Cela faisait bien sept jours que la bataille avait eu lieu. Sept jours que le massacre avait eu lieu également. Quand c'est arrivé, la panique et la peur avaient réussi à m'habiter, malgré tout ce que j'avais pu vivre. Je croyais être le genre de personne à pouvoir supporter ce genre de pression mais je m'étais trompée fortement. J'y serais sûrement passé, moi aussi, si j'avais été aussi naïve que certaines personnes de la Montagne. Ils étaient tous facile à avoir. Un mensonge était si facile à leur faire gober... D'abord le "suicide" de ma mère, puis les mensonges avaient pris de l'ampleur, et j'avais joué auprès de certains Grounders pour me faire passer pour l'une d'entre eux. J'avais pleuré toutes les larmes de mon corps pour leur faire comprendre, surtout à l'un d'entre eux, un haut placé, que j'étais dans la montagne parce que mon père m'avait abandonné quand j'étais petite fille, et qu'il était retourné à son camp. Et aujourd'hui, je ne ressentais toujours pas de regrets ni de remords, et c'était ce qui m'arrachait des sourires imbéciles quand je marchais dans le couloir.
C'était assez dangereux d'y repenser en cet instant. Je pouvais croiser n'importe qui et être prise de nouveau pour une petite folle qui ne fait pas son boulot. J'ai un timing à respecter. J'ai les mains pleines de cartons, que je dois amener dans notre réserve à nous, cuisiniers, et il pèse au moins trois tonnes. Je m'apprête à faire une pause mais je sais que je n'en ai pas le temps. Je peste contre moi-même d'être aussi peu musclée, et comme pour confirmer le fait que je suis vraiment un trop petit poids dans cet univers, un crétin trouve le moyen de me percuter de plein fouet après avoir fait un demi-tour pathétique sur lui-même. « Je veux bien croire que je suis petite mais faut pas se foutre de la gueule des mountain men ! » grignais-je en lui lançant un bon gros regard noir, pour lui faire comprendre à quel point je n'avais pas de temps pour ce genre de moqueries. Oui, je faisais un mètre soixante, mais quand même ! J'étais une très blonde dans un lieu sombre, et j'avais du charme, on me remarquait, d'habitude ! Autant dire que j'étais grisée de voir à quel point je pouvais passer inaperçue. Mais quand j'observais de plus près les traits du jeune homme, je comprenais bien vite qu'il n'était pas du coin, et qu'il était complètement perdu ici. Bien sûr, je n'avais pas envie de lui venir en aide après ce qu'il venait de faire. Je posais le carton à mes pieds pour me dégourdir les épaules, et je vérifiais que les couverts n'étaient pas brisés. Heureusement, ils semblaient en bon état. Je me relevais, étirant mon dos en laissant la vaisselle à mes pieds. Au moins, ça me faisait une pause dans ma course, mais je risquais d'arriver en retard pour servir les repas. Je soupirais, croisant les bras sur ma poitrine et je le regardais en fronçant les sourcils. Il semblait tellement peu sûr de lui que ça me décontenançait. Je pensais que les hommes des environs étaient bien plus virils que celui-là. « Je t'en veux pas d'être un crétin fini, mais ne recommence pas. Tu viens d'où d'abord ? Et arrête de regarder tes pieds, je suis pas aussi naine que ça. » Je grimace. Je suis quelqu'un de désagréable naturellement quand on m'embête, et c'est ce qu'il a fait. Mon épaule me fait encore mal. Je marchais peut-être trop vite aussi, mais je refusais de m'excuser et de mettre la faute sur mon propre dos. Je me masse l'épaule doucement et je jette un coup d'oeil autour de nous. Heureusement, personne n'est là pour me voir maltraiter ainsi un inconnu. Et même si ça avait été le cas, ils avaient pris l'habitude. « Je vais être obligée de te demander un dédommagement pour me faire perdre ainsi mon temps. » Je souris malicieusement, d'un air presque angélique qui ne me ressemblait pas. Je n'allais pas me laisser faire, hors de question.

