Would you mind ? - Ft. Cinzel.

La vie de la montagne avait repris depuis longtemps, il n'y avait presque plus aucune ombre au tableau, si on faisait abstraction de la surveillance renforcée de notre clan. Je m'étais calmée après les événements de la montagne, mais j'en voulais toujours aux grounders et aux skaikru de nous avoir mis dans une telle impasse. Je détestais voir leur visage souriant chez nous, je détestais les voir salir notre sol comme si c'était chez eux. Pour moi, ils avaient encore moins de respect que mon propre peuple que j'avais également bien du mal à supporter. Nous, nous n'étions pas des sauvages, nous étions des êtres qui tentaient de survivre entre sans embêter le monde autour d'eux. Moi, je ne suis qu'un pion parmi eux, jusqu'à ce que j'accède un jour à mon rêve : retrouver mon père. Les jours s'allongent et je me sens de plus en plus nostalgique de l'époque où j'avais tué ma mère. Certes, c'était une bonne chose, mais elle avait emmené son secret dans sa tombe. J'avais fouillé toutes ses affaires, mais je n'avais pas trouvé une seule trace de mon père.
« Mars, tu vas servir les repas aujourd'hui. Dépêches-toi, on t'attend. » Je soupire mais j'obéis, je change de blouse pour en mettre une plus propre, et je vais me placer derrière les comptoirs pour servir les repas. Je vois les gens défiler, et je les sers en souriant alors qu'au fond, j'en ai pas du tout envie, pas aujourd'hui. C'est le jour de l'anniversaire de ma mère, normalement, et ça me rappelle d'autant plus à quel point c'est elle qui m'a forcé à devenir cuisinière plutôt que chasseuse ou je ne sais quoi. Je remplis une autre assiette, je la donne, et la personne s'en va. Mais ce qui attire mon attention, c'est ce gars là, qui regarde plus la bouffe que nous autres cuisinières, en train de servir. Il prend une assiette, et là, mes yeux lui lancent des éclairs. Je l'observe. Il ne va quand même pas se servir tout seul ?! Eh bien si, on dirait. Je lui attrapais l'assiette des mains, et la louche pour le repas au passage. Rien à faire d'être brutale, j'ai bien vu qu'il n'est pas d'ici, de toute façon. « Oh, tu t'es cru chez toi ou quoi ? » Son impolitesse me rend complètement dingue, et j'aurais bien voulu lui envoyer son assiette à la figure. D'ailleurs, je ne le sers pas tout de suite, à quoi bon ? Je continue de lui cracher des injures au visage, attirant l'attention de certaines personnes au passage. « Je veux bien que vous veniez salir nos sols et bouffer nos repas, mais y'a quand même des limites ! » Il m'a un peu énervée, et disons que je n'ai pas du tout envie de lui rendre son assiette. Non, je vais le faire patienter, même si je me fais engueuler par la suite pour mon comportement.

Je sens que ma collègue la plus proche de moi pour le service est en train de tenter de se faire toute petite, honteuse du comportement que j'avais. Elle continuait à servir timidement d'autres personnes, mais bien sûr, à cause de l'imbécile en face de moi, il y avait un blocage dans le réfectoire. On nous regardait, peu discrètement d'ailleurs, et je pouvais imaginer qu'ils s'attendaient à ce que j'envoie la fourchette en plein dans les yeux de cet inconnu. J'entends quelques chuchotements, mais je ne fais pas attention, trop focalisée sur le blond. J'étais complètement sidérée par son comportement, je n'avais jamais vu ça de toute ma petite vie. Vraiment, il m'insupportait. C'était le premier à me faire ça depuis que je travaillais ici, donc ça avait de quoi m'irriter. J'allais répondre quelque chose, mais on commença à se plaindre que je faisais traîner les choses. Je me mis à servir des assiettes et à les donner à mon peuple pour qu'ils aillent manger tranquillement, puis je me tournais de nouveau vers l'autre imbécile, croisant mes bras sur ma poitrine. « Je refuse. » lançais-je en serrant la mâchoire. « Mars, je peux savoir ce que c'est que tout ce bruit ? » Manquait plus que ça, que je me fasse engueuler par la chef de service. Mais j'étais bornée, et je n'étais pas prête à le servir. J'avais déjà mis l'assiette de côté, et j'avais pris mon air le plus agacé possible. Sauf que cette fois, c'était pas un jeu, j'étais