FLASHBACK]

nothing left but the memories

Lexa & Curtis

Il y a déjà quelques semaines que je suis revenue au Clan des Bois. Il ne fait plus froid, mais chaque minute qui passe ma glace le sang. Je suis nerveuse, je sursaute à tout bout de champ. J’ai l’impression que le danger est imminent, que je ne vais pas pouvoir y échapper, encore une fois. Avec l’unification, c’est moins probable, mais d’autres menaces règnent encore. Il y a les Faucheurs, il y a les gens de la Montagne, ces bêtes qui se tapissent dans l’ombre. J’ai l’impression que chaque mouvement est risqué, je reste immobile. Je me sens inutile, inexistante. Je ne suis même plus capable de m’approcher d’un cours d’eau. Je me lave avec les seaux d’eau qu’on m’apporte, j’ai besoin d’aide pour tout. Alors qu’avant, j’avais un but, maintenant je ne sais plus quoi faire de mon corps. Je n’ai pas touché à ma lance depuis mon retour. Je crains que son seul contact me transperce. Je dois me ressaisir. Je ne veux pas être un fardeau que l’on traîne tant bien que mal. Lexa est là, elle a besoin de moi. J’ai besoin d’elle. Elle ne me parle plus comme avant. Je ne lui en veux pas. Je ne suis plus là même, de toute manière. Mon sentiment d’attachement pour elle commence à reprendre de la force. Parce que j’ai dû le réprimer dans la Nation des Glaces, il revient plus fort que jamais. La glace qui recouvrait mon cœur commençait à fondre, mais sous sa carapace épaisse il est en mille miettes. J’ai mal, je souffre et je ne peux rien faire. Je ne peux pas oublier, je ne peux pas retourner en arrière. Parfois, j’envie Costia. Parce qu’elle n’est plus là, parce qu’elle peut reposer en paix. Je dois vivre avec tout ça et je ne sais pas comment. J’ai besoin d’aide, mais je suis incapable de le dire. Je ne parle pas beaucoup, encore moins qu’avant. Je ne sais plus quoi dire.

Je suis assise sur mon lit. Enfin, celui que l’on m’a désigné. Je sais que la nuit approche, que le soleil a entamé sa descente. Je tremble. Je ne veux pas y faire face, encore une fois. Je ne veux pas passer encore une nuit à guetter le moindre bruit. J’ai déjà brûlé toutes les torches qui étaient à ma disposition, la lune est ma seule source de lumière. Le problème avec la lune, c’est qu’elle créer des ombres denses et noires. J’ai peur de ce que je ne peux pas voir. J’ai peur de ce qui m’attend. Je suis épuisée, mais mes yeux restent grand ouverts. Je voudrais pleurer, évacuer toute cette nervosité qui me ronge, mais je ne peux pas. Il y a des années que les larmes ont coulé. Mon corps ne sait plus comment, il a appris à les ravaler, à les faire disparaître complètement. Le jour où elles couleront à nouveau, ce sera un premier pas vers la guérison. Pour l’instant, mes yeux sont plus secs que le désert.

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Lexa & Curtis

On frappe contre la porte de bois, ce qui me fait sursauter. Mes réflexes sont plus rapides que mes pensées et déjà, je me réfugie au fond de la pièce. Je vois l’ombre qui se dessine sous ma porte, menaçante. Je n’ai aucune raison de croire qu’on me veut du mal, mais la peur est ancrée en moi. Je m’en veux déjà d’avoir réagi si fortement. Je ne réponds pas, mais la porte s’ouvre tout de même, révélant le visage de Lexa. Elle s’empresse de me rassurer que ce n’est qu’elle, personne d’autre. Une vague de soulagement parcourt mon corps, mais ça ne dure pas très longtemps. Maintenant qu’elle est là, j’ai peur qu’elle s’en aille. J’aimerais pouvoir lui dire, pouvoir lui demander de rester, mais j’en suis incapable. J’arriverais peut-être à dormir, si elle restait à mes côtés. Elle s’approche et accroche sa torche au mur. La lumière de la flamme créée des ombres dansantes sur son visage. Ses traits sont durs, sa mâchoire crispée. Son regard se veut rassurant, mais il reste tout de même froid. Je reconnais la force en elle, mais elle a perdu cet éclat qui lui allait si bien. Ce n’est pas surprenant, après ce qu’elle a vécu. On m’a dit que la tête tranchée de Costia lui avait été envoyée. C’était cruel, inhumain. On partage la même douleur, mais elle survit alors que je meurs. Je n’ai plus d’énergie, je n’ai plus de volonté.