D'habitude, il n'y a personne dans ces couloirs, pour ne pas gêner notre chemin, à nous, pauvres cuisinières qui avons quelques fois des allers-retours à faire. Aujourd'hui, le destin a décidé de mettre un obstacle sur mon chemin. Je suis toujours d'aussi bonne humeur que d'habitude, en plus de ça, alors le pauvre obstacle va subir. Cela ne tarde d'ailleurs pas, mais le seul problème, c'est qu'il ne semble pas comprendre les insultes que je peux lui lancer au visage, bien au contraire. Il répond calmement, en me disant qu'il ne recommencera pas. Je suis un peu surprise que quelqu'un soit aussi calme, et ne réponde pas face à mes paroles un peu cinglantes. Si tout le monde faisait comme lui, ayant peur de se prendre un coup de ma part, je serais bien plus tranquille dans cette montagne et dehors, mais malheureusement, il faut quelques rebelles dans le système, qui doivent me faire payer mon comportement. D'ailleurs, je les déteste tous pour cela. Et puis, je me méfie quand même de cet inconnu qui m'annonce arriver de l'infirmerie. Je hausse les sourcils, jetant un coup d'oeil vers le couloir d'où il vient. Je n'étais pas au courant qu'on soignait des étrangers ici, mais soit, si c'est comme ça, je ne dirais rien et je suivrais le troupeau. Je hausse les épaules d'un geste désintéressé et je lui demande finalement un dédommagement. Je lui aurais bien demandé de me porter le carton, mais s'il était blessé, je ne devrais pas en avoir le droit. Je soupire, agacée par ces règles que les humains s'infligent, et je me mets à pester contre les sentiments humains, vraiment étranges et insupportables. Parce que du coup, je ne sais pas ce que je peux lui demander pour qu'il se fasse pardonner de m'avoir rentré dedans. Un court instant, je relève les yeux vers les siens, mais je ne parviens pas à formuler la phrase qui m'a traversé l'esprit. C'est une idée tout à fait incorrecte, mais si ça me permet de parvenir à mes fins, tant mieux. Il faut quand même que je pense que je vais donner mon identité à un grounder, et ça, c'est difficile à avaler. Je le regarde toujours, encore en train de faire face à un débat intérieur. Je finis par secouer la tête et reprendre le carton dans mes bras, parce que j'ai quand même du boulot à terminer.  « Suis-moi, je t'expliquerais en route. » Je me mets en marche et au bout de quelques minutes, on arrive dans la réserve. La porte se referme derrière nous, et je vais placer sur les étagères le carton que je porte avant de me retourner vers le probable allié que je pourrais me faire. Je souris d'un air malicieux en voyant sa tête complètement ahurie, faut dire qu'il a plus l'air d'une femme que d'un homme en cette instant, et je m'approche de lui pour lui lancer ma petite requête. Rien de méchant, juste de quoi parvenir à mes fins. « Quand tu vas rentrer chez toi, tu vas mener une quête pour moi, mais il va falloir que tu sois le plus discret possible. » Je fais une pause dans ma phrase, pour être sûre qu'il me comprenne, et je continue plus bas. « Mon père est dans l'un des clans de grounders, et j'ai besoin d'aide pour le retrouver. J'ai besoin d'un espion, en quelque sorte. Le seul truc qui me fait peur, c'est qu'à la moindre blessure, t'es capable de me balancer, et j'ai pas envie de me faire tuer, alors je veux une vraie preuve sur le fait que je puisse te faire confiance. Comment on fait, dans ton clan, pour conclure un marché déjà ? » Je fronce les sourcils, n'étant pas du tout renseignée sur les grounders. Ce que je faisais, c'était dangereux. Parce que je n'avais pas envie d'avoir un clan entier à mes trousses pour avoir cherché un père dans un autre clan. Ils pourraient trouver ça absurde, ou penser que je pourrais préparer une attaque, ce qui n'était évidemment pas le cas. Plus d'alliés j'aurais, mieux ce serait.