vraiment à bout de nerfs, surtout en voyant qu'il était complètement indifférent à ma colère. Je ne dis pas que j'aurais voulu qu'il réagisse, mais un peu quand même. Je soupire, et je lui envoie une nouvelle réplique cinglante au visage. « Je ne vous servirais pas. Je refuse. Donnez-moi donc une bonne raison de le faire. Vous êtes impolis, et vous n'êtes pas d'ici. Je peux demander à vous faire renvoyer pour user nos ressources. » Je n'en avais pas tous les droits, mais j'y pensais sérieusement, tout autant que je pensais à m'enfuir plutôt que de continuer mon travail. Je suis petite, mais coriace. On avait déjà abusé de nous avant, ma rancœur était tout à fait compréhensible, même si elle ne plaisait pas à tout le monde. Je n'irais pas non plus jusqu'à le tuer, mais je le laisserais volontiers crever de faim sur le chemin du retour, parce que je ne peux pas imaginer une seule seconde que je puisse le croiser dans la montagne dans la semaine qui vient.

Je pensais pas que ma journée serait aussi agaçante. Oui, des fois je regrettais que ce soit si calme, mais pas aujourd'hui. J'aurais voulu qu'on me fasse pas chier, qu'on me laisse tranquille. C'est le jour où j'ai pas envie d'être méchante, où je veux avoir la paix, pour ne pas venir me faire hanter par ma vieille mère. Parler d'elle me glace déjà le sang. Je suis sur les nerfs, j'ai envie de frapper tout ce qui bouge, et cet homme là, surtout lui. Je refuse de le servir, il dit rien, il se foutait vraiment de ma gueule. Tout le monde le sait, ce qui m'est arrivé, tout le monde pense que je pleure ma mère alors que non, c'est juste l'idée qu'il y ait un jour dans l'année où elle aurait eu un an de plus. Comme tous les ans, c'est le jour où j'ai pas envie de parler. Lui, il me fait dépasser mes limites, celles de mon calme. Ce qui m'agaçait le plus, c'était de voir que j'aurais exactement fait pareil à sa place. Alors je le regarde, il parle enfin. Il attrape le plat, et je le regarde, ahurie, incapable de faire quoi que ce soit pour l'en empêcher. Je serre la louche dans ma main, après une violente envie de lui fendre le crâne en deux. Je me retiens, parce que je ne veux pas avoir un jour dans l'année où j'ai à supporter tous les morts en même temps. Je soupire, je serre la mâchoire, mon regard s'est transformé en celui d'un monstre. Je ne l'entends même plus parler. Et alors que mes collègues ne savent pas quoi faire pour nous arrêter tous les deux, je les pousse, je passe de l'autre côté pour rejoindre le réfectoire. J'enlève ma blouse que je mets de côté, et je m'approche de lui furieusement. Il ose attirer l'attention et c'est moi qui vais me prendre les foudres dans tous les cas. Je serre le poing, et pendant qu'il a encore les mains libre, je lui cogne la mâchoire. Pas très fort, mais suffisamment pour qu'il la ferme. Petite, mais coriace. J'entends déjà des gens chuchoter, se plaindre de mon comportement d'hystérique. Autant jouer ce rôle jusqu'au bout. « Si je refuse de te servir, c'est parce que tu crois être chez toi, avec tous les droits, mais ici c'est pas le cas. C'est pas parce qu'on écoute vos chefs comme des toutous qu'on pense tous que c'est bien ! » Je l'observe, et là, j'me rends compte de ma connerie. Ce que je disais, ça ressemblait à une rébellion, c'était clair, je risquais ma peau. Mais je n'avais pas fait attention à la tenue qu'il portait, celle des archéens qui menaient des troupes de chiens pour nous livrer ce dont on avait besoin. Cette colère, elle venait de s'évanouir, au moment même où j'avais compris à qui j'avais à faire. Pourtant, je gardais la tête haute, si j'avais une conviction, je la défendrais jusqu'au bout. Je rajoute, tentant d'être un peu plus calme. « J'ai un boulot à tenir, tout comme toi j'imagine. Si tu me laisses faire le mien, je te laisserais faire le tien. » Je desserrais le poing, tremblant de rage mais aussi de peur. J'avais envie qu'on vienne me chercher en lui disant que j'avais des troubles mentaux depuis la mort de ma mère, ce qui m'excuserait, mais rien. On nous regarde, c'est tout, et j'ai juste à subir la vérité, alors que je suis enfermée dans le mensonge depuis des années.