Lexa s’approche et me dévisage. Elle veut savoir comment je vais, si je tiens le coup. La réponse est bien évidente, sans que j’aie à dire un mot. Des cernes profonds encadrent mes yeux, je ne dors plus beaucoup. Mon corps est frêle et maigre, résultat de la famine des derniers moi. J’essaie de manger, mais souvent, j’ai le cœur à l’envers. Je ne suis plus capable de fonctionner correctement. J’ai l’impression d’appartenir à un autre monde, j’ai l’impression qu’ici je n’ai plus ma place. J’aimerais être capable de lui parler. J’aimerais être capable de faire sortir toutes ces voix qui envahissent mon esprit, qui jacassent sans arrêt. Je n’y arrive pas. Je reste silencieuse. Je ne peux pas lui mentir et dire que tout va bien, je ne peux pas non plus lui expliquer toute l’étendue de ma douleur. Toujours figée au fond de la pièce, je me déplace lentement vers elle et reprends place sur mon lit. Je n’ose pas la regarder. Je ne veux pas qu’elle voie la faiblesse qui se glisse dans mes yeux. J’ai été si forte, si capable. J’ai honte de ne pas pouvoir me contrôler. Je ne suis plus à la hauteur.

Je sais qu’elle ne m’en veut pas, qu’elle n’est pas aussi sévère que je le suis avec moi-même. Pourtant, je fais face au commandeur, dirigeante, guerrière. Je me sens petite et inutile. « Je ne dors pas beaucoup. » Ma voix est morne et dépourvue d’émotion. Je ne suis plus capable de montrer quand j’ai mal, l’indifférence est ma nouvelle arme. C’est ce que j’ai appris à la Nation des Glaces. Une façon de ne pas souffrir, de ne pas ressentir. Une façon de se rendre invincible, d’être imperméable aux épreuves. Maintenant, c’est pire encore. J’ai tellement mal et personne ne peut s’en rendre compte. Je ferme la porte à clef, je me cache. Je nourris mes démons.

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Lexa & Curtis

Lexa se pose près de moi et triture les couvertures. Elle semble inquiète, troublée. Forcément, elle ne sait pas quoi dire. Elle ne sait pas quoi faire pour me rassurer, pour m’aider. Franchement, je ne le sais pas non plus. J’ai envie de crier et de me taire en même temps. Le silence écorche mes oreilles, rendant chaque petit bruit insupportable. Je tends l’oreille, aux aguets. Je ne suis pas capable d’arrêter, je ne suis pas capable de souffler. Lexa est à mes côtés et même si sa présence m’apaise, elle ne suffit pas à me soulager complètement. J’ai du mal à voir l’effet de ma voix monocorde sur elle. L’expression sur son visage est difficile à lire, je ne possède plus la clé pour déchiffrer l’encryptage. Lorsqu’on était enfants, c’était si facile. Un simple regard et je devinais ce qui se tramait derrière. C’était si facile. Je me perds un instant dans mes souvenirs d’enfance qui me font plus de mal que de bien. Je sais que je ne peux pas retrouver cette innocence, qu’elle est perdue à jamais. J’ai beau chercher, les ruines de mon cœur ont tout effacé. Lexa propose de rester avec moi et je dois contrôler l’impulsion qui me traverse le corps. Je veux me réfugier dans ses bras, me faire bercer, me faire border comme une enfant. Je veux sentir sa main frotter sur mon dos, sa voix chuchotée à mes oreilles. Mais je ne fais rien. Je reste là, immobile. Je n’ose même pas croiser son regard. J’ai peur de m’y perdre, de baisser ma garde. Mon cœur veut tout laisser aller, mais ma tête est sur le pilote automatique. Ne rien ressentir, ne rien laisser paraître. J’ai vécu tant d’années à tout réprimer que je ne sais plus comment faire autrement. C’est ce que je suis devenue. Un cadavre avec un cœur de pierre, une épave à jeter à la poubelle. Mes sentiments sont forts, mais les larmes ont oublié le chemin vers mes yeux. Je ne dis rien. J’attends.

