voodoo in your blood ▬ Salem

Salem était les flammes. Elle était le feu qui dévorait l’âme et les hommes. Elle était le feu qui pansait les blessures et les aggravait à la fois. Elle était le feu, ce feu qui brulait en chacun, et qui n’avait jamais de fin. Comme une tornade déchirante, elle passait, et ne s’arretait que quand les choses étaient rayées. Et puis parfois elle était aussi la douceur de cette âtre rassurante en hiver, elle était la douceur et le reconfort, pour les Lucifer par exemple. Elle était ça, cette dualité Salem. Et à l’interieur même d’elle, les flammes continuaient de la devorer. Parce qu’elles étaient des visions d’un futur et du passé, parce qu’elles étaient une solution, et que le feu à ses lèvres, des questions qui lui rongeaient l’esprit, ne trouvait jamais de fin.  « Ca te brulera moins, au matin. Mais ça continuera de te bruler. » Elle hocha la tête Salem, et distraitement elle pencha les mains pour rattraper Lucifer qui tentait de grimper à sa jambe. «  Le feu ne s’éteint jamais. C’est pour ça qu’il nous attire. » C’était dit. Cruellement veridique. Le silence s’éffondra sur leurs corps.

Et la question partie finalement, alors que seuls les ronronements du félin qui se mouvait sur elle rythmaient leur non-conversation. Les Noirs-sang  la fascinaient depuis qu’elle avait vu Lucifer. Depuis que le coupant elle avait découvert une nouvelle encre, un nouveau jeu. Kandar la fixa comme pour essayer de la cerner, et elle soutint le regard, d’un regard un peu vide. Elle ne voulait pas en dire trop, risquer d’en dire plus. « Où en as-tu vu ? » Elle haussa les épaules, glissa ses doigts sur la toison brune de Lucifer qui tendit la tête vers elle.   « Ils sont choisis. Il y a une force dans leur sang qui appelle la grandeur. A l’est, c’est la marque des chefs et des leaders. » Elle hocha la tête, elle avait deviné ça. Les dieux le lui avaient inspiré.  C’était bon néanmoins d’avoir une confirmation. Alors elle attendit encore, si d’autres mots venaient. «  La première étape. »  C’était dit. Elle se laissa tomber en arrière, fixant quelques instants les étoiles tandis que Lucifer tentait de se rapprocher de la conteuse, et qu’elle, elle savourait le silence de la certitude, le silence des questions qui menacaient. Kandar avait raison, elle avait raison aussi. Ce feu ne disparaissait pas, il ne s’éteindrait jamais, car chacune des réponse ramenait du combustible nouveau.

«  La premiere ? »  Elle fixa encore, mais ne bougea plus de son étrange position, le dos arqué, les yeux rivés sur le ciel nocturne. «  J’en ai vu dans le Nord où je l’ai fais couler. »  Ses yeux se refermerent alors qu’elle cherchait à formuler la suite. «  Les gens de mon peuple ne font pas la différence. Le sang reste du sang »  Mais le sang était son domaine.   «  Est-ce fréquent ? »  Ca l’interessait. Elle ne mettrait jamais en danger Lucifer, mais ça l'interessait. Le jaguarondi par contre, n’était plus vraiment captivé par les mots, préferant renifler les mains de la conteuse, qui fascinaient tellement aussi la sorcière.

« Le feu ne s’éteint jamais. C’est pour ça qu’il nous attire. » Elle n’acquiesça pas, pour une fois, Kandar. Une de ses mains courant jusque sa nuque, où elle attrapa la pointe de ses cheveux courts et joua un temps, avec, tandis que son esprit s’animait de cette ferveur travaillée, de ce savoir possédé. « Il ne s’éteint jamais car les dieux sont dedans. » Ils étaient partout. Dans la terre, dans l’air, dans l’eau, dans les mutations. « Et ils ont placés ce feu chez nous, dans le bas-ventre, la poitrine, la tête. » Les trois voies, le corps, le cœur, l’esprit. « Et il ne s’éteint jamais car nous le transmettons. » Par la chair, par l’amour, par l’enseignement. C’était une offrande, des dieux aux descendants et l’Homme du présent n’était que le médium pour la postérité. Chacun avait un rôle, et pouvaient en remplir plusieurs. Kandar avait mis au monde deux enfants, qu’elle aimait profondément (avec d’autres personnes) et elle transmettait son savoir, comme elle le faisait ce soir en parlant à Salem. Du feu sacré et de toutes ces formes. Du sang noir et de ses pouvoirs.

L’intérêt de la sorcière ne l’inquiéta pas, c’était un sujet comme les autres et il n’y avait rien de plus intriguant. Kandar n’avait jamais vu de nighblood saigner, mais elle reconnaissait la puissance de Lexa, et reconnaitrait la puissance des prochains hedas. C’étaient leurs coutumes et peut-être étaient-elles plus important aux yeux de la conteuses que l’existence des dieux. Les hommes se maintenaient en vie, les dieux les tuaient. Les dieux les créaient, les hommes mettaient fin à leurs vies. C’était similaire et l’humain faisait à l’image de leurs créateurs. En moindre, en enfants curieux. « La première ? » Elle sourit, Kandar, observant les gestes de l’animal qui s’approchait, tendant ses doigts vers Lucifer, avec parcimonie, comme si elle s’approchait d’un démon capable de tout, attendant que la curiosité de la boule de poils soit satisfaite avant qu’elle ne tente une autre approche. Elle avait l’habitude avec les animaux, surtout depuis qu’elle avait trouvé dans un ouest moins lointain sa famille. « Le sang noir est fort, mais ne fait pas tout. » Du sang restait du sang. Noir ou rouge. Il fallait le mettre en mouvement et s’en servir correctement. « Pour être accepté comme heda, il y a un long processus de formation. Il faut réussir les épreuves, être accepté par les autres. » Elle marqua un temps d’arrêt, glissant son regard vers Salem. Les yeux de la conteuse se noyèrent d’une expression particulière. « Etre accepté par leur dieu. » Celui qui avait donné son nom à Polis, qui était à leur origine, dans ces clans.