Le souci principal, c'est que je n'ai pas fait attention une seule seconde à ce qui m'entourait. Même lui, je ne l'avais pas tant regardé que ça. Je m'étais focalisé sur son air impassible, et je n'avais pas pensé à jeter un coup d'oeil plus attentif à son costume. J'ignorais quel rang il avait dans son peuple, mais il faisait parti de ceux qui tapaient sur les autres, pas de ceux qui se faisaient taper dessus sans aucune raison. Je m'en étais aussitôt voulue de m'être laissée emportée. Je ne m'en voulais pas parce que je lui avais potentiellement fait mal, mais juste parce que je risquais mon poste et bien plus encore à cet instant. Cela devait se voir sur mon visage, ma stupéfaction, mon envie de me cacher dans un trou. Mais j'étais forte, et je restais là plutôt que de fuir comme une furie. Et il me tourna le dos pour poser le plat. Je déglutis, pensant que j'allais m'en prendre une. Au lieu de ça, il m'étala bien de la purée sur la joue pour m'humilier, c'était pire qu'une claque. Et il semblait content de lui. J'attrapais mon tablier et m'essuyait vaguement la joue, poussant un grognement de mécontentement en l'entendant s'adresser à ma chef, plutôt qu'à moi. Il ne m'avait pas parlé depuis tout à l'heure. Peut-être était-ce parce qu'il pensait avoir à faire à une gamine. Je soupirais, lui lançant un regard noir. La chef se mit à parler pour s'adresser à lui, lui disant de se dépêcher car il fallait que je retourne vite au travail. Agacée, je commençais à lever les bras en l'air pour protester, mais je les laisse retomber le long de mon corps aussi vite que je les avais levés. Parce qu'il était en train de me sauver la mise, ou alors, en train de me tendre un piège pour mieux me massacrer derrière. « Forcément c'est moi qui doit montrer le chemin ! » marmonnais-je, peu ravie de ce retournement de situation. Je croisais les bras sur ma poitrine en me mettant en route vers le couloir sans l'attendre. Ce n'est qu'un peu plus loin que je me stoppais pour lui faire face. J'étais furieuse, et hystérique. Et puis surtout, je n'étais pas rassurée de me retrouver seule avec un archéen dans un couloir. Je n'avais aucun moyen de défense, puisque je n'avais pas eu le temps de cacher comme à mon habitude un couteau dans ma manche. La mine boudeuse, je plante mon regard dans le sien d'un air déterminé. Ici, on ne nous entend plus, les portes du réfectoire se sont fermées derrière nous. « Hor de question que je te guide jusqu'à l'infirmerie. Peut-être dans une réserve où j'aurais de quoi me défendre si tu m'approches trop, mais pas là où tu polluerais l'air de nos blessés ! » Je garde les bras croisés, gardant une posture de défense. Même si je fais la fière face à lui, il faut avouer qu'au fond j'ai un peu la trouille. J'ai ce besoin de me défendre constamment, peu importe qui j'ai en face de moi. « Je peux encore t'étrangler si tu t'approches trop. » Je n'ai pas forcément envie d'être méchante, il n'a rien fait d'autre que de se servir tout seul parce qu'il n'a pas levé la tête, mais il ne m'en laisse pas le choix. Et puis, c'est surtout dans mes habitudes, d'être comme ça.

