Lorsqu’on nous a annoncé le début de la bataille, cela faisait un mois que nous étions enfermés. Encagés. Torturés. Traqués. Aujourd’hui, je respire l’air libre de la forêt. Et je m’y sens plus en sécurité que jamais dans ma vie. Alors qu’elle est peuplée de créatures mutantes, de fauves sanguinaires et de grounders qui ne sont pas toujours très sympas. Mais là, maintenant, 4 jours après être sortie, je n’arrive toujours pas à retrouver mon calme. Bien sûr, je fais bonne figure. Harper va bien. Harper va toujours bien. Elle sourit, elle rigole, elle blague parce qu’elle est comme ça Harper. Mais en fait non. Non, pas du tout. Un mois enfermée pour une claustrophobe. Au début, ça avait l’air bien. Oui. Dans les faits, il n’y avait que les murs qui me dérangeaient. Qui m’oppressaient… Mais assez vite, il n’y a plus eu que ça. Il y avait des hommes, des femmes qui voulaient juste nous faire mal. En torturer 47 pour en sauver des centaines ? Non mais vraiment ?

Je cours. Cela fait quoi, une heure ? Deux heures ? Je ne sais pas. Mais j’ai mal. Mal à la hanche. Mal partout. Et ma fatigue n’aide pas. Mais je me sens mieux. J’ai l’impression d’être plus calme. Je fais une pause quelques instants, le temps de respirer, de retrouver mon souffle. Puis, une fois que ça va mieux, que je me sens un peu reposée, je me relève. Je ne suis pas perdue. De là où je suis, je sais retourner au camp Jaha. Oui. Le camp Jaha. Pendant que nous étions dans la montagne, l’Arche a atterri…. Enfin atterri… Il semblerait que cela soit plus compliqué que ça. Je n’ai pas encore vraiment demandé. Trop fatiguée. Trop chamboulée. Trop occupée à donner le change. A sourire. Encore et encore. Mais je vais le faire. Je vais demander. Parce qu’ils ont tous l’air inquiet. Mes amis. Il faut qu’on sache. On a le droit de savoir. Voilà. Rien qu’à penser à ça, je suis encore en rogne. Encore inquiète. Encore tout ce que vous voulez. Alors je m’approche du premier arbre que je trouve et je commence à le cogner. Comme on cognerait un punching ball. Droite. Gauche. Droite. Gauche. Coup de coude à droite. Coup de coude à gauche. Droite. Gauche. Droite. Gauche. Encore. Et encore. Sans me soucier de la douleur. Parce qu’au final la douleur, c’est ce qu’il y a de mieux. Se focaliser sur la douleur. « Aller Harper ! ». Droite. Gauche. « Ne fait pas ta mauviette Harper ! ». Gauche. Droite. « Ne sois pas une pauvre fille ! Tu es forte. Plus forte que ça ! ». Et je suis en colère. En colère de me sentir aussi faible. De me sentir comme une moins que rien. De ne pas pouvoir protéger mes amis en restant dans cet état.

Lorsque les mains se sont refermées sur mes bras pour m’empêcher de cogner, je panique un instant. Ce sont eux, ils veulent me reprendre, ils veulent sucer toute ma moelle osseuse. Je me débats alors jusqu’à entendre la voix de Jasper qui me parle. Je sursaute. Jasper. C’est Jasper. Alors je me calme. Je crois que je ne l’ai pas cogné. Je crois qu’il a réussi à me tenir suffisamment pour ne pas prendre de coup de coude. Mais je n’en suis pas sure. Dans la panique j’ai criée. Puis je me suis débattue. Comme une furie. Mais là, je suis calme. Essoufflée, mais calme. Enfin. Je ne bouge plus, c’est déjà ça. Puis, lorsqu’il me lâche, je me tourne pour le regarder et je lui dis : « Excuse-moi… Tu m’as fichu la trouillle… ». Non, je crois que trouille, ce n’est pas assez fort. Mais j’essaie de faire bonne figure. C’était plutôt de l’ordre de la terreur. Peut-être même encore plus. Je jette un œil à mes mains. Je pense que je n’ai aucun doigt de casser. Ou peut-être que si, je ne sais pas trop. Mais elles sont ouvertes en tout cas. J’ai laissé du sang sur l’arbre et de l’écorce dans mes plaies. Ce n’est pas spécialement beau à voir. Mais je m’en fiche. Durant un instant, je me suis sentie mieux.