Kandar n’eut aucun signe de désagrément en apprenant la mort d’un nighblood. C’était courant. Ils n’étaient pas invincibles. Ils restaient humains. « Le sang reste du sang » Elle acquiesça. Sans le sang, il n’y avait pas de vie. C’était la première règle. Le premier nécessaire. « Est-ce fréquent ? » Elle secoua la tête, Kandar. Elle avait voyagé sur de nombreuses terres, avait vu de nombreuses personnes. Pour autant, elle ne connaissait que peu de nightblood. « Non. Ce sont des êtres d’exceptions. Ces champions ne naissent pas souvent. » Une lueur passa dans son regard qui ne s’était toujours pas détacher de Salem, dont les gestes continuaient de se succéder autour d’elle, par elle. « Ils sont chassés. Convoités. »

Kandar jouait avec ses propres cheveux, et Salem lui offrait une indivisible attention. Elle admirait les mains douces et fines, qui avaient probablement l’habitude de battre la cadence de ses histoires, elle admirait ces mains de femme, si pures, bien différentes des siennes que le sang maculait, dont les ongles n’étaient que des vastes brouillons ; des mains qu’elle avait l’habitude d’user pour exercer son art elle aussi. Un art plus sale un peu, plus sanglant aussi. Les mains la fascinaient. Les cheveux qu’elles touchaient aussi. Et elle réprima encore ce désir de toucher, cette envie de posséder. Ça ne donnerait rien de bon. Ça ne donnait jamais.  Et pourtant Kandar parlait des yeux, fascinant Salem qui trouvait en elle une sorte d’égale, quelqu’un qui Savait. Et qui non seulement répandait ce savoir, mais comprenait aussi, ce que Salem était. Elle ne jugeait pas, que les dieux lui parlent, qu’ils décident ses actes. Elle ne jugeait pas. Elle expliquait tout au mieux, avec ses mots a elle.  «  Il ne s’éteint jamais car nous le transmettons. » Le feu. Le feu était partout, et Salem acquiessa. Ses yeux quelque peu plus distant, comme si elle cherchait au loin dans les étoiles la réponse à une question qui ne se formulait pas. «  Toi et moi, nous transmettons les choses différemment. »  L’une par la culture, et l’autre par la violence. C’était étrange. Mais c’était la, et Salem reprit, de sa voix qui semblait quelquefois fatiguée. «  Mais ton rôle et le mien ne sont pas si différents. Nous parlons la voix des dieux. » Car les dieux étaient culture, connaissance, sagesse. Car les dieux étaient toujours en demande aussi.  Et Salem ne le savait que trop.

Elle aussi, elle était en demande. En demande d’en savoir plus sur ces hommes au noir-sang qui étaient à l’Est un peu comme des élus. Alors elle écouta, ne posant que quelques questions éparses, alors que Lucifer cherchait de l’affection, reniflant les doigts, y donnant un coup de langue pour s’adapter. La femme était douce, comme les mots qui sortaient de ses lèvres. Ses lèvres devaient être douces également, elle n’en doutait pas -  elle ne voulait pas savoir. Elle voulait savoir ? elle voulait mettre ses doigts sur le visage proche, et prendre possession de ce sang qui à un moment ou un autre de la soirée avait été le sien et ornait désormais le menton de la conteuse -  Lucifer restait sage. Kandar continuait, racontant le processus, évoquant le dieu de l’Est. C’était confus pour Salem, mais trop de questions n’auraient servis à rien. Elle savait l’essentiel, Lucifer, l’humain, pas celui qui remuant ses oreilles rondes tentait d’obtenir une caresse, était une espèce d’elu. Elle l’amènerait au firmament un jour. Elle l’amènerait à la gloire. Ses yeux brillèrent de cette joie que l’on avait quand on se voyait confié une mission, et elle expliqua. Autre chose. Comment elle avait vu le sang. Et si elle ne fut pas jugée elle eut une autre réponse. «  Ils sont chassés. Convoités. » Ils ne naissaient pas souvent, et elle en avait un, à portée de la main, a ses ordres. Elle avait ce que le monde cherchait, et elle ne le partagerait au monde que quand il serait prêt.

Le silence se fit, Lucifer frotta sa tête contre la main de Kandar, avant de reprendre sa route, rentrant peut être vers la tente, et Salem le regarda partir avant de poser ses yeux à nouveau sur la femme à ses cotés. «  Merci. »  Etrange qu’un simple mot de gratitude puisse orner les lèvres d’une fille sauvage. Etrange qu’une femme qui avait fait du sang et des meurtres sa vie, puisse exprimer un tel sentiment. Mais il était sincère. «  Tu m’as beaucoup donné. Souhaites tu quelque chose ? »

Kandar les aurait presque senti dans l’air, peut-être qu’ils étaient proches, ces dieux dont les deux femmes s’entretenaient. Peut-être qu’ils les observaient, le ciel étant leurs yeux, les étoiles leur iris. Oui, il y avait définitivement une présence, constante, rassurant. Malgré qu’elle soit sur une terre réputée de sauvages et de massacreurs. Les barbares, au final, n’étaient-il pas les non-hellénistes ? N’étaient-ils pas les extérieurs à la coalition que Lexa essayait de rassembler ? Le sang coulait partout et les dieux observaient. Les femmes en discutaient. « Nous parlons la voix des dieux. » L’animal s’approcha et Lucifer se laissa approcher, Kandar évitant la tête, se concentra sur la fourrure sur la nuque du félin, lui grattant la peau avec une légère fascination. Il était apprivoisé. Et elle se demanda, combien de temps lui faudrait-il avant que Salem se laisse approcher aussi. « Je parle la voix des hommes. » C’était différent. Elle ne communiquait pas avec les tous-puissants, Kandar. Elle les connaissait, les sentait, mais dans sa tête, il n’y avait que les voix des conteurs qui lui avaient appris tout ce qu’elle savait. Il y avait la voix de sa mère, morte depuis longtemps, mais qui ne la quitterait jamais, vivante avec les récits.