Une arme chimique, était-il en train de remettre en cause la dernière bataille ayant eu lieu ici ? Cette remarque me fit grincer des dents, je n'en revenais pas. Je préférais ne rien répondre. J'étais assez agacée comme ça. Et puis, ça n'aurait servi à rien, il aurait ri tout pareil. D'ailleurs, chaque rire qui lançait me désarçonnait un peu plus sérieusement. Je n'étais pas rassurée, ça se voit, et je ne cherchais pas à le cacher. Enfin si, j'essayais, mais j'étais complètement démunie de toutes mes armes, et c'était bien la première fois que ça m'arrivait. Non, je n'ai pas l'habitude qu'on me parle ainsi. J'ai l'impression que c'est ce qu'il a deviné, et qu'il joue avec ça, qu'il joue avec moi. Je l'insulte, je le menace, mais rien à faire, il semble totalement serein, et mes mots ne sont là que pour cacher le silence. Quand il se remet à parler, je fronce les sourcils, inquiète. J'aurais du m'arrêter là, m'enfuir et le laisser à son sort, mais je ne pouvais pas. J'étais quand même assez curieuse de savoir pourquoi il ne voulait pas me faire du mal. A quoi bon m'avoir emmenée ici, alors ? S'il avait voulu me violer ou me tuer, c'est vrai qu'il aurait pu déjà passer à l'action. Rien que cette idée me glaçait le sang, moi l'allergique aux humains en règle générale. La seule personne que je parviens à comprendre, c'est moi, et pas les autres. Eux, ils ne sont que des pions à manipuler, un peu comme des pions d'échec. Il suffisait d'une personne comme cet imbécile pour que je sois complètement perdue. Mais je n'allais pas pleurer pour autant, hors de question. Je faisais courageusement un pas en avant, et je pointais mon index sur son torse, plantant mon regard dans le sien.  « Alors pourquoi me faire quitter le réfectoire après m'avoir humiliée devant mon propre peuple ? Si tu es venu juste pour foutre le bordel ici, je te jure que je vais te démonter ta gueule. Je te déteste. » Je le poussais assez violemment, même si au départ ce n'était pas ce que je voulais faire. Je me sentais juste mal, j'avais besoin de prendre l'air, sinon, j'allais perdre le reste de mes moyens. Mon crâne me faisait déjà assez souffrir comme ça. Je soupirais, et pris mon visage entre mes mains pour stopper la migraine. Peut-être qu'il était chimique, finalement. Mais je ne restais pas longtemps comme ça, pour éviter qu'il ne s'approche trop de moi. Je relevais la tête, et je fixais l'autre bout du couloir, où les escaliers me mèneraient tout droit à la sortie. Je pourrais courir, aussi vite que possible et le semer, après tout, je connaissais les lieux comme ma poche. Je finis par tourner ma tête vers lui, le regard empli d'animosité, encore. Cette sensation ne passait pas malgré mes tentatives pour rester calmer. « T'attends quoi ? Parce que j'ai aucune excuse pour quelqu'un comme toi. » Mon ego, lui, n'était pas d'accord. Il voulait se racheter, mais depuis toujours, je le faisais taire. Je ne pouvais pas laisser quelconque sentiment d'empathie m'envahir, c'était trop dangereux, je risque de me brûler les ailes et de me faire avoir bien trop vite. Je soupire, et détourne le regard vers le mur en face de moi, me mordillant instinctivement la lèvre inférieure. J'allais exploser, c'était certain. « Tues-moi ou dégage. Te voir me rend complètement dingue, peu importe qui tu es, je veux pas le savoir. » Pour moi, être "dingue" voulait seulement dire que je plongeais dans la folie, dans l'hystérie. Il n'y avait rien de positif dans ce terme. C'était impossible, ça ne me ressemblait pas. J'avais même cette profonde envie de pleurer, mais là encore, je réservais mes larmes pour le jour où ce serait vraiment nécessaire, où j'aurais l'impression d'être au fond du trou, à la limite de la mort. Pour l'instant, ce n'était pas le cas, et je ne voulais pas qu'il se foute de ma gueule une nouvelle fois.