Lexa doit sentir ma réticence, elle propose d’aller marcher dehors. Mon corps se crispe. La nuit est tombée et la seule pensée de l’extérieur me fait frissonner. Je suis incapable de me calmer à l’abri, éclairée, je n’imagine pas faire face à toutes ses ombres qui n’attendent que ça, une proie. « Non. » Mon ton est dur, ma voix plus forte qu’il ne le faut. Je m’en veux déjà. Je ne veux pas rester seule et pourtant, je fais tout pour l’être. Autodestructive. Je n’ai pas assez de ces démons qui me hantent, je me retourne contre moi-même. Je tourne finalement la tête vers Lexa, l’implorant du regard. J’essaie de parler, de forcer les mots, de dire quelque chose, n’importe quoi. C’est physiquement impossible, une boule se bloque dans ma gorge. « Reste. » À peine audible, murmuré et pourtant si difficile. J’espère qu’elle a entendu, je ne peux pas le répéter. C’est déjà trop. Mon regard se retourne vers mes mains posées sur mes cuisses. Je ne sais pas quoi faire de mon corps. Mes derniers contacts humains étaient ceux de la torture. Je ne connais plus la tendresse, la douceur. Tout ce qui me touche me brûle, me blesse.

Sans y penser, mes mains se portent à mes cheveux qui sont longs et ondulés. Enfant, je les portais courts, au niveau des oreilles. C’était une décision tactique, pratique. À la Nation des Glaces, j’ai dû les laisser pousser. Parce qu’il faisait froid, que les vents soufflaient de tous les bords. Tant de choses ont changé. Je ne sais pas ce qui m’effraie le plus. Les démons du passé ou l’incertitude du futur. Je pense à demain et j’espère que Lexa sera toujours là, à mes côtés

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Lexa & Curtis

Lexa bouge, se repositionne. Pendant un instant, j’ai peur qu’elle se lève pour partir. Je ne veux pas rester toute seule. Je ne veux pas passer la nuit éveillée à tout observer, tout écouter. Pas encore. Pourtant, elle reste assise et une nouvelle vague de soulagement parcourt mon corps. Ce sentiment d’apaisement qui libère mes épaules, qui allège mon corps. Ça ne dure pas longtemps, comme à l’habitude, mais ces quelques secondes de liberté me donnent un peu de force. C’est grâce à elle, Lexa. Parce qu’elle est là alors qu’il n’y a personne d’autre. Parce qu’elle est à mes côtés alors que je la repousse, que je reste silencieuse. J’aimerais lui faire comprendre que sa seule présence m’aide, mais les mots restent dans ma tête, tourbillonnent dans mon esprit. Je ne sais pas si je serai un jour capable de parler, de tout dire, de me vider. J’ai l’impression que chaque heure qui passe rajoute un poids sur mon cœur et qu’il s’écrase lentement. Je ne sais pas comment me débarrasser de ces fardeaux, je ne sais pas comment oublier, comment accepter. Je ne sais même pas si c’est une possibilité qui existe.

Lexa parle de mes cheveux et je les lâche brusquement. Je ne veux pas attirer son attention sur mon apparence. Parce que mes cheveux encadrent un visage frêle et fatigué, mes mains sont squelettiques et fragiles. Je me concentre sur le début de sa phrase, sur les premiers mots qui sortent de sa bouche. « Je t’aime. » Ce n’est pas ce qu’elle a voulu dire, pas exactement, mais c’est tout ce que je veux entendre, tout ce que je veux comprendre. Je lève de nouveau les yeux vers elle. Son visage est tendu, incertain. Elle hésite. Elle propose de me faire des tresses et encore une fois, une pulsion me pousse vers elle. C’est de plus en plus fort, de plus en plus désespéré. Mon corps me supplie de céder, d’aller vers elle et ma tête refuse fermement. C’est un combat intérieur, un conflit qui me prend toute mon énergie. Je dois affronter les dangers de l’extérieur tout en me battant avec moi-même. J’en ai assez. Je me sens faiblir. Je hoche la tête, d’un mouvement presque imperceptible. C’est le mieux que je peux faire pour le moment. Les muscles qui contrôlent ma gorge et ma bouche sont crispés, immobiles, ils ne laissent rien passer.