Des récits qui étaient encore bien vivants, pour certains, comme elles s’entretenaient sur les nightbloods l’espace d’un instant, de quelques promesses de danger. Le démon s’en alla et il ne resta que les deux naufragées sur leur radeau de pierre. Alors, Kandar déposa son regard de nuit sur Salem, avec ces gestes fous et sa fausse fragilité. Elle était belle, Salem. Pas de son corps – même s’il était fortement désirable. C’était son esprit, cette communion avec ce qui existait, mais qui n’était pas visible. Cette foi indivisible. Quand l’humain avait un pied dans ce monde, un pied dans un autre. Kandar, elle aurait voulu voir comme Salem voyait la vie. Avec ce sang sur ses mains, sur son front, dans sa bouche. Elle, Kandar, elle n’avait que des mots dans sa bouche, et du sang sur la gorge. Ca lui plaisait aussi, sa vie, son rôle. Le remerciement fut offrent et Kandar l’accepta d’un mouvement de tête humble. Elle ne laisserait pas le feu mourir. « Tu m’as beaucoup donné. Souhaites tu quelque chose ? » Elle se redressa, forte et droite, forte et presque dangereuse, Kandar. Elle considéra l’offre. « Nous avons toute la nuit. » et la nuit était loin d’être finie. Elle commençait tout juste, l’obscurité définitivement installée sur terre, dévorant tout sur son passage.

Kandar voulut demander les dieux de Salem, mais peut-être que la nuit, cette nuit, ne s’arrêterait jamais, dissimulée derrière le soleil, ce chasseur. Les dieux étaient toujours présents. Ils ne partiraient pas. Alors, dans ses yeux, il y eut la confiance d’un manipulateur de mot, façonneur d’histoires, passeur de feu. « Touche-moi. » C’était abrupt. C’était autoritaire. C’était une invitation violente et sincère.

«  Je parle la voix des hommes. » C’était diffèrent et pareil à la fois, et une fois n’étant pas coutume, Salem répondit immédiatement. «  Tu parles la voix des hommes qui sont les jouets des dieux. Et tu parles d’une voix que les dieux t’offrent. En un sens, tu parles un peu leur voix, même si tu ne les entends pas comme moi. »  C’était mystique. C’était un peu perché peut être.  Mais Salem l’était toute entière. Mystique. Perchée. Coupée d’un monde pour être perdue dans un autre. «  Tu parles une fois qui me parle. »  Et c’était encore un peu étrange, cette sorte de déclaration. Mais Salem était ainsi, sorcière des terres sauvages, prophétesse divine, sibylline barbare. Elle était la voix de ceux qui ne pouvaient parler. Elle était l’objet des sacrifices. Elle était fascinée, par les batailles et les récits. Elle était fascinée par l’être qu’était Kandar. La civilisation. Les relents de paix, et les odeurs de joie. Elle émanait tout ça Kandar, et ça attirait la sorcière. Mais c’était Lucifer qui profitait d’une caresse, et elle cacha la jalousie qui naissait en son sein.

L’animal s’enfuit ensuite, un remerciement fut donné, et Kandar se redressa, tandis que Salem la fixait. «  Nous avons toute la nuit. »  C’était un fait. Salem n’avait pas besoin de lever les yeux vers les étoiles pour savoir que la nuit n’était qu’a son début. Il leur restait des heures, et les nuits n’avaient parfois jamais de fin. Il leur restait du temps, mais Salem avant tout, avant de continuer la valse de ses questions voulait offrir du sien. Encore. Parce que la femme offrait tellement, qu’elle comblait cœur et âme, et qu’elle aurait voulu faire de même. A sa manière.  C’était ce qu’elle offrait. S’offrant elle même comme elle avait jadis pu le faire. Offrant ce qu’elle avait, tout était a choisir pour la conteuse. Tout était à prendre si elle le voulait, et Salem se donnerait sans sourciller.

«  Touche-moi. »  La phrase était lancée, prenant Salem violement aux entrailles. Touche-moi. C’était brutal, et la fille de feu fixa l’étincelle dans les yeux de Kandar. Ses yeux brillaient aussi, d’une lueur d’incompréhension, et puis de la révélation. Et puis ce fut un mouvement, agile, une dextérité avec la quelle elle se releva, atterrissant sur ses deux pieds, en face de la conteuse. Quelques centimètres les séparaient.  Et si elles avaient sensiblement la même taille, l’une et l’autre semblaient voler l’espace, sans prendre trop de place non plus. «  Tu ne sais pas ce que tu demande. »  Quelque chose brillait à nouveau dans son regard. Les dieux ne parlaient pas ce soir, mais c’était une voix bien différente qui semait son sillon dans son crane.  Elle leva la main, glissant comme un fantôme à quelques millimètres de la peau de la conteuse, avant de finalement tracer une caresse qu’elle voulait presque douce. Une joue.  La mâchoire. Elle glissa un doigt sur les lèvres y laissant une trainée de sang, et elle descendit pour caresser la nuque.  Elle touchait. C’était ce que le divin demandait, c’était ce qui lui était ordonné. Elle touchait. Et elle exauçait enfin ce désir qui la hantait et rongeait son bas-ventre depuis le début de la rencontre. Elle ne savait pas si elle pouvait posséder, mais toucher était un point sur cette route la. Elle ne saurait plus s’arreter. Elle garda les yeux ouvert, la folie presque lisible. Et si elle voulait prévenir Kandar, qu’elle ne saurait pas comment arrêter, qu’elle ne savait pas si elle savait se gérer. Elle garda le silence, levant sa seconde main, celle  que le sang d’un autre ne maculait pas, pour caresser les cheveux. Si beaux.