Je le regarde un moment avant de me rendre compte que je dois répondre parce qu’il doit s’inquiéter, me prendre pour une folle, songer à m’achever maintenant, avoir envie de tout faire en même temps, je ne sais pas trop. Alors je lui dis : « Si, si… Ca va… ». J’accompagne mes paroles d’un geste qui se veut désinvolte : je passe ma main dans mes cheveux en lui souriant à nouveau en demandant : « Et toi ça va ? Je ne t’ai pas fait mal ? ». Je sais qu’il a été bien amoché lui aussi. Alors je ne voudrais pas lui avoir ouvert à nouveau une plaie ou quelque chose du genre en me débattant. Mais il a l’air d’aller bien. Enfin. Dans les faits, moi aussi, j’avais l’air d’aller bien. Je retiens ma grimace puis je demande : « Qu’est-ce que tu fais par ici ? ». Ce n’est pas un reproche, juste une question. De la curiosité. Et un peu d’inquiétude aussi. Je ne peux pas m’empêcher de vouloir le protéger comme lui veut tous nous protéger. Il prend tellement soin de nous que parfois, il en oublie de prendre soin de lui. C’est mignon et agaçant à la fois. Il ne se rend peut-être pas compte de son importance pour nous ?

Il a l’air furieux contre moi. Je n’arrive pas bien à comprendre pourquoi. Je n’ai rien fait de mal, enfin il me semble. Puis, il me répond qu’il va bien. Mais j’imagine que c’est surement en partie vrai mais aussi en partie faux. Comme nous tous ces derniers temps. Mais c’est normal de traverser une telle période après ce que nous avons vécu. Cela ne durera surement pas. Mais les quelques jours qui vont suivre seront surement éprouvant pour nous tous. Il faudra faire avec le temps que ça va durer mais pas seulement. On ne traverse pas une phase de doute, de peur ou de tristesse sans se donner les moyens de la traverser. Il faut réussir à trouver une raison ou une façon de traverser cette période. Et pour le moment, je n’ai pas vraiment encore trouvé comment le faire. J’espère que Jasper a plus de chance de ce côté-là. La forêt semble tellement calme autour de nous que c’est perturbant.

Nous ne l’avons pas toujours connu comme ça. Jusqu’à présent, elle était plutôt hostile. Un territoire sur lequel nous n’avions semble-t-il pas le droit de nous trouver. Aujourd’hui, nous l’avons le droit. Mais avons-nous l’envie qui va avec ? Pour ma part, je ne sais pas. Lorsqu’il me prend les poignets et reprend la parole, je sens bien son agacement. Je fronce un peu les sourcils. Je peux comprendre qu’il se sente concerné par ce qui nous arrive lorsque ce sont des événements extérieurs, mais il ne peut pas nous protéger de nous-même. Il ne peut pas nous empêcher de tenter de trouver  un moyen d’accepter tout ça. Puis, il relâche mes poignets et se détourne en s’éloignant. Il me tourne le dos tout en s’éloignant de quelques pas. Mais je l’entends clairement me dire qu’il n’y croit pas. Jasper est perspicace. C’est un garçon brillant et malgré son apparente désinvolture, il est responsable. Mais il ne peut pas tout résoudre. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres. A la fois amusé et tendre. Je le trouve attendrissant. Même si je ne lui dirais pas de cette façon-là. A lui et à personne d’ailleurs. Je regarde mes mains et finalement, je le rejoins.

Je l’attrape par le bras avec fermeté mais sans serrer et je lui dis : « Ce n’est pas ta faute tu sais… ». Je lui souris puis je lui dis : « Ce qui est arrivé dans la montagne… Ou même ici… ». J’hausse un peu les épaules et je reprends : « Tu as tout fait pour nous protéger, vraiment tout ce que tu as pu et c’est bien plus que nous n’aurions pu espérer… Tu as été génial… ». Je suis sincère, je le pense vraiment. Tout ce qu’il a fait pour nous aider était vraiment génial. Je lui souris à nouveau puis je lui dis : « C’est normal d’aller mal après une telle épreuve. Il faut un peu de temps pour réussir à faire avec… ». Je sais que ça ira. Parce que j’ai vécu l’enfer sur l’Arche en me retrouvant enfermée dans une cellule pendant deux ans. Deux longues années. La souffrance du prélèvement de moelle osseuse était horrible mais la souffrance fini toujours par s’en aller. « Nous avons survécu à pire depuis qu’on est ici… Et puis, toi non plus tu n’as pas l’air d’aller si bien que ça… ». Je ne suis peut-être pas la seule à bien mentir finalement… Je souris un peu tristement, s’il y a quelqu’un qui a le droit d’aller bien, que je voudrais voir aller bien, c’est bien lui…