Elle dit qu’elle passera la nuit avec moi. Ce n’est pas une question, mais plutôt une affirmation. Elle ne me donne pas le choix et je la remercie intérieurement. J’ai parfois l’impression que ce lien qui nous unit est plus fort que les mots, que les gestes. Après toutes ses années, je ne comprends toujours pas pourquoi c’est elle que j’ai choisie. Pourquoi c’est à elle que je me suis présentée cette journée-là. La seule chose dont je suis certaine, c’est que je ne le regrette pas. Je me tourne dos à elle, lui donnant accès à mon épaisse chevelure. J’appréhende le contact de ses mains, je ne sais pas comment réagir. Lexa me demande si je veux parler et je retiens mon souffle. Oui, c’est ce que j’ai envie de lui crier. Le silence remplit la pièce. Un sentiment de désespoir et de colère m’envahit. Je ne sais pas comment faire pour briser ce silence que me hante, je ne sais pas où elle la clé pour tout débloquer, je ne sais pas et ça me ronge. J’ai peur qu’elle croie que je ne lui fais pas confiance, j’ai peur qu’elle se sente inutile dans tout ça. J’ouvre la bouche et me racle la gorge. Un couinement se fait entendre. C’est le mieux que je peux faire pour le moment.

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Lexa & Curtis

Lexa me dit d’attendre. J’attends et je ne me retourne pas. Je l’entends bouger derrière moi. Je la vois déposer un morceau d’armure sur le lit, plié soigneusement. Peu à peu, elle se débarrasse de son rôle de commandeur. Peu à peu, elle se découvre. Je ne sais pas si la Lexa que j’ai connue jadis existe encore. S’il y a encore une petite parcelle, une petite étincelle qui se cache au fond d’elle. Je pense que oui, je pense qu’elle se souvient encore de ce qu’elle était. Elle fait peut-être le choix de l’oublier, de le cacher, mais je sens que c’est encore là. Au moins un peu. Sinon elle ne serait pas là. Sinon, je serai encore seule dans ma misère, dans mes cauchemars. Un espace se forme entre ses jambes et je m’y glisse rapidement. Si je réfléchis trop, mon cerveau prend le dessus et je reste immobile. Mon corps est tendu. J’appréhende son contact, la suite des choses. J’ai peur de perdre le contrôle. J’ai peur que ses mains sur ma peau déclenchent quelque chose qu’il me serait impossible d’arrêter par la suite. La colère, la rage, la peur… J’ai l’impression que je vais exploser. Pourtant, lorsqu’elle effleure une mèche près de mon visage, rien ne se produit. La tension cesse de monter, mais elle ne descend pas. Je me sens flotter, comme sur un nuage. Comme si le temps s’était arrêté. Comme si je devais profiter du moment présent, apprécier, vivre. Un sentiment étrange m’envahit. Mon cœur s’accélère, je panique. Je ne sais plus quoi faire, je ne comprends pas ce qui se passe. J’ai envie de partir, courir, m’enfuir. Tout pour rejeter l’émotion qui gagne mon cœur. Je ne suis plus équipée pour y faire face, ma carapace s’effrite et mes fondations s’effondrent. L’eau s’amasse aux coins de mes yeux et je tremble. Une seule larme parvient à couler sur ma joue. Je ne comprends plus.