C’était un échange qui était rare, et qui serait d’autant plus apprécier par Kandar. Quand elle racontait, elle recevait, acceptait ce qui était offert. Elle y prenait rarement tant de plaisir, dans les échos qui répondaient à ses contes. Salem alla de sa voix un peu rauque, de sa sagesse de l’ouest et celle qui n’était pas de ces terres reconnut les paroles de la sorcière, par un mince sourire sur ses lèvres, tandis que dans son regard tournait un maelström d’expressions. La curiosité était remplacée par cette satiété, il y avait cette reconnaissance muette, tout en même temps qu’une dévotion dangereuse. Et peut-être que les deux femmes se vénéraient chacune. N’était-ce pas beau ? « Même si tu ne les entends pas comme moi. » Elle se figea, Kandar, comme suspendue dans l’air et dans le temps, tandis qu’elle observait Salem sous une nuit nouvelle. Oui, l’étrangère avait définitivement une part d’ombre. De ces ombres qui étaient là au commencement et qui dévoreraient le monde. La cannibale était définitivement à leurs images. « Tu parles une foi qui me parle. » et elle ne rajouta rien, Kandar. Craignant, pour la première fois de sa vie, que les mots lui échappent, que les mots lui manquent pour exprimer à quel point elle aurait voulu partager cette foi avec Salem. Elles avaient leurs dieux et c’étaient eux qui devaient être vénérés. Non pas la chair de la chair.

Même si Kandar était partie sur cette tentation. Attirer Salem. Qu’elle se reconnaisse comme une proie alléchante et donne au prédateur ce qu’il attendait. C’était de l’égoïsme pur ; Kandar voulait être touchée par Salem. Lui donner l’autorisation de manière détournée, de rompre ce voile qui les séparait, que la ritualiste se forçait à respecter. Kandar voulait sentir la sauvagerie sur sa peau, la violence qui était possédée par la noiraude et qui animait ses gestes fous. « Tu ne sais pas ce que tu demande. » Elle n’esquissa aucun geste de recul, la conteuse. Ce fut presque comme si elle s’approcha de Salem, alors qu’il n’y eut aucun millimètre qui le confirma. Non. Ce fut dans ce souffle qui se retint un peu plus dans ses poumons et dans l’air nocturne qu’elle expira un peu plus longuement par après. « Non. Je ne sais pas. » Il y eut un sourire sur ses traits sans qu’il ne soit sur ses lèvres. « Je suis là pour découvrir. » Il y avait cet orgueil des aventuriers qui partaient pour un nouveau voyage, cette véritable soif de découverte, associé à un tout autre type de soif. Qui était partagée. Kandar le savait. Et le savoir était son arme, son âme.

La main vint et elle ne bougea pas, acceptant le contact, présent et frais sur son visage. Son regard ne quittait pas le visage de Salem, lisant les intentions, observant où les yeux sombres se posaient pour connaitre le prochain geste. Elle sentit le sang séché sur la main de la sorcière, comme s’il agressait sa peau et la possédait. Elle entrouvrit la bouche quand les doigts s’aventurèrent sur ses lèvres et pencha la tête en arrière quand l’autre main s’y mêla. Si elle avait pu, Kandar aurait ronronné de cette découverte dont elle était l’objet, reconnue pleinement par la fille brute. Mais elle gardait le silence, qui était d’autant plus religieux quand une conteuse prenait le temps de l’apprécier. Si ses mots ne parlaient pas, sa gestuelle, elle l’exprimait à merveille, accompagnant les gestes de Salem, les suivant avec précision, pour prolonger l’échange de quelques espaces infimes.

Et elle fut faible, Kandar. Et elle fut forte. Elle aurait voulu dire (sa joueuse avait prévu de le dire), qu’elle avait simplement invité Salem à la toucher, et qu’elle n’avait fait aucune promesse en retour. Kandar était une femme qui tenait parole. Mais aucun mot n’avait été prononcé depuis, et il n’y eut aucun remord quand sa main se referma sur le cou de Salem, qu’elle griffa presque la peau et qu’elle l’embrassa de ses lèvres faites de sang. Avant de se reculer, le noir dans ses yeux, le noir douloureux dans ses veines. « Que te disent les dieux ? »

Kandar était à la foi l’attrait du divin, et la tentatrice. Elle était un serpent mythique sous les traits de l’innocence. Elle était le feu auquel Salem voulait se bruler ce soir. Et le feu ne se brulait pas n’est ce pas ? Mais Salem était un feu elle aussi, un poison qui la dévorerait alors qu’elle se brulerait . Aucune des deux ne sortirait indemne de la nuit. C’était peut etre ce qui lui plaisait ?  C’était peut être ainsi. La ritualiste voulait toucher, mais la ritualiste voulait respecter, et elle savait qu’elle n’arriverait pas à gérer l’un et l’autre à la fois. Alors elle avait tenté de résister. Longtemps. Jusqu'à la demande violente et brulante. Touche moi.  Ca resterait dans son esprit pendant des longs jours à venir.  Elle était la désormais. Luttant encore sur les derniers relents de sanité qu’elle possédait.  Et elle prévenait, d’un avertissement qui tomba presque dans les abysses. «  Non je ne sais pas. Je suis là pour découvrir. » Et ce fut trop pour Salem. Le sourire était la, comme une provocation. Elle voulait le faire disparaître. – Elle voulait l’embrasser – Elle voulait qu’il reste. Les voix qui s’étaient tû s’éveillèrent d’un coup, et ce fut trop.

Alors elle toucha. Et la crainte de ne plus se retenir était bien présente dans un coin de sa tete, mais ça ne disparaitrait pas, ça s’etofferait juste. Elle allait en profiter tout de même. Elle toucha. Ses mains testèrent le visage, répandirent du sang seché, qui ne collait pas trop. Ce n’était pas joli. Pas esthétique. Elle ferait mieux. Ca viendrait. Kandar serait une œuvre d’art. D’avantage qu’elle ne l’était. Et quoi qu’en disent les voix, elle ne prendrait pas son sang pour peindre. Ses doigts s’attarderent sur les lèvres entrouvertes, elle glissa timidement presque, comme une enfant apeurée. Et elle reprit ses errances gestuelles. Ses mains découvraient une nuque, une peau délicate, qu’elle avait presque peur de briser.

