Let Me Help You Kid || Raven

Ce bourdonnement incessant lui tapait sur le système depuis qu’elle avait la chance de fermer les yeux. Peut-être provenait-il de ces néons de bien piètre qualité qui éclairait le reste du logement, mais ces derniers étaient éteints à preuve du contraire. Alors qu’est-ce que c’était que ce merdier ? Ses yeux s’ouvrirent brusquement dans un grognement qu’on lui connaissait bien, elle n’aimait pas être dérangée dans son sommeil. Les draps furent jetés loin de son corps qui ne réclamait que chaleur et douceur, et ses pieds effleurèrent le sol. Une main vint chasser les mèches rebelles hors de son visage fatigué. « Je te jure que je vais les… »

Son regard digne de celui d’une tueuse en série assassina l’unique néon encore en vie dans la pièce avant qu’il ne vienne se poser sur son emploi du temps, chargé il fallait l’avouer. Qu’est-ce qu’elle en avait ras le bol de se tuer à la tâche pour des chiens dans leur genre. Elle se montrait bien trop clémente, mais bientôt, bientôt elle se vengerait. Son réveil semblait être dans le complot, il se mit à sonner pile au moment où elle se disait qu’elle ne pouvait pas commencer pire journée. Les cauchemars étaient revenus l’assaillir, le visage de son père continuait de se perdre dans cette toile noire sans fin, le cri de sa mère lui explosait les tympans comme toujours.

Seena était grognonne et ne comptait pas prendre les gens avec des pincettes aujourd’hui. Elle s’habilla prestement, réunissant sa longue crinière en une queue haute et rapidement faite, elle n’avait pas le temps pour le côté esthétique de sa personne. Une vérification supplémentaire et elle fut enfin prête à quitter les lieux. Ses pas résonnaient contre le sol métallique, son souffle semblait être le seul présent dans le couloir, sa silhouette se dessinait sur les parois des portes, étrange ombre faiblement éclairés par cet éclat fantomatique. Certaines personnes pourraient être incommodées par ce silence de plomb, cette absence de vie, mais pas la blonde. Elle préférait être en confinement plutôt que d’affronter le reste du personnel de l’Arche. Elle s’entendait certes bien avec les gens de son équipe, mais elle ne voulait faire le premier pas face aux autres, sauf si s’agissait de… Passons.

Le petit déjeuner fut un véritable délice de plâtre pour son palais désormais insensible à la nourriture qu’elle ingurgitait sans réel plaisir. La dernière cuillère avalée, elle salua avec enthousiasme un des gars qui bossait avec elle. Il se proposa pour l’accompagner jusqu’à leur lieu de travail et Seena accepta. La discussion se fit autour des prochains évènements prévus par le Chancelier et les quelques broutilles qu’on leur avait coltiné, mais ça s’arrêtait là. Ce n’était pas pour autant que la blonde s’ennuyait, elle appréciait les bonnes choses et la bonne compagnie.

A peine eut-elle mis le pied dans sa zone de travail qu’une silhouette inconnue attira son regard de parfaite vautour. Un sourcil s’arqua sur son front lisse et sans hésiter la moindre seconde, elle s’approcha à pas de louve. « Si tu veux mon avis, tu vas te brûler à tenir le chalumeau comme ça. » Sa voix était calme, presque douce alors qu’elle se penchait vers la brunette. Non décidément ses traits ne lui étaient en rien familiers, et puis avoir sa gueule d’ange, elle venait à peine de débuter dans le milieu. « Nouvelle je présume ? » Un sourire osa étirait ses lèvres alors qu’elle lui montrait comment tenir le chalumeau. « Seena, la grognasse de service comme te diront les autres. Et tu es ? »

Une technicienne extérieure ? Un frisson glacé parcourut sa colonne vertébrale et Seena se mordit l’intérieur de la joue pour empêcher toute angoisse de faire son apparition. Ca ne lui arrivait pas nécessairement souvent de frôler les crises de la sorte, mais son imagination fut traîtresse. La voilà dans une combinaison de cosmonaute rattachée à un simple câble dans ce vide sans fond qu’elle craignait tant. Ses parents avaient péri dans cette noirceur, elle se refusait de les rejoindre, une mort douloureuse. « Tu es bien courageuse ! Je n’en connais pas beaucoup qui veulent mettre le nez dehors. » Son ton était presque ironique, mais fut rapidement contrôlé. Elle ne faisait pas du tout référence à tous ces condamnés qui allaient bientôt y passer, voyons pourquoi aurait-elle pensé ça ?