J’ai parfois du mal à saisir les motivations qui poussent les gens à agir. Ou ce qu’ils peuvent penser et ressentir. Mais ce n’est pas tout le temps. Et surtout, je suis moins bête que j’en ai l’air, même si les gens l’oublient facilement. Ils ne le voient pas. Ils ne voient que ce qu’ils veulent bien voir, ce qui les arrange. Ce qui m’arrange aussi, un peu dans le fond. Je ne sais pas vraiment si c’est un genre, une façon de me protéger, ou une façon de ne pas avoir peur. Mais c’est comme ça. Et parfois, je peux être surprenante. Il paraît. Et là, j’imagine les milliers de choses qui peuvent passer par la tête de Jasper. Et plus j’y pense, plus je me dis que c’est surement pour ça aussi que je préfère que les gens me voient comme une fille délurée et immature. Parce que ça m’arrange bien au final. Même si cela ne change pas le fait que je suis capable d’aider quand il le faut. Lorsqu’il me répond la première fois, je fronce les sourcils pour lui répondre : « Je suis… Quoi ? ». Je viens de réaliser. Il pense que je suis en colère ? Je penche la tête et je l’écoute continuer à parler.

Je l’écoute me dire que Bellamy et Clarke ne m’auraient pas laissée dans cette cage. Qu’ils m’auraient sortie de là avant. Que j’ai failli mourir. Que Monty a failli mourir. A Monty… Bien sûr… Quelle idiote… Monty était avec moi. Et ces deux-là sont au-delà de l’amitié. On ne touche pas à la famille… Je grimace un peu en l’entendant me dire ça. J’imagine qu’il doit encore plus se sentir coupable. Puis, il me répond qu’il va beaucoup mieux que moi et qu’il faut soigner mes mains. Je comprends bien que c’est un ordre, et ça me tire un sourire. Amusé le sourire. Parce qu’il reprend bien vite le dessus finalement. Mais je ne veux pas qu’il continue à penser de telles horreurs, c’est hors de question de le laisser se torturer avec ça alors je lui réponds : « Clarke et Bellamy ne nous ont pas sortis de ces cages… C’est toi… Si tu n’avais pas été là, nous serions surement morts… ».  Je le pense vraiment. Et d’ailleurs je lui dis : « Je ne suis pas en colère contre toi, mais si tu continues à penser des choses pareil, là je vais m’énerver et ça ne sera pas beau à voir… ». Ce n’est pas une menace en l’air. S’il continue il faudra vraiment que je le secoue.

Je le regarde menaçante quelques secondes avant de sourire à nouveau. « Tu sais ce qu’il y a de bien à ne prendre aucune décision importante ? C’est que je n’ai à me sentir responsable de rien… Alors finalement, je ne sais pas si tu vas vraiment mieux que moi… ». Je le regarde simplement. Je ne me sens pas coupable. Lorsque nous avons commencé à soupçonner les choses, nous avons tout fait pour découvrir ce qui se tramait dans la montagne. Et nous avons réussi à le savoir. Alors oui, je me sens mal parce que je me sens faible, idiote et ramollo, mais je ne me sens pas mal parce que je culpabilise. Et la culpabilité, c’est horrible. Se sentir responsable de ce que l’on fait, se remettre en question sur les choix que l’on fait, ça c’est horrible. Et ce n’est pas mon cas, au final. Puis finalement je lui dis : « A tes ordres chef mais si on te demande tu diras que j’ai cassé la gueule à une panthère, j’ai une réputation à préserver ! ». Je pouffe de rire à mes propres idioties.