Et Kandar la toucha à son tour. D’une main plus violente, plus intrusive aussi. Ça lui plu à Salem. Les voix apprécièrent aussi. Et sa main glissa à nouveau sur la joue de la conteuse. Ses yeux noirs d’incompréhension et de désir, plantés dans ceux de Kandar. «  Que te disent les dieux ? »  Elle mordit sa lèvre à s’en faire saigner, et fixa ses pupilles dans celles de Kandar. «  Tu veux vraiment savoir ? »  Une part d’incertitude dans son regard, qui se changea bien vite en détermination. Salem ne niait jamais ce que les voix voulaient, et ce que les dieux décidaient elle le faisait. Elle s’offrait pour eux. Elle leur offrait aussi.  Et elle se rapprocha de Kandar, dans une collision de leurs lèvres, mordant au passage ces lèvres étrangères à les faire saigner. «  Ils me disent de te posséder. » Le comment, n’était jamais précisé. C’était un ordre. Elle pouvait prendre son sang, et les abreuver de lui, ou elle pouvait la faire sienne. Il n’y’avait pas de raisons que Kandar souffre trop. Elle restait l’image divine. La conteuse. Et Salem ne voulait pas la heurter. Salem voulait juste, rester fidèle à ce qu’elle était.

«  Je pourrais peindre de ton sang. »  elle avait reculé sa tête maintenant, et regardait la plaie sur les lèvres de l’Autre, cette plaie que ses dents avaient causées. Ce sang, rouge vermeil, métallique, dont le gout restait dans sa bouche. «  Tu interesses les dieux. »  Un regard un rien plus dur. «  Tu m’interesse aussi. »

Kandar éveillait la bête. C’était volontaire, c’était cette relation constante avec le monde sauvage que les skaikrus leurs reprocheraient quelques années plus tard. Le besoin d’entrer en communion avec ce qui existait, le besoin pour la conteuse de comprends ceux de l’ouest. Et c’était plus vicieux, aussi, plus sombre, à l’image de sa réalité. Salem réveillait des besoins éteints chez Kandar, et elle y mettait feu, sorcière, pyromancienne, celle qui parlait avec les dieux et comprendrait mieux que quiconque leurs intentions. Ça aussi ça fascinait Kandar, qui si elle avait appris à être réceptive aux signes, devait toujours décoder le monde qui était autour d’elle. Il y avait une traduction et pour parler plusieurs langues, elle savait qu’il y avait une perte de sens. Salem, elle, était une fille brute et brouillon. En rapport directe avec ce qui n’existait pas aux yeux de tous. Alors oui, Kandar voulait savoir, voulait comprendre ce qu’il se passait dans le corps de la ritualiste qu’elle gardait entre ses doigts, trouvant la chaleur d’une peau voisine. « Tu veux vraiment savoir ? » Elle observait la lèvre en sang, Kandar, et elle garda le silence, celui qui rythmait leur conversation depuis le début.

Salem s’approcha et elle ne fut qu’à moitié surprise quand elle sentit la piqure des dents dans sa propre chair, se demanda combien de sa lèvre la cannibale dévorerai avant que celle aux gestes fous se retire, laissant à Kandar tout ce qu’elle possédait déjà. Sa lèvre sortit, léchant la plaie, laissant le goût du sang s’inviter dans son palais, et ses dents mordillées la blessure fraiches. Sa main lâcha Salem, frottant la gorge, trainant sur la fin de la clavicule, traçant un tatouage. « Ils me disent de te posséder. » Le sourire se joua dans le regard assombri de la conteuse, qui pencha un peu la tête sur le côté, avant de se rapprocher, manquant de combler la distance, évitant les lèvres exsangues, trainant sa bouche sur la joue de la sorcière, s’arrêtant au niveau de l’oreille de Salem. Elles étaient collée l’uns à l’autre, sentant le corps de Salem contre le sien, une de ses mains se posant sur le biceps de l’étrangère, sentant les muscles sous la peau fine, tandis que l’autre bras était posé presque négligemment sur l’épaule de la fille faite de la nuit. « J’ai déjà un possesseur. » Il portait le nom de Polis et Kandar avait fait vœu de servir la ville, servir son rôle et ceux du peuple. Ca, Salem n’était pas obligée de le savoir. Elle voulait savoir, Kandar, à quoi ressemblerait la fille jalouse.

Ca aurait pu être une mauvaise idée, mais elle était déjà lancée, avant déjà fait le premier pas dangereux. Les autres ne seraient pris qu’à cause de l’élan. Salem recula et Kandar la laissa s’échapper. Elle eut une moue charmée quand Salem lui offrit d’être sa muse – d’une certaine manière. « Tu intéresses les dieux. Tu m’intéresses aussi. » Son regard se plissa et sa poitrine se souleva, alors qu’elle prit une inspiration plus longue que les précédents, laissant la fraicheur de la nuit nourrir ses poumons et vivifier son esprit. « Est-ce une mauvaise chose ? » Il aurait pu y avoir un jeu sardonique, mais il n’y avait que la curiosité profonde. Sa main se tendit et d’un geste, elle chassa quelques mèches sauvages du front de Salem. « Dois-je te dire qui m’intéresse le plus, entre vous ? » Voilà, toujours à la traque de ce qu’il y avait de noir, en cette fille qu’elle connaissait à peine.