Sa marche était souple et sa queue haute fouettait l’air au rythme de ses pas. On avait toujours du mal à croire qu’elle était mécano quand on la voyait se déplacer de la sorte. Doucement, elle posa sa main dans le creux du dos de la jeune fille et lui indiqua le virage à quelques mètres. Vu l’enthousiasme de la latina, elle allait continuer tout droit sans jamais s’arrêter, mieux fallait prévenir à l’avance. « Oh depuis mes seize ans, j’ai rapidement embêté mon père pour qu’il m’emmène sur le terrain. Et depuis j’ai pris sa place, boulot de père en fille.» Un bref rire la prit. Elles se rapprochèrent rapidement des habitations concernées par leur travail, elles croisèrent quelques personnes en route, mais Seena ne fit pas attention à eux.

« Vu que tu m’as l’air douée et que j’aime cet enthousiasme, je vais te laisser bosser, je surveillerai au cas où. » Elle lui indiqua la porte en question avant de toquer pour informer les habitants de leur présence. « Et je connais quelques gars qui bossent pour des techniciens d’extérieur, on pourra manger avec eux à la pause si tu as fait du bon boulot. » Du travail à la carotte, elle ? Jamais ! Voyons vous vous m’éprenez !

Oui un truc de famille. Un rire moqueur résonna dans son crâne, mais elle s’empressa de le faire taire. Seena avait toujours souhaité être la fierté de son père, elle l’était désormais, mais il n’était pas là pour voir son succès. Nouveau pincement de cœur, nouvelle vague de haine qui se propulsait dans ce fragile organe. La blonde s’invita chez les occupants dans un sourire qu’elle avait habitude d’arborer dans ce genre de situations. Elle les connaissait bien ces deux-là, deux chiens à la botte du conseil. Si Raven n’avait pas été là, elle aurait eu le malin plaisir de leur saboter leur tuyauterie.

Elles se firent gentiment conduire dans la pièce où se trouvait le problème. La lumière lui abîmait les yeux, mais elle se contenta de les abaisser pour ne plus être gênée. Il y avait un bruit incessant d’une goutte qui s’écrasait sur le sol. Le travail allait être laborieux. La blonde posa sa caisse sur le sol avant de s’y asseoir en tailleur, ses doigts tapotant le bord de ses genoux. Comme dit plus tôt, elle ne ferait rien pour aider la brunette, enfin… Pour l’instant. Son seul travail se limiterait à l’observer. « Je te laisse le temps qu’il te faut, alors ne te précipite pas. Tu as le temps de faire quelque chose de soigner. »

Combler le silence. Elles n’étaient pas proches et si le silence s’installait entre elles, il serait rapidement suivi de cette gêne caractéristique qui l’emmerdait fâcheusement. Sa main s’empara d’une clé à molette, elle joua avec. Elle réfléchissait à un sujet de conversation à pouvoir lancer rapidement, elle pouvait sentir le poids du silence s’installait sur ses épaules. « Et du coup, c’est de famille cette passion ou pas ? C’est rare de voir des filles dans le milieu. » C’était même plus que rare. « On a tendance à nous foutre dans les boulots administratifs ou dans la section médicine. » Chose qu’elle avait voulu fuir à tout prix.

La curiosité se faisait de plus en plus présente dans son esprit. Cette Raven semblait pleine de mystères et Seena se faisait une joie de les découvrir.

Seena l’observait travailler. Elle détacha son élastique pour laisser ses cheveux blond reposer sur ses épaules. Des doigts vinrent démêler quelques cheveux rebelles puis la crinière fut laissée en paix. Elle ne bossait pas pour l’instant, elle avait bien le droit d’exprimer un peu plus clairement sa féminité. C’est que ça faisait un mal de chien de s’attacher les cheveux de la sorte. Son regard aussi fascinant qu’une immensité bleue se détacha de l’apprentie pour guetter le moindre détail dans la pièce. C’était sobre, triste et une odeur de moisie semblait séjourner entre les murs. Chose rare sur l’Arche, mais elle s’abstiendrait de tout commentaire sur l’hygiène de vie des deux habitants. « Et que font tes parents si ce n’est pas trop indiscret ? » Bien sûr que ça l’était, mais que perdait-elle à oser poser pareille question ? Rien. Absolument rien.