Lexa ne semble pas le remarquer, et c’est tant mieux. Je ne tiens pas à ce qu’elle me voit pleurer. Ce serait bien une première, pour elle et pour qui que ce soit d’autre. Depuis la Nation des Glaces, je n’avais pas versé une seule larme. Je ne sais pas si c’est un signe de faiblesse ou de force. Mon cœur se pince, mais le soulagement m’envahit. Ces émotions contradictoires m’épuisent, je ne sais pas où me diriger, ni même quoi faire. Lexa me rassure, essaie de diriger la conversation ailleurs. Ses mains glissent dans mes cheveux, attrapant des mèches çà et là. Plusieurs larmes ont coulé et se tiennent maintenant en équilibre à la lisière de mon menton. « Je ne sais rien de ta vie de commandeur… Raconte-moi. » Son quotidien m’intrigue. Les tâches qu’elle doit accomplir, les décisions qu’elle doit prendre. C’est grâce à elle si l’alliance des clans a eu lieu. C’est grâce à elle si je suis encore en vie. Sa force m’impressionne. Après Costia, après tout ça, je n’arrive pas à saisir ce qui la pousse à avancer. Ce qui lui donne le courage de continuer. Je me retourne vers elle et j’essuie mes joues d’un revers de la main. Je ne tiens pas à m’exposer de cette façon, mais je veux la regarder. Je veux voir son visage lorsqu’elle me parle. Voir les expressions se dessiner sur ses traits. Je tente un sourire qui se réduit en grimace, incapable de sauter les étapes. J’aimerais tant tout oublier, tout effacer. La guérison est trop lente.

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Lexa & Curtis

Mes yeux sont fixés sur le visage de Lexa. J’observe, comme à mon habitude. Je tente d’oublier l’humidité de mes joues et j’amène mon esprit ailleurs. C’est difficile de me détacher de ce qui me tourmente, je n’y arrive pas vraiment.  Je me demande même si j’y arriverai un jour. Si mes traumatismes se sont encrés en moi et façonnent maintenant ma personnalité. Si chaque parole est modelée par la peur, la colère et la tristesse. Je suis partagée entre le passée et le présent. J’entrevois la petite file que j’ai un jour été, celle qui s’entraînait avec Lexa à Polis. Elle était déterminée et courageuse. Elle ne parlait déjà pas beaucoup, mais ce n’était pas à cause des séquelles qu’elle portait sur son cœur. Puis il y a Curtis, la reine des neiges. Celle qui n’arrivait pas à exprimer ses émotions. Celle qui ne pleurait pas, qui ne riait pas. Celle qui avait un cœur de glace et un visage fermé. Maintenant, je suis celle qui a enduré toutes les tortures. Qui à peine à dormir la nuit tombée, qui panique à la vue d’un cours d’eau. Chaque version de moi-même peuple mon cœur et je ne sais plus où donner de la tête. Revenir à tout prix en arrière? Retrouvée le sourire que j’affichais jadis lors de mes entraînements? Elle était peut-être plus heureuse, mais elle était beaucoup moins sage. Beaucoup moins expérimentée. Je ne peux pas effacer de ma mémoire les choses que j’ai vues, les choses que j’ai faites. L’innocence, c’est comme la virginité… Une fois qu’on l’a perdue, on ne peut plus la retrouver. On ne peut plus revenir en arrière. J’ai passé tant de temps à refouler toutes ces émotions, à les ranger, pêle-mêle dans les tiroirs de mon esprit. Ils sont remplis à craquer, ils cherchent à s’ouvrir. Pour une fois, pour la première fois en plusieurs années, ils ont enfin réussi. Je ne peux pas dire que ça me soulage complètement. C’est libérateur et douloureux à la fois. J’ai l’impression que tout n’est que douleur. Réprimer ses sentiments, douleur. Exprimer ses sentiments, douleur. Le plus simple serait encore de ne rien ressentir, d’être un véritable bloc de pierre. Nous ne sommes pas ainsi faits.

