J'ai sacrifié ma vie pour Heda | Galaad

Mon enfance, je l’ai très peu évoquée, il faut dire que rares sont les personnes qui cherchent à me connaître davantage, je dois les compter sur les doigts de la main. Je ne vais pas m’en plaindre, cela reste difficile d’exposer ma jeunesse aux yeux de tous, de retirer cette armure pour dévoiler mes plaies et mes imperfections. Malheureusement, malgré une famille aimante qui a toujours voulu le meilleur pour ses enfants, la chance n’a pas souhaité nous accueillir dans sa maison. Il est douloureux de perdre un membre de sa famille et il l’est d’autant plus quand vous assistez, impuissant, à cette déchirure. Hélas, je n’étais qu’un enfant à l’époque, je ne pouvais la défendre, ni même la venger. Sa perte a été un coup dur pour père, mais agonisant pour mère. Inconsolables, je ne pouvais supporter de les voir se lamenter à chaque heure, implorant le ciel de leur rendre leur petite fille. Moi aussi j’ai souffert, en silence, au fond de mon être j’ai laissé couler les larmes et laisser la colère crier, mais j’ai toujours gardé ce masque de glace face à eux, je me devais d’être fort.

Père n’a pas pris la peine d’attendre que je vieillisse pour m’arracher au cocon du foyer. J’ai rejoint les rangs des apprentis sans avoir conscience des conséquences impliquées. J’étais l’instrument de vengeance, celui qui permettrait à mère et à père de soulager leur conscience et leur soif de sang. L’innocence, un mot qui ne m’est pas familier. On n’a pas le droit de l’être lorsque le cuir de l’arme épouse notre paume et que notre métal tranche la chair. Nous devons être efficaces, ignorer la dignité humaine et la compassion, nous sommes là pour tuer, pour éradiquer la menace. Cependant, mes supérieurs avaient eu un tout autre optique de mon avenir, ils ne me voyaient pas en première ligne, ils ne me voyaient pas rugissant de colère sur un champ de bataille, non. J’ai été entraîné, conditionné dans le but de servir et de protéger le commandeur.

Je dois avouer ma déception lorsque la vérité m’a été dite, je me refusais à l’idée de servir pareil personnage pour le restant de mes jours, je repensais à ma sœur et à cette vengeance que je ne pouvais assouvir. Je m’étais presque montré insolent, mais la discipline que l’on m’a enseignée restera à jamais bien plus forte que toute pulsion humaine. Mais ce poste -auquel je suis désormais assigné- n’est pas restée une injustice à mes yeux, non, toutes pensées négatives que j’ai eu envers Heda se sont rapidement dispersées depuis ce jour. La chasse, une activité qui qu’on m’a enseigné, que l’on ne doit pas prendre à la légère. Je me souviens de cette douleur cuisante qui avait mordu mon mollet avec tant de hargne que j’en avais senti les larmes couler. Les cris, les protestions restent brûlantes dans ma mémoire, j’ai réellement cru que ma vie se terminerait ainsi ; A crever de faim, la jambe déchiquetée par les crocs rouillés de ce piège à ours.

Mais Heda m’a sauvé, elle s’est opposée aux conseils avisés du reste de la troupe. Le bruit de cette épée qui m’arrache à ce piège, cette libération. Depuis ce jour, j’ai promis de donner ma vie à cette femme. Je ne me suis plus jamais plaint de mon avenir, ni même de ma vie. Père et mère, lorsque j’ai eu la chance de leur rendre visite, m’ont exprimé leur respect et leur fierté à me savoir aussi proche et aussi important désormais. Je garde à jamais les cicatrices et les maux de cet incident, mais je ne m’en montre pas moins efficace. Au diable la douleur, je me dois de rester debout et tant pis si j’aggrave mon cas.

Rien ni personne ne peut m’écarter de ma mission. Pas même ces gens du ciel. Ils ont réveillé en moi des peurs que je pensais oublier. Un jour, leurs armes métalliques ont craché des projectiles brûlants et mortellement efficaces, un cri infernal, ce raid s’est lié à ce boucan, je peine à ne pas montrer mon malaise face à pareille technologie. Ces hommes m’intriguent autant qu’ils m’inquiètent. Leur arrivée a provoqué des bouleversements dans notre monde et a fait naître des conflits nouveaux.

Je ne juge pas les choix de Heda, je les écoute et je les exécute, mais je ne peux m’empêcher de rester méfiant à l’égard de cette chef aux cheveux d’or. Heda se montre plus clémente à son égard, bravant les lois instaurées par nos anciens. Beaucoup se rebellent contre certaines de ses décisions et je m’en vois agacé. Je n’ai jamais ignoré le fait que le commandeur était une véritable visionnaire, mais le peuple du ciel a tout fait accélérer et nous voilà dans une situation délicate. Ils nous ont aidés pour la Montagne, certes, personne ne peut le nier, mais les tensions restent présentes. Mon métier devient difficile j’en ai peur, mais jamais le courage ne m’abandonnera.

J’ai suivi, je suis et je suivrai Heda jusqu’à la fin de mes jours, c’est ma mission, mais il s’agit principalement de mon choix. Je crois en elle et à tout ce qu’elle entreprend. Je me suis battu à ses côtés lors de la bataille de Kalawen, j'y ai reçu des blessures et des souvenirs atroces, mais je n'ai pas failli à ma mission. La morsure d'un de ces cannibales est toujours présente dans ma chair. Récemment, nous avons découvert d’autres étrangers venant du ciel, ils semblent avoir été captifs. Nous nous sommes mobilisés, soudés une armure pour venir à bout de cette félonie et de cette perversion qui s’est engouffrée dans la coalition. De notre alliance incongrue est née la fin de nos problèmes, la tête du serpent a été coupée. La bataille des grottes n'a pas laissé de marques visibles sur mon corps ni même psychologiques. Je me suis simplement battu afin de préserver la paix de ma tribu et celle de la coalition. Je n’en reste pas moins sur mes gardes. Je reste toujours à l’affût du moindre danger et du moindre idiot qui pense pouvoir l’approcher. Qu’il essaye et j’offrirai la tête de cet insolent sur un plateau d’argent.

Voilà les grandes lignes du garde du corps dont personne ne connaît le passé. J’ai toujours fait en sorte de me taire lorsqu’on vient à me poser des questions, parce que malgré cet entraînement perfectionné à mon égard, quelque chose manque cruellement à mon éducation. Le contact humain. J’ai eu la chance une fois dans ma vie de tomber amoureux. Elle s’appelait Nova, nous avions tous les deux quatorze ans à l’époque. J’avais fait d’elle ma promise, à mo grand retour je viendrai lui demander sa main. Hélas, jalouse à en crever de celle que je devais protéger, Nova m’a tourné le dos après un dernier ultimatum. Je suis revenu au village, le cœur battant, et c’est là que j’ai compris. Quand j’ai vu ce gamin traverser la place, le rire de son père et le visage radieux de sa mère. Il nous a suffi d’un simple regard pour nous reconnaître. Un seul regard pour souffler la maigre flamme présente dans mon cœur.

J’ai sacrifié ma vie à servir et protéger Lexa. Je suis son ombre, son bras tenant le glaive, sa machine de guerre. Et même si cette femme aux cheveux d’or que je me refuse d’appeler Clarke s’est présentée à elle, je n’en démords pas. Jalousie, protection fraternelle ou paternelle, je me fiche des raisons qui me poussent à rejeter cette femme, je me fis à mon instinct cette fois et j’en assumerai les conséquences.