Alors qu’il répond, je fronce à nouveau les sourcils. Et cette fois, je suis en colère. Parce que ce qu’il dit est faux. Je le regarde d’ailleurs en serrant un peu les poings agacée par ses paroles. Je peux comprendre qu’il se sente coupable ou qu’il ait l’impression de ne pas avoir fait les bons choix mais ça pour moi c’est trop. D’ailleurs je réponds bien vite sur un ton assez sec : « Clarke est partie… Quand elle a senti le danger elle est juste partie, elle nous a laissé derrière elle sans se retourner… Alors peut-être qu’elle a fait son possible pour nous sortir de là, mais en attendant elle n’était pas là quand on en a eu besoin… Toi si… ». Il peut bien penser tout ce qu’il veut mais ça c’est trop pour moi. Sainte Clarke par ci, saint Bellamy par là. Non, clairement non. C’est lui qui nous a tirés de ces cages. Je desserre les poings assez vite malgré ma colère parce que mes mains me font mal. C’est ce que je voulais dans le fond et je ne le regrette pas. Même si ce n’était peut-être pas la bonne méthode.

Puis, il me signale qu’il n’a pas peur. C’est tout le souci de ceux qui n’ont pas de responsabilité ou pas de charisme. Ils ne font pas peur. Ils ne sont pas considérés. Ce genre de réputation est toujours à double tranchant. Même s’il existe de rares personnes capables de voir au-delà, pour le moment Jasper n’est pas de ceux-là. Il faut dire que je ne me suis pas illustrée de brillants faits de guerre non plus. Inutilité quand tu nous tiens… L’histoire de ma vie : ne jamais réussir à trouver sa place. J’avais espéré en arrivant sur Terre que les choses pourraient changer. Je me rends compte aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Mais ce n’est rien. Le plus important est de vivre. De s’amuser. Et je compte bien recommencer à le faire. Alors je me contente de sourire en haussant les épaules. Cela importe peu finalement. Je le laisse me répondre qu’il va bien en grommelant, mais j’ai visé juste. Alors je ne retourne pas le couteau dans la plaie parce qu’il n’en a pas besoin. Mais au moins, il a conscience que j’ai compris. Et j’espère que s’il a vraiment besoin d’en parler il viendra me trouver. Même si j’en doute. Je ne suis guère qu’Harper…

Puis finalement, je réponds : « Je ne sais pas… Tu sais je préfère cogner un arbre que cogner un type, c’est moins dangereux… ». Je suis sérieuse. Il y a des moments quand on refoule trop où ça explose. On a beau tout faire pour tout garder à l’intérieur au bout d’un moment, il faut bien que ça sorte. Et dans ces cas-là, il faut bien trouver un moyen de le faire de la façon la plus douce possible. Ou du moins de la façon qui fera le moins de dégâts possibles. En l’occurrence, l’arbre ne m’en voudra surement pas, je ne l’ai même pas abîmé. Lui par contre, il ne m’a pas loupé le con. Je lui réponds : « J’aurais bien besoin d’une petite fête ! ». Je reprends tranquillement le chemin du camp en l’entraînant avec moi pour rentrer soigner mes mains. Les fêtes… ça me manque un peu dans le fond. C’était un bon moyen d’évacuer. Mais ici, les choses sont différentes. Mais je pourrais retrouver ces baies qui nous avaient fait planer pour en prendre de temps en temps, histoire de débrancher de la réalité…

Visiblement, il ne trouve rien à me répondre. En même temps c’est une bonne chose pour lui. Parce que l’entendre me dire une chose pareille m’a carrément mis en boule et il aurait peut-être pris une gifle. Enfin, difficile à dire. Je ne sais pas si j’aurais été capable de frapper Jasper. Je tiens trop à lui pour ça. Enfin, on ne sait jamais vraiment de quoi on est capable avant d’être en situation de le faire n’est-ce pas… ? « Bien sûr que je le pense… Tu nous as protégés, toi. Tu m’as sauvé la vie. ». Et j’insiste bien sur le tu. Parce que oui, c’est lui qui l’a fait. Personne d’autre que lui. Jasper s’est montré courageux et fort dans la montagne. Il s’est battu pour nous, pour nous protéger. Et ça, je ne l’oublierais jamais. Je ne peux pas me prononcer pour les autres évidemment mais en tout cas, je me sens redevable envers lui. Et puis je l’admire en quelque sorte. D’être resté, de nous avoir défendu. Bon, il n’était pas tout seul bien sûr. Une fois que nous avons compris, nous nous sommes tous soutenus pour nous défendre. Mais il était largement notre chef. Un peu comme une ancre. Une ancre qui ne s’est pas barrée au moment où elle a senti le vent tourner.