Lexa prend la parole, sa voix douce résonne à mes oreilles. Je sens qu’elle s’est assagie avec le temps. Les trémolos de sa voix d’enfant ne sont plus là. Je sens le contrôle et le calme, il n’y a pas de place pour la fragilité. Elle me raconte comment elle a été choisie par l’Esprit, comment elle a dû passer des épreuves. Elle n’élabore pas plus sur le sujet et je ne pose pas de question. Ma curiosité naturelle me tiraille, mais je me retiens. Épreuve, le mot le dit, c’est éprouvant. Je ne veux pas imaginer les choses qu’elle a dû faire, autant pour devenir commandeur que pour le rester. Tout comme je n’ai pas envie de lui partager ce que j’ai vécu à la Nation des Glaces, ce que j’ai dû faire pour me faire accepter parmi eux. Ni l’une ni l’autre avons la conscience tranquille. Existe-t-il vraiment une telle chose? Existe-t-il une personne dans ce bas monde qui n’a aucun regret, qui n’a rien à se reprocher? Mais de savoir que notre douleur est universelle ne suffit pas à l’amoindrir. Ça met un poids de plus sur le dos de l’humanité. Nous avons survécu à la destruction de la planète entière et encore maintenant, la mort est présente et le sang coule. « Ça ne me surprend pas non plus. » J’étais de l’avis d’Anya. Lorsque j’avais appris l’entrée en poste de Lexa en tant que commandeur, la surprise ne s’est pas manifestée. Son humilité est seulement une preuve de plus qu’elle était faite pour ça. Je ne sais pas si c’est une bonne chose, après tout. D’après ses dires, être commandeur semble être très ardus et je ne peux que la croire. Elle parle pourtant d’entrainements, et pendant un instant je crois voir une lueur d’amusement dans son regard. Les entrainements ont toujours fait partie de sa vie, que ce soit en ma compagnie à Polis, ou ensuite avec Anya. Peut-être était-ce ce qui lui permettait d’avancer, cette activité familière qui la ramenait aux souches. Il y a si longtemps que je me suis entraînée. Des mois ont passé où j’étais enfermée dans le noir, où on me sortait pour me torturer. Je ne me souviens plus de la sensation de mes muscles actifs, cette sensation qui semblait me libérer pendant un instant. Je dois m’y remettre. Je ne réussirai pas à avancer si je ne mets pas le pied dehors. Je ne réussirai pas à avancer si je m’enferme moi-même, si je refuse de laisser aller mon corps. Il est traversé de pulsion que mon esprit ne cesse d’ignorer, je me sens estropiée. « Je dois reprendre les entrainements. » Les mots sortent plus facilement, mais le sujet est autre. Ma voix est un peu plus douce, mais toujours aussi ferme. La légèreté me semble étrangère. « J’utilise la lance, principalement. La dague à double lame m’est aussi très utile. » Bien des choses s’étaient produites depuis notre séparation. Je sais que Lexa utilise l’épée, celle qui est accrochée à sa taille.

Lexa se mord la lèvre est fait une pause. Elle semble perplexe et je ne comprends pas très bien pourquoi. Peut-être se demande-t-elle sur quoi continuer, quoi dire ensuite. Elle sent que le silence doit être meublé. C’est là que je me rends compte que depuis quelques minutes je ne porte plus mon attention aux bruits extérieurs. Je ne guette plus ce qui se passe hors de la pièce, je ne crains plus l’extérieur. Le seul fait d’y penser me remets aux aguets, mais je me console en me disant que tout n’est pas perdu. Si je suis capable d’arrêter, ne serait-ce qu’un instant, c’est que c’est possible, non? C’est que je serai capable de vivre ma vie sans cette paranoïa qui m’entoure? Je soupire. Je ne sais pas. Je n’ose pas espérer, imaginer ce qui s’en vient. Lexa évoque le manque. Celui qu’a causé son départ de Polis, mon départ pour la Nation des Glaces. « Tu regrettes, parfois, d’être commandeur? » Ce n’était pas vraiment une question à poser et je retiens mon souffle.  Éviter d’évoquer le regret, le passé, c’est ce que je tentais de faire depuis qu’elle avait posé les yeux sur moi. Mon esprit me joue des tours, me pousse dans des directions que je ne veux pas entreprendre. Tout comme mon corps me pousse toujours plus près de Lexa, toujours plus près d’une étreinte. J’ai l’impression qu’on se bat, à savoir qui aurait le dessus. Le corps, le cœur, le cerveau. C’est le conflit intérieur. Lexa se remet à tresser, et je tourne la tête, je contemple le mur. Je recule et j’avance, j’avance et je recule. Ça me donne le tournis.