Le bruit caractéristique de la clé lui fit tourner la tête dans la direction de Raven et son regard expert fouilla la moindre imperfection dans son travail. Peut-être devrait-elle se lever pour inspecter de plus près, mais non. C’était la meilleure façon de déconcentrer quelqu’un et donc de faire capoter la réparation. Leurs regards se croisèrent et le même sourire arrogant étira les lèvres de la blonde. Les grands esprits se rencontraient enfin. Oh oui qu’elles étaient dangereuses, certaines d’entre elles étaient même plus que ça, il fallait l’avouer. Elle était bien plus dangereuse. « Je t’apprécie de plus en plus Raven. Ton caractère est parfait pour survivre dans ce milieu ! » Seena prit un ton plus léger pour le lui annoncer, mais le sérieux régnait en maître dans son esprit.

« Les hommes se contentent d’obéir aux ordres, ils ne cherchent pas plus loin que leur nez. Alors que nous… » Elle la pointa du doigt. « Nous cherchons toujours plus et n’avons pas peur d’exprimer ce que l’on pense. » Elle tapota sa boîte crânienne. « C’est que ça fonctionne là-dedans. » Sa tête se pencha légèrement sur le côté, une question la taraudait désormais, mais allait-elle la poser ? Peu sûre d’elle, Seena laissa le silence s’installer quelques minutes avant de se racler la gorge. Sa bouche s’ouvrit et les mots s’échappèrent. « Te considères-tu vraiment comme une personne dangereuse ? »

Tu parles d’une belle famille, Seena pinça les lèvres et préféra terminer rapidement le sujet. Ce n’était pas le moment de retourner le couteau dans la plaie et de s’engager sur une pente glissante dont elle ne connaissait pas la fin. Elle se contenta simplement d’un regard compatissant avant de reprendre son observation du travail de la jeune latina. Ce n’était pas particulièrement agréable d’avoir de tels parents dans la station, les rumeurs filaient vite et les réputations pouvaient rapidement être tâchées. Mais la blonde ferait en sorte de protéger la nouvelle des langues de vipère. Elle n’avait pas peur d’utiliser les poings.

Ses yeux océan ne la quittaient pas une seule seconde, observant le moindre de ses faits et gestes dans une précision presque effrayante. Ses doigts tapotaient toujours son genou alors qu’une partie de son esprit attendait impatiemment la réponse à sa question. Non, Seena ne cherchait pas à retourner le cerveau de la jeune fille, elle aimait seulement discuter et partager son avis. Il n’y avait pas de mal à ça. Aux dernières nouvelles, on pouvait encore débattre de ses opinions sans risquer de se faire envoyer dans l’espace. Enfin, débattre était un grand mot. Rester prudent était une clé de survie primordiale.

Un bref rire s’échappa de ses lèvres, mais elle le camoufla rapidement en mordant l’ongle déjà martyrisé de son pouce. « Oh mais je n’en doute pas Raven. Ce n’est pas quelques gars en quête de virilité qui vont te déstabiliser. » Elle se retint de faire un commentaire tendancieux et reprit appui sur le mur, tripotant le bord de sa manche pour occuper ses doigts en manque d’activité. Elle n’avait pas l’habitude d’observer quelqu’un travailler à sa place, il fallait qu’elle comble ce vide.

Elle ne se considérait pas comme dangereuse, mais la blonde avait un tout autre avis sur la question. Oh que oui. Certes, Raven n’était pas une menace immédiate pour la dictature de l’Arche, mais si elle continuait sur cette voie, elle ne manquerait pas de rejoindre le rang de ceux qui souhaitaient renverser le pouvoir. Seena la considérait comme dangereuse. « Je vois. » Elle se passa une main dans les cheveux avant de se racler la gorge. « Je suis dangereuse. » La phrase resta en suspend et Seena ne put s’empêcher d’ajouter. « Pour les habitants de cette Arche, pour ce gouvernement en carton. » Aucune trace d’humour n’était présente dans sa voix.