Je ne savais plus ce que je disais, je ne savais plus ce que j'étais en train de faire. Péter les plombs, ça, c'était certain, mais mis à part ça ? Au fond de moi, je pensais avoir la réponse, mais je la reniais. Parce que c'était dangereux, parce que je m'en voulais. Je n'étais pas faite pour la communication avec les autres. Je n'étais pas faite pour vivre en communauté non plus, et pourtant, j'étais là. J'avais préféré m'isoler, pour m'éviter de faire du mal aux gens. J'avais cette sensation, non, ce besoin de faire mal, pour extérioriser ma propre douleur. Oui, c'était cela. Ma mère m'avait insufflé une si grande peine qu'elle s'était retournée contre moi à la minute-même où je l'avais tuée. Le destin avait finalement décidé de me faire payer mes actes, et ce, jusqu'à la fin de mes jours, puisque je ne trouverais pas la paix avant. Les choses se sont aggravées pendant la bataille. J'étais spectatrice, tentant de fuir sa propre scène, pour ne pas se battre, pour ne pas laisser la folie l'envahir, alors qu'il était déjà trop tard. J'aurais du me battre comme tout le monde, mais non, j'avais été élevée derrière les fourneaux exprès pour ne pas avoir un destin trop sombre. On m'assurait une certaine sécurité en restant à l'intérieur, mais je n'en voulais pas. Tout ce que je voulais, c'était retrouver mon père.
« C'est pas toi que je déteste, c'est moi, c'est tout le monde en général ! » crachais-je avant de retourner à mes pensées. J'avais déjà tenu ce discours, avec ma mère, quand j'étais plus jeune. Elle ne comprenait pas, et moi, je continuais à hurler, à lui en vouloir de me cacher la vérité. Pourquoi tenait-elle tant à ce que je ne le sache pas ? Qu'est-ce qu'elle me cachait réellement ? J'avais bien un père, comme tout le monde, et s'il est mort, j'aurais préféré qu'elle me le dise plutôt que de s'en aller sans rien dire. Je l'aurais épargnée, mais on aurait dit que tout ce qui lui importait, c'était la mort, comme moi à cet instant, quand je le suppliais de me tuer. Je voulais juste tuer la saloperie qui sommeille en moi pour mieux réveiller mon ego, bien différent. Deux parties de moi se déchirent, tentent de prendre une plus grande place que l'autre. Non, maintenant, j'en avais la certitude, ce n'était pas le mensonge qui me rendait comme ça. Il fallait que je me calme, alors je prenais le temps de respirer un peu, observant du coin de l’œil l'arme à sa ceinture. Il avait la main dessus, avait-il hésité ? Je m'approchais encore, cette fois, j'avais une allure plus douce, je me sentais déjà un peu plus calme. « Je pense que la mort est plus douce qu'on ne le pense. Le plus dur, c'est pour ceux qui restent. Ils deviennent fous, hantés par les fantômes de ceux qui les ont tués. » Je posais ma main sur la sienne, qui était juste au dessus de l'arme. Je plantais mon regard dans le sien, presque comme un appel de détresse. J'avais besoin d'aide, j'avais besoin qu'on m'aide. Ce monde n'était pas fait pour moi, parce que je n'avais pas un seul allié. Le seul ami que j'avais pu avoir, je lui avais tourné le dos, et maintenant, j'étais seule. Les larmes aux yeux, ma voix se faisait déjà plus douce, suppliante. « Je veux plus vivre comme ça. Jasper me pardonnera. Je l'attendrais, j'ai tellement de choses à lui dire. Je ne peux pas me faire pardonner, j'ai été trop loin. » Ma voix partait dans les aigus, mais c'était seulement parce que j'avais la gorge sèche, j'avais mal. Je laissais mes genoux heurter le sol, désespéramment. Mes membres tremblaient déjà, mais je n'arrivais pas à pleurer. Je ne voulais pas tant que ça mourir, je voulais juste que ma mère fuit mes pensées, je voulais juste l'oublier, et oublier le reste du monde.