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Lexa & Curtis

Lexa me propose que l’on s’entraine ensnemble. La pensée me plaît comme elle m’effraie. Nous avions l’habitude de nous entraîner ensemble lorsque nous étions plus petites, à Polis. C’était bien différent de maintenant, comme tout semblait l’être. La notion d’entraînement était moins chargée de sens, moins lourde. On voulait s’améliorer, aiguiser nos sens et nos réflexes. Maintenant, on s’entraîne dans le but de combattre, d’attaquer, de faire la guerre. Le lien est direct et bien présent. J’ai envie de voir les progrès qu’elle a réalisés. De voir son agilité, les mouvements de son épée. Je ne doute pas en ses compétences, elle n’est pas devenue commandeur en mangeant des pommes. J’ai peur de ne pas être à la hauteur. Nous avons certainement évolué dans différentes directions, la lance ne se compare pas avec l’épée. L’une implique le contact au corps à corps alors que l’autre garde ses distances. Ça n’utilise pas les mêmes muscles, les stratégies sont différentes. Lexa mentionne qu’elle trouve les lanciers exceptionnels et je ne peux m’empêcher de rougir. Je ne suis plus habituée aux compliments, à l’admiration. Je n’y ai jamais été vraiment habituée, à vrai dire. J’ai réussi à me démarquer par mes talents de stratège, ma discrétion, mais les compliments n’étaient pas chose commune à la Nation de Glace. Les paroles échangées étaient froides et avaient toujours leur utilité. On ne parlait jamais pour rien dire, on réservait notre souffle pour les choses plus importantes. Je garde encore cette habitude qui semble vouloir m’empêcher de parler à ma guise. J’essaie de briser peu à peu la glace. Je sens que j’y arrive, presque. J’ai déjà créé une entaille, il ne reste plus qu’à l’agrandir. Ça semble plus facile déjà, non? Je ne sais pas. « Je suis certaine que ma précision ne peut égaler la tienne. La lance est puissante, c’est vrai. Mais l’épée montre beaucoup plus de force, de maîtrise de soi. Tu as su garder ce qui te va le mieux. » Les mots coulent de ma bouche comme l’eau coule dans la rivière. C’est rafraichissant, je me sens moins crispée, moins coincée. Je sais que c’est la présence de Lexa qui m’apporte peu à peu cette facilité. L’idée de perdre son contact instaure un sentiment de panique en moi. J’essaie de chasser cette pensée de mon esprit. Elle ne pourra pas rester avec moi indéfiniment. Je devrai me débrouiller toute seule, bientôt. « J’aimerais te voir lancer des couteaux, ça m’aidera peut-être à m’y remettre doucement. Je ne peux pas rester là, sans rien faire. » Même si c’est ce que je désire parfois le plus. Mais je ne le dis pas, parce que j’essaie de me convaincre du contraire.

Lexa semble bien concentrée sur les tresses qui embellissent maintenant ma chevelure. Ce n’était pas chose courante, à la Nation de Glace. Les cheveux étaient portés très longs, très épais, pour se protéger du choix. On n’y portait pas une grande attention. Comme une crinière de lion qui se créer naturellement, sans artifice. J’aime cette distinction chez les Trigedakru. Comme le maquillage de guerre, les tresses aident à créer cette illusion de force, d’importance. Comme ces bijoux qui décoraient autrefois les reines et les rois. Lexa exprime ses regrets et une vague de compassion me traverse. Je n’ai jamais prétendu que la vie de commandeur puisse être facile, mais la boule qui se créer au fond de mon estomac n’en est pas moindre. Les regrets sont vicieux, ils nous hantent. Ils sont toujours là, terrés au fond de nos esprits. Quand on n’y pense plus, ils surgissent, s’amusent à nous rappeler la réalité du passé. Ma question a trouvé une réponse et je regrette presque de l’avoir posé. Je ne veux pas amener Lexa vers ces souvenirs toxiques. Je veux rester dans le moment présent. Celui qui nous unit, celui où ses mains s’occupent dans mes cheveux et où les larmes arrivent à couler sur mes joues. Lexa soupire, je sens son souffle dans mon cou. Elle lâche finalement la tresse et m’entoure de son bras. Je ferme les yeux et me concentre sur son contact. Sa peau est douce et chaude, réconfortante. J’ai peine à résister et je me laisse aller contre elle, ma tête se pose dans le creux de son épaule. Je ne sais pas si c’était son intention, mais ça m’importe peu, maintenant. Je profite de l’étreinte pendant qu’elle dure. Des moments comme ça, parmi les membres de la tribu, ce n’était pas courant. Je me sens choyée. « D’accord. » Ce n’est pas beaucoup, seulement un mot. Mais c’est une promesse en soit. La promesse d’avancer, de s’appuyer, de s’aider. S’il y a une chose que je ne regrette pas, c’est d’avoir suivi mon instinct, cette journée-là. Cette journée où un nouveau visage m’a fait tourner la tête, cette journée où j’ai laissé les pulsions de mon corps me guider. Cette journée où je me suis laissé charmer par le sourire de Lexa.