Seena abandonna toute conversation ennuyante pour se focaliser sur le vif du sujet. Peut-être allait-elle se retrouver condamnée le lendemain, dénoncée par cette apprentie, ou peut-être trouverait-elle en cette latina une alliée muette, elle ne le savait pas, mais il était déjà trop tard pour un retour en arrière. Dans une longue inspiration, elle se redressa pour s’appuyer plus confortablement sur le mur, ses jambes se décroisèrent pour s’allonger sur le sol gelé.

Elle la laissa poser ses questions puis fit craquer ses articulations. Une partie d’elle s’insultait pour avoir été si peu discrète dans ses propos, mais une autre se félicitait d’avoir brisé ce silence qui pesait lourdement dans sa poitrine. Garder le secret la tuait à petit feu, elle savait très bien qu’elle ne pourrait jamais mettre en place sa vengeance si elle restait seule dans la confidence. Elle ne pouvait pas se pointer, un beau jour, avec une arme dans les mains pour franchir la foule. On l’arrêterait bien avant.

« Ils ont tué mes parents. » Son ton était froid, emplie d’une haine difficile à contrôler. « Ils les ont tué parce qu’ils défendaient les gens bien trop faibles pour se nourrir. » Son visage ne laissait rien paraître, mais son regard brûlait de ce feu qui avait, un jour, brûlé dans le regard de celui qui avait été son meilleur ami. « Ils doivent payer pour toutes ces injustices commises. » Seena finit par se mettre sur ses deux pieds et fourrer ses mains dans ses poches. « Je ne suis dangereuse que pour les hommes au pouvoir et pour les rats qui les aident. » Ses pas se faisaient souples et silencieux contre le sol métallique.

Sagement, elle rejoignit Raven et lui indiqua un tuyau en mauvais état. Encore une chose qui désolait la mécanicienne. L’état des canalisations presque rouillées qui ne manquaient de s’effondrer à chaque secousse un peu trop forte. Cette Arche se mourrait, il fallait être aveugle pour ne pas s’en rendre compte. Elle tapota dessus du bout du doigt avant de suivre un parcours invisible pour s’arrêter à un croisement, indiquant un verrou. « Là. Source du problème. »

« Rien n’est impossible. » Sa voix était douce alors qu’on aurait pu la penser agressive. Seena donna un bred coup sur le tuyau qui sonnait étrangement creux. Ses lèvres se pincèrent et elle hocha la tête aux propos de l’apprentie. « On est bonnes pour faire un rapport et aller chercher ce qu’il faut. » Quelle bonne journée pour la nouvelle, pensa-t-elle, au moins, elle avait quelque chose à faire. La blonde ferait attention à ne pas la déranger dans ses futurs travaux, ce genre de boulot demandait une concentration exemplaire : La moindre erreur pouvait tout faire capoter. « Je vais prévenir les vieux, range ton matériel p’tite tête. » Elle lui offrit un bref sourire puis quitta la pièce.

Les particuliers ne purent s’empêcher de râler, mais la blonde s’en foutait royalement. On leur avait demandé de réparer alors elles réparaient. « Raven tout est bon ? » Elle attendit sagement l’apprentie et lui ouvrit la porte. Elle lui laissa les rennes, ne jamais trop étouffer sinon on était bon pour s’en prendre une. Seena avait du mal à se concentrer sur le moment présent. Sa brève discussion avec Raven avait réveillé ses vieilles blessures et ses rêves de vengeance. Son envie d’agir n’en était que plus grande désormais. Elle crevait d’envie de tous les voir tomber, un par un.

Mais comme disait la brunette, seule, elle n’arriverait à rien. Mais le mot impossible ne faisait pas parti de son vocabulaire. Un jour, elle trouverait le moyen de se forger une armée et de sauter à la gorge de ce dictateur qu’on avait élu chancelier. Elle n’en pouvait plus de voir les pauvres crevés de faim, de voir ces gosses se faire arrêter alors qu’ils cherchaient à sauver leur famille.