Je n'avais pas voulu crier, je n'avais rien voulu de tout cela. J'en étais arrivée là, parce que j'avais emprunté le mauvais chemin alors que j'avais encore la possibilité de me racheter. Je n'avais eu personne pour venir me dire d'arrêter ce que j'étais en train de faire. Ce fardeau, il me pesait sur le cœur, et le réduisait en miettes. C'était cela, qui m'empêchait de m'attacher aux autres. Je n'en voyais pas l'intérêt, je ne voulais pas être brisée de nouveau par des mensonges. Trop tard pour faire demi-tour. Il ne peut pas le savoir, bien sûr. Ma première idée est qu'il me déteste, pour me traiter ainsi, pour ne rien dire, m'humilier devant les autres, même si je l'avais bien cherché en lui assénant un coup puissant dans la mâchoire, dont je ne m'étais jamais rendue capable. Alors je m'approchais, pour tenter de le faire réagir, pour qu'il m'aide à sortir de cette passe douloureuse. Les pleurs, je les avais chassés de ma vie depuis bien longtemps. Ils n'avaient pas lieu d'être, je devais assumer, seule. Je retins mon souffle quand il m'attrapa le poignet, auquel je jetais un bref coup d'oeil. Mais contrairement à ce que je pensais, il ne voulait pas me faire de mal, ce contact, il était plutôt doux, alors que je me forçais à croire que tous les contacts humains étaient mauvais. Étais-je en train de perdre la tête ? Je ne devrais pas penser ça, il peut encore me faire mal. Mais je continue de parler, de lui exprimer mon désir de quitter ce monde. Je finis par me laisser tomber au sol, ses mots provoquant chez moi un coup fatal.
Ma mère avait-elle souffert ? Je préférais ne pas y penser, c'était inutile, elle n'était plus là de toute façon. Brûlée par les ondes. Je revois encore aujourd'hui sa peau se déformer, je revois les cloques pousser comme des champignons sur son visage larmoyant, et j'entends les cris de douleurs, les derniers qu'elle a pu pousser. Tout ça pour un désir égoïste de connaître mon père, ne voulant pas accepter le secret. Moi non plus, je n'ai pas envie d'accepter. Je sais que la route à faire est très longue. Je n'ai aucun indice sur mon père, j'ignore s'il est en vie, de quel clan il vient, s'il se souviendra de ma mère, s'il voudra me reconnaître comme sa progéniture. Il pourrait penser que je mens, et je n'aurais aucune preuve concrète qu'il est mon père biologique. J'en suis arrivée au point où j'oublie la présence de cet homme, où je me sens terriblement seule. Je comprends peu à peu que je ne le suis pas. J'implore la pitié, sûrement, et c'est la pire chose qui puisse m'arriver. Je refuse qu'on m'aide parce que j'implore ce drôle de sentiment. Il n'a rien de réel, rien de vrai. J'ai envie de prendre son arme, de la braquer sur lui pour m'assurer qu'il ne fait pas tout ça pour le simple fait de ne pas avoir mon suicide sur le dos. Je relève lentement les yeux. Wolfgang. Je l'observe d'abord silencieusement, parce que j'hésite, j'ignore si c'est une bonne idée de céder. Certains disent qu'il suffit de céder une fois pour recommencer encore plus facilement ensuite. Ce n'est pas mon but. Ce qui me donne envie de lui faire un peu confiance, c'est son nom. Il m'inspire le loup, une créature jadis vivant en meute, mais courageuse et pourtant solitaire. Il m'inspire une forme de liberté que je n'ai pas, parce que je ne connais pas l'extérieur, je suis piégée comme un rat ici, et le rat, il a beau manger dans les gamelles sales, fouiner où la mort se montrer, il finit toujours renié et écrasé. On ne l'aime pas. Je ne veux pas être un rat. « Cinzel... » murmurais-je, comme si mon propre nom devenait compliqué à porter. Je le regardais encore, me sentant moins seule. Alors, une question franchit mes lèvres. « Pourquoi tu t'intéresses à moi, après ce que je t'ai fait ? » Pour moi, il aurait du repartir, me laisser à mes cauchemars. « Je ne mérite pas qu'on s'intéresse à moi... » Je baisse les yeux, gênée. Je ne veux pas me faire d'illusions. Il n'est pas de la montagne, et même s'il m'a dit ne pas avoir apprécié ce que son peuple avait fait au mien, je n'avais aucun moyen de le vérifier. Mais je ne pouvais pas nier, qu'il avait fait naître en moi, cette volonté d'en savoir plus sur lui, pour ne plus être seule.