Puis, je lui réponds, beaucoup plus calme et apaisée : « Ca n’arrivera pas Jasper… Je n’ai jamais beaucoup aimé être en cage c’est viscéral… Mais je sais que ça passera, parce que franchement j’adore la vie… ». Je lui souris à nouveau touchée par ses paroles. Vraiment touchée par le fait qu’il me témoigne de l’attachement. Il me faut juste un peu de temps. Et de l’occupation. Je n’ai même pas besoin d’une raison de continuer. Parce que ce n’est un secret pour personne : j’adore la vie. J’adore être de bonne humeur, j’adore m’amuser. Alors oui, ça passera. Même si c’est un peu dur, parce que ma phobie des espaces clos ne m’aide pas à ce que ça passe plus vite. Et puis, je compte bien m’entraîner aussi. Pour me sentir moins faible. Pour pouvoir nous défendre si on cherche à nouveau à s’en prendre à nous. Oui, ça c’est un bon objectif. Alors je souris. Et lorsque je l’entends rire, je souris de plus belle. L’entendre rire c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup. Le rire est synonyme de bonheur la plupart du temps. De moments agréables. Même si ce ne sont que quelques secondes. Et quand il me rejoint en proposant son idée, je le regarde en comprenant très bien ce qu’il sous-entend alors je réponds : « En voilà une excellente idée ! ». Finalement, cet arbre était parfait. Parfait au bon moment, parfait en tous points. Du coup, j’avance un peu plus vite et je lui demande : « Et bien sûr, tu sais déjà où en trouver ? ». J’avoue que pour ma part, je n’ai pas vraiment pris le temps d’explorer l’Arche et le camp Jaha donc je ne suis pas encore très au clair la dessus. Mais je suis sure que lui l’est totalement.

Lorsqu’il me remercie, je me contente d’un signe de tête. Je ne vais pas continuer sur le sujet, je pense qu’il a compris ce que je pense de tout ce qui s’est passé. Et j’espère que ça l’aidera à aller mieux. Parce que je ne mens pas, ce sont les faits dans le fond, sans lui, je ne serais jamais sortie de cette montagne. On aurait prélevé toute ma moelle, puis, on m’aurait balancée dans les tunnels à moitié morte, j’aurais terminé entre les mains des faucheurs qui m’auraient tuée et dévorée. Alors, honnêtement, je suis heureuse qu’il ait été là. Je souris à nouveau, parce que je crois vraiment que derrière ce merci, il y a tout ça. Tout ce dont on vient de parler. Puis, il reprend la parole pour dire qu’il espère que ça passera vite et qu’il est désolé. Je lui souris de plus belle et je lui dis : « Merci. ». Et j’acquiesce à nouveau. Je ne sais pas si ça passera vite, mais en tous cas ça passera. Et le fait de le savoir aussi concerné et aussi désolé de tout cela, ça me rassure. Je suis vraiment touchée par son comportement, parce tout ce qu’il m’a dit. Et je crois que ça aide beaucoup à ce que je me sente mieux. C’est idiot, mais le fait de savoir que je ne suis pas seule, que quelqu’un s’inquiète pour moi à ce point, c’est rassurant. Mon sourire ne disparait pas.