Salem voulait se bruler à la torche qu’était Kandar. C’était métaphorique bien sur, elle n’aurait jamais voulu que Kandar prenne feu, elle n’était pas ce qu’il fallait détruire, au mieux elle était l’energie créatrice qui fascinait tant la sauvage, qui apprit sa vie dans des légendes anciennes, au mieux elle était le divin, elle était l’illustration de ce qui fascinait la sauvage. Elle était tout a la fois, une lumière qui l’attirait et qui aurait du la faire fuir. Et peut être que la barbare solitaire – qui n’était pas si solitaire que ça – aurait pu prendre exemple sur son démon félin, et fuir elle aussi quand elle en avait eu l’occasion. Elle ne l’avait pas fait. Elle ne l’avait pas fait parce qu’elle n’avait pas voulu. Elle ne l’avait pas fait parce qu’elle voulait se bruler encore et encore.  Et elle avait touché oui. Elle avait touché, et elle avait touché encore. Sans violence, parce qu’elle se voulait douce, avec ce qu’elle convoitait, comme ça. Sans violence, parce que les dieux dans sa tête – ou peut être était-ce sa conscience,- lui disaient de faire attention. Kandar pour elle était fragile, peut être un peu inaccessible et pourtant à bout de doigt, de bras. Elle touchait. Les lèvres se croisaient, s’entrechoquaient et le sang glissait désormais.

Mais Kandar touchait elle aussi, et Kandar éveillait l’animal qui était en Salem. C’était étrange. Pour la barbare de vouloir être douce et que l’on la veuille brutale, qu’on veuille ce qu’elle était vraiment. La furie dans ses yeux, la folie dans son sang. Elle se considérait folle, parce qu’elle savait qu’elle l’était. Mais elle savait aussi, que parfois, elle essayait de séparer le bien du mal, le bon du mauvais. Elle ne voulait pas faire de mal à Kandar. Et elle savait que si, elle était trop elle même, elle la heurterait. Parce qu’elle aimait le sang, et qu’il la fascinait. Parce qu’elle aimait posséder. Et mordre. Et saigner.  

Il y’eut une morsure sur la lèvre. Elle n’arracha rien, elle blessa oui, jusqu'à ouvrir au sang, d’un sang qu’elle lapa. Mais elle n’arracha pas. Elle aimait le sang, elle n’aimait pas la chair. Et les mots s’échapperent, ceux que disaient les dieux, ce qu’elle disait elle. Leurs corps se rencontrèrent encore, une main glissa sur la lèvre blessée, récupérant le sang pour tracer sur la joue et la nuque de Kandar des dessins inconnus, l’autre glissa sur la hanche qu’elle serra contre elle, presque plantant les ongles a travers la tenue. «  J’ai déjà un possesseur. » Il y’eut une lueur, comme de la folie, comme e la fureur, et Salem recula d’un pas, sans lâcher néanmoins, relevant les yeux chaos vers la noirceur de ceux du feu même de sa nuit. «  Qui est il ? » La curiosité, mélangée à l’ennuie. Elle voulait. Mais elle ne voulait pas vouloir en même temps. Pourtant les dieux lui disaient de s’en foutre. Pourtant les dieux lui disaient de posséder quand même.  Il y’eut un combat en son sein, et elle recula les sourcils froncés, avouant son intérêt qui n’était pas que mystique.  Il y’eut un silence, une inspiration. Il y’eut un moment de flottement peut être, et Salem hésita entre partir et rester. Bien sur elle resta, et sa main quitta la nuque sur la quelle elle traçait du sang.    «  Est-ce une mauvaise chose ? »  Sourcils froncés. Elle secoua la tête, elle plissa les yeux, elle ne savait pas. Et puis elle su d’un coup. Et elle fixa longuement le visage de Kandar, le cou et la joue qu’elle venait de maculer de sang. «  Je suis danger. »  Elle n’était pas que dangereuse non. Elle était Le Danger. «  Je brule ce que je touche. »  Elle saignait aussi. Ce qu’elle touchait. Les sacrifices. Les victimes. Elle saignait aussi les gens qu’elle aimait, appréciait. Et Lucifer l’humain, était couvert de stigmates. Elle l’aimait comme un frère. Comme un réceptacle et un élu. «  Je saigne ce que je désires. » et elle la désirait. Assurement. Elle sentait cette pulsion en son être, elle sentait cet élan en son corps. Mais voilà. Kandar était importante, Kandar était… plus. Kandar était d’avantage. Et pour une fois elle voulait sincèrement quelque chose de pur, qu’elle ne pourrait pas souiller – c’était trop tard-   «  Dois-je te dire qui m’interesse le plus entre vous ? »  Timide presque d’un coup, elle inclina la tête. «  J’aimerais le savoir. »  Et peut être qu’il y’avait un coté fragile. Et peut être que…  Qu’importait. La fragilité n’était qu’un coté de la folie.

Elles étaient si proches, que la nuit aurait eu du mal à s’immiscer entre elles. Kandar avait la chaleur de Salem sur tout son corps, sur sa nuque où des formes se dessinaient, sur sa hanche où les ongles s’accrochaient. Elle avait l’odeur de la sorcière dans le nez, le goût du sang dans la bouche. Et le souvenir resterait, comme une image fidèle de la représentation faite de la fille aux gestes fous. La fille un peu perdue, dans l’obscurité, quand Kandar choisit ses mots, ses plus belles armes, pour affirmer qu’elle avait déjà un maitre sur cette terre et la satisfaction fut évidente, malicieuse, sardonique, dans le coin de son sourire, dans le noir qui alimentait son regard. « Qui est-il ? » Et dans le pas que Salem marqua en arrière, Kandar en marqua un en avant, ses doigts quittant le tatouage qu’elle explorait silencieusement, pour les loger à la base de la tête de Salem, de celle qui faisait couler le sang. Ses doigts se nouèrent aux courts cheveux noirs, tirant la gueule en arrière, lentement, sans violence particulière, mais avec une précision calculée. « Est-ce que ça a de l’importance ? » C’était une sortie qu’elle offrait à Salem, un exutoire que la ritualiste, si elle écoutait ses dieux, prendrait en considération. Car celle en rapport avec des forces mystérieuses n’était rien comparée à la loyauté que la conteuse entretenait envers Polis.