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Lexa & Curtis

C’est vrai, Lexa n’a jamais pu voir me battre avec la lance. J’y songe un moment et j’en conclus que c’est mieux de cette façon. Parce que la lance, même si c’est une arme puissante, c’est à la Nation des Glaces que j’ai appris à m’en servir. Elle fait partie de mon identité là-bas, chose que Lexa ne connaît pas et que, je l’espère, elle ne connaîtra jamais. Parce que la Curtis qui régnait dans ce monde froid n’est pas celle que j’ai voulu être. Elle est dure et froide, les émotions lui passent par-dessus la tête et son cœur est gelé, impénétrable. C’est une façon de vivre sans douleur, sans joie et sans peine. Ce n’est pas une façon de vivre. Et ces sacrifices que j’ai pu faire, je ne les referais plus. Parce qu’à la fin, ils m’ont torturée, anéantis. Après tout ça, après des années à s’assurer de ma force et de ma détermination, ils m’ont tout enlevé pour ne laisser qu’un fantôme de moi-même. Un être fragile qui sursaute au moindre bruit et qui craint la noirceur. Je suis partagée entre toutes ces versions de moi-même qui se sont entremêlées lors de ces nombreuses journées passées seule, enfermée. Lexa ne connaîtra pas cette version de moi, cette froideur qui pouvait émaner de mes pores. Le seul spectacle qui peut s’offrir à elle, c’est celui de mon âme brisée. Alors oui, l’entraînement à la lance pourra ramener certains côtés de cette espionne hors pair. Les bons côtés, je peux l’espérer. Est-ce que la force vient automatiquement avec la froideur et l’indifférence? Est-ce que c’est possible de même séparer les deux, après tant d’années à les avoir associées? Je ne peux pas le prédire. Puis, elle me promet une démonstration de son lancer de couteaux. Ça me fait bien plaisir, même si les coins de ma bouche restent immobiles. Le sourire ne veut pas apparaître sur mon visage. J’ai envie de la voir à son meilleur, de voir ce qu’elle a pu accomplir jusqu’à maintenant. En tant que Heda, mais aussi en tant que Lexa. Peut-être que ça suffira pour aller chercher cette force qui me manque. Pour contrer cette faiblesse qui ne semble pas vouloir me quitter. Pour retrouver cette motivation qui me semble maintenant bien inconnue.

L’étreinte est réconfortante. Maladroite, peut-être. Comme avec tous les Trigedakru, le contact est habituellement violent et non tendre. Les embrasses se font rares et courtes. Avec Lexa, ça dure un moment. Un moment où elle me murmure à l’oreille que nous avancerons ensemble. Un moment ou nos corps se pressent un peu plus l’un sur l’autre. J’aime sentir sa peau sur la mienne douce et chaude. C’est un contraste surprenant avec la pierre froide qui m’a écorché la peau lorsque j’étais enfermée. Il m’aide à oublier les blessures physiques et les blessures mentales. Je ne veux plus la lâcher, mais je sais que ça ne peut pas durer bien longtemps encore. Parce que toute chose est éphémère, peu importe l’importance qu’on lui accorde. La douleur aussi est éphémère, même si elle semble bien ancrée en moi. Je dois le croire. Mes yeux commencent à fatiguer, la force dans mes muscles faiblit. Mon corps veut dormir, il n’en peut plus de toutes ces nuits blanches. Et Lexa propose de dormir. Un sentiment me force à me détacher d’elle, à acquiescer. Je ne veux pas dormir, mais la fatigue est forte. Mes peurs, mes inquiétudes sont moindres en sa compagnie et mon corps en profite. Il m’oblige à lui céder. Alors je m’allonge, tranquillement, à ses côtés. « Merci. » C’est le seul mot qui parvient à sortir de ma bouche avant que Morphée ne me prenne dans ses bras. Et pour la première fois depuis mon retour, je ne rêve de rien. Ma tête est vide et mon corps se repose. Lexa veille sur moi.