Puis, il me propose de l’alcool pour désinfecter mes plaies. Les plaies physiques mais aussi les plaies de l’âme, j’imagine. Enfin… L’alcool ne fait pas toujours du bien mais pour une fois, décrocher, s’amuser, ne plus penser aux responsabilités, aux dangers et aux enjeux de la terre, ça fera du bien. D’ailleurs, il me dit qu’en effet il sait où en trouver et il me demande si j’ai peur qu’on se fasse chopper. Je pouffe de rire et je lui dis : « Déliquante un jour, délinquante toujours… ». Surtout pour ce genre de choses. Car je ne m’arrêterais probablement jamais de vouloir m’amuser et faire la fête. C’est un besoin, une façon d’évacuer la pression, de me sentir mieux, de pouvoir faire le reste. Même si les autres ne comprennent pas, ça m’est égal. Je suis comme ça et c’est tout. D’ailleurs je lui dis : « Qu’est-ce que tu as trouvé d’autres à part l’alcool ? Les cultures ont déjà repris ? Ou pas encore ? ». Je passe par-dessus un tronc couché en travers du chemin, puis je le regarde à nouveau. Je n’ai pas vraiment pris le temps de faire le tour du camp. J’avoue que je ne suis pas spécialement heureuse que l’Arche soit descendue. Même si nous étions en danger, même si la vie ici était rude, nous étions libres. Maintenant, les choses vont être différentes. Chacun devra à nouveau se trouver une place, se plier aux règles. Les adultes vont commencer à prendre leurs décisions, à ne plus nous écouter parce que nous ne sommes que des enfants. Et recommencer à nous dire : « Si vous voulez qu’on vous écoute, comportez-vous en adultes ». Ou encore nous considérer comme les délinquants qu’ils pensent que nous sommes. Et combien de temps s’écoulera-t-il avant qu’ils ne créent une nouvelle Skybox ? « Et tu sais ce que tu vas faire après ? Enfin, maintenant ? ».

Pendant que nous marchons dans la direction du camp Jaha, nous parlons de son super plan diabolique pour nous procurer de l’alcool. Et je dois bien dire que cette idée m’enchante. Nous en avons bien besoin tous les deux. C’est le moment de souffler, de décompresser. Alors ça me rend plus joyeuse, plus détendue. Et le simple fait de me sentir mieux m’en fait oublier la douleur de mes mains et tout le reste aussi : les cauchemars, les angoisses, et l’incertitude de l’avenir. J’ai hâte et il ne manque pas grand-chose pour que je gambade gaiement. Peut-être une forêt plus sure. Car même si l’alliance avec les grounders la rend moins dangereuse, il vaut mieux rester méfiant et être prêts lorsque le vent tournera. D’ailleurs Jasper reprend la parole et je ris un peu avec lui avant de dire : « Sans problème et cette fois je serais une super guetteuse ! ». Je souris en coin puis je souris tout court. La joyeuse Harper est de retour, même si j’ai l’impression que ça ne durera pas, j’en profite. Ma petite baston avec l’arbre m’a permis de décompresser, ma discussion avec Jasper d’être rassurée et son idée elle me rend vraiment joyeuse. Pour le moment, je compte bien profiter de tout cela !

Il me répond ensuite que c’est plutôt Monty le spécialiste des cultures et j’acquiesce un peu tout en répondant : « Je lui poserais la question alors, même si je ne suis pas sure qu’il ait la tête à penser à tout cela… ». J’ai l’impression que pour Monty non plus ça ne va pas très fort. J’essaie de veiller sur lui comme je peux, mais ma réputation me dessert parfois. Peut-être que l’idée de jeter un œil aux cultures lui rendre la bonne humeur ? Pourquoi pas il faut essayer ! Puis j’acquiesce à sa réponse silencieusement. Je suis plutôt d’accord avec lui. Je dois dire que je suis curieuse de savoir ce que l’avenir nous réserve mais entre les adultes et les grounders, j’ai l’impression que ça ne va pas être rose. Alors survivre, voilà. Ça sera déjà bien. N’est-ce pas déjà ce que je fais depuis toute petite ? Je ne vis que lors de mes petites fêtes improvisées, finalement. Et ces derniers jours, poussée par l’adrénaline de la liberté et du danger. Mais encore une fois, les choses vont changer. « Bien alors oublions tout ça le temps de quelques heures, il sera temps d’être sérieux demain… ». Le sourire mystérieux flotte sur mes lèvres quelques instants signifie clairement « Ou pas ». Enfin, il y a diverses façons d’être sérieux. Etre responsable ne veut pas dire cesser de s’amuser. Et maintenant que nous sommes libres, qu’il n’est plus question de gâcher l’air ou je ne sais quoi, je compte bien m’en donner à cœur joie ! Finalement, au détour d’un arbre le camp Jaha se profile devant nous ce qui me tire un nouveau sourire. L’impatience me guette et j’adresse un clin d’œil à Jasper avant de passer les barrières du camp pour y rentrer.