Combien la créature était attirante et que tout ce que Kandar aurait pu faire de sa nuit, en si charmante compagnie, aurait été de gouter la chair, de la manger de part en part. Il y eut une dissonance, un écart que cette fois-ci, Kandar laissa libre, tout comme elle laissa libre la déception de perdre le contact de Salem, se retrouvant avec le vide, le froid de la nuit qui lui griffa la peau, tenta de lui arracher un frisson sans qu’elle ne marque un signe de faiblesse. Elle y était habituée, Kandar. Malgré son corps frêle et ce qu’il laissait supposer. « Je suis danger. Je brule ce que je touche. » Elle était poésie, surtout, Salem. Et la conteuse, plus encore, aurait été curieuse de voir ce que la sauvage aurait fait. « Le feu n’est pas que destructeur. » Et sa parole était muette, et sa parole était grave, prenant les accents de ce savoir qu’elle portait en son sein et qu’elle offrait aux curieux. Kandar, assurément, jouait avec le feu, cherchait à initier Salem. « Je saigne ce que je désires. » Sa langue passa sur son propre sang, qui avait arrêté de couler de sa lèvre blessée. Ses mains qui étaient retombes le long de son corps s’activèrent, s’animant d’une vie, d’un but délectable.  

« J’aimerais le savoir. » Son index se posa sur la bouche de Salem, intimant le silence, sans réellement le demander. Kandar aurait écouter l’étrangère parler pendant des heures, de cette vision du monde, si charmante. Son doigt glissa, longeant le menton, parcourant la mâchoire, le cou, la gorge, descendant sur le plexus, s’immisçant entre les seins, sans les toucher – les effleurant, tout au plus – griffa presque le diaphragme et le haut du ventre, saisissant les vêtements là. « C’est le medium, qui a tout mon intérêt. C’est avec toi que je peux parler. » Et elle se rapprocha, la prise toujours sur Salem. « Et que je ne veux pas parler. » Sa main libre se saisit de la mâchoire de la sorcière, tirant un peu sa tête en arrière, tandis que son visage s’invitait dans l’espace de la peau découverte, léchant l’emplacement du pouls et un peu plus de ce terrain offert, s’arrêtant seulement quand elle trouva le goût du sang. « Si tu as peur de me blesser, devrais-je t’apprendre la délicatesse ? »

Il y’avait un mauvais coté à vouloir posséder ce qui avait déjà possesseur. Il y’avait une histoire de conscience peut être. Il y’avait cet interdit, qui était la, présent mais dérangeant. Et Salem était dérangée de savoir que Kandar avait déjà possesseur et que cela avait l’air de compter. Elle était gênée, de savoir qu’elle devrait prendre par la force si elle voulait avoir. Ou peut être n’était-ce pas le cas ? Peut être pouvait elle quand même ? Elle fronça les sourcils, et pourtant malgré tout ça, malgré ce que disait un coin de sa conscience, que les dieux n’atteignaient pas, elle ne bougeait pas si loin, se laissant attraper par la conteuse, quand d’un mouvement elle aurait pu briser l’etreinte, briser la femme aussi. « Est ce que ça a de l’importance ? » Et si ça en avait finalement peut être que Salem voulait l’oublier ?   Elle fronça les yeux la sorcière, et elle reflechit quelques instants peut être, tandis que d’une main elle allait chercher le corps en face d’elle pour glisser sur la hanche, attraper.  

Et le silence fut réponse, tandis que sur les lèvres de la fille sauvage se perdait un «  Tu pourrais en avoir. »   de l’importance.  trop murmuré, presque inintelligible.  Elle ne voulait pas que ça s’entendre. Et elle secoua la tête, une fois libre.  Elle était sure d’une chose, qu’elle soit libre ou pas finalement elle voudrait posséder, et les derniers morceaux de sa sanité tentaient de se battre pour qu’elle ne ruine pas ce qu’elle voyait si pur, comme nimbé d’un halo blanc en face d’elle. C’était métaphorique. Kandar était aussi sombre que la nuit, physiquement. Mais mentalement… Mentalement elle était le Parfait qui attiré le cœur. Elle était la lueur qui attirait le corps. Et Salem voulait. Elle n’avait presque jamais autant voulu quelque chose. Et elle prévenait alors. Parce qu’elle ne voulait pas abimer elle ne savait pas comment… elle pourrait faire, elle qui n’avait jamais connu que les brusques mouvements qui laissaient des blessures, brulures, et des traces de sang. Elle ne savait pas comment elle pouvait posséder sans heurter, et peut être, peut être qu’elle aimait aussi laisser des marques. Elle était sure aussi qu’elle aimait en avoir, même si elle n’appartenait qu’a elle, qu’a elle même et aux dieux. «  Le feu n’est pas que destructeur. »    Kandar était différente. Jusqu’au bout de ses mots, et Salem la buvait. Tout ce qui sortait de ses paroles était absorbé par la fille sauvage comme une divine parole.  Elle hocha la tête. Précisa. Et regarda les mouvements avec assiduité.

Elle voulait savoir. Accepta le doigt silencieux. Accepta l’ordre qui n’était pas dit. Et si l’envie de mordre fut terrible elle se retient. Ce que disait Kandar éveillait en son être encore plus que du désir. Elle voulait posséder. C’était un refrain qui revenait sans cesse. Elle voulait posséder et elle voulait obéir. Elle voulait. Voilà, tout simplement. Les doigts la caressèrent, effleurant son menton, son corps. Elle fremit. Elle voulait s’offrir peut être, comme elle ne s’était jamais offert. Et sa tête pencha en arrière sous l’impulsion de Kandar, sans que celle ci n’ait besoin de trop de force. Elle obéissait et se soumettait presque, parce que c’était une des premières fois qu’elle ressentait ce désir la. Kandar était forte ce soir, et Salem se trouvait égarée dans cette envie de ne pas l’être. Forte. Brusque. D’être ce qu’elle n’était pas, et qu’elle n’arriverait jamais a être. Et Kandar était claire aussi dans ce qu’elle désirait. Salem ne comprenait pas tous les langages peut être, mais les subtilités des mots ne lui étaient pas inconnues non plus. Elle eut un frisson  quand la langue attaqua sa nuque et sa lèvre fut mordue jusqu'à ce qu’elle se saigne. «  Si tu as peur de me blesser, devrais-je t’apprendre la délicatesse ? » Il y’eut une de ses mains qui parti vers les cheveux de Kandar dans les quels elle se serra. «  Apprends moi. »  Et elle releva la tête finalement, pour planter son regard fou dans les yeux noirs qu’elle désirait tant ce soir. Elle voulait apprendre. Se voir enseigner quelque chose par cette élue que les dieux voulaient pour elle. Qu’elle voulait aussi.

L’ivoire de ses dents caressa la chair, laissant le tranchant de ses incisives râper le cou, sensiblement, son palais s’emplissant des parfums de la fille brouillon, tandis que le sang appelait le sang et qu’il donnait ce goût si particulier à l’air. Kandar ne heurterait pas la chair. Elle n’était pas de ce genre. Ca trace, elle n’en avait cure. Elle était un témoin, un support. Pour transmettre la vie et son passé, les récits de ce qui avait été et qui continuerait d’être. Salem, sorcière, serait un réceptacle de plus. Un réceptacle qu’elle apprécierait que plus. « Apprends-moi. » Elle n’avait pas besoin de l’autorisation, Kandar. Son choix était déjà fait et les orbes de charbons craquèrent d’un feu ardent, alors qu’elle relevait la tête, trouvait le regard de Salem, sa demande, son supplice. Alors, le sourire fut, sur les lèvres de celle qui venait de l’est et sa langue sorti, léchant le sang qui coulait de cette lippe ouverte, le fer fort dans sa bouche, le fer qu’elle avala et qui tourna dans son estomac. « Je ne peux pas t’empêcher de te blesser. » Kandar ne pouvait empêcher le monde de tourner et si la nuit voulait se faire mal, si les dieux ordonnaient à son messager, qui serait-elle pour l’en empêcher ? Elle, la femme frêle faite de chair et du sang de l’autre.

Et elle embrassa tout juste les lèvres qui étaient à sa portée, Kandar, sans qu’aucune morsure ne se perde, mais qu’une attache terrible se forme, une possessivité qui ne se ferait qu’une nuit. « Ne te détruis pas trop. » Ce ne fut qu’un murmure et alors qu’elle sourit à nouveau, presque trop confiante (mais ça ne trompait pas, il y avait cette prudence calme, de celui d’un dompteur de fauve, de celui qui allait les feux, qui charmait les flammes et respectait Agni). Elle se recula, Kandar, sans que sa poigne sur le vêtement ne s’amoindrisse et elle se détourna, trainant Salem à sa suite. « Viens avec moi. » Elles s’éloignèrent des plaines, retrouvèrent les quelques maigres constructions qui faisaient le village, s’enfoncèrent dans une maisonnée qui accueillait la conteuse pour ce qui aurait dû être son repos. Elle profiterait d’une autre manière du matelas de fortune.

Le ciel n’était plus au-dessus de leurs têtes, mais Kandar contait, en même temps qu’elle créait sur le corps qui était à disposition. Elle raconta les étoiles, alors qu’elle créait ailleurs, raconta Andromède, l’Ours, la Flèche, le Sud Céleste. Ce fut lent, ce fut précieux, mais quand elle rencontra les yeux de Salem à nouveau, la nuit était toujours là, chaude sur leurs corps, chaude dans leurs poumons. Et ses doigts coururent sur le corps qu’elle venait d’explorer, cherchant les dégâts nouveaux.

« Je ne peux pas t’empêcher de te blesser. » elle ne le pouvait pas non. Effectivement il y’aurait toujours en Salem ce besoin de se faire du mal. Parce qu’elle existait, et que c’était bien ce qu’ils faisaient les gens qui existaient n’est ce pas ? Ils souffraient. Parfois parce qu’ils aimaient ça, parfois parce que d’autres puissances leur demandaient de s’offrir et de souffrir pour eux. Et ils le faisaient. Parce qu’ils étaient humains, et qu’habités ou non de la lumière divine, ils finissaient toujours par ecouter des voix qui leur donnaient des ordres. Pour Salem les voix étaient divines. Et ce soir elles l’étaient aussi. Celle de Kandar l’était, qu’elle le reconnaisse ou non. Et Salem acceptait. Cette fille sauvage, un vestige des anciennes croyances, un brouillon bien vivant de la cruauté humaine et de la creation divine, était fascinée par les lèvres, les mains, les mots, et les yeux de la conteuse en face d’elle. A vrai dire, Kandar tout entière la fascinait. Et quand les lèvres se choquerent l’une et l’autre, Salem pu gouter son propre sang. Et si Kandar parlait, de cette voix enivrante, de ces murmures posés, la barbare elle gardait le silence religieux de celle qui s’offre et qui offre.

« Viens avec moi. » C’était le debut d’une fin, d’un reccommencement. Il y’eut un éclat dans les yeux de la sauvage, qui se laissa trainer. Comme un fauve trop fougueux que l’on venait de soumettre. Et si elle cru voir l’etincelle du regard de Lucifer, elle n’avait d’yeux que pour ce petit bout de femme qui se faisait maitresse de sa nuit. Maitresse de la Nuit qu’elle était elle-même. Ou maitresse du feu. Maitresse qui la guida jusqu’à une maisonnée où les étoiles quitterent leurs yeux pour se poser ailleurs. Et Salem offrit, s’offrit. Et Salem prit en retour. Le temps dura et disparut au profit de ces étoiles qui ne quitteraient jamais la tête de l’illuminée des dieux.

Tout avait une fin et c’est des doigts glissant sur son corps, au milieu de ses tatouages et cicatrices qui la ramenerent à la réalité, tandis qu’elle regardait avec une tendresse qui la perdit, la femme à ses cotés. Il y’eut un regard, le regard perdu de quelqu’un qui ne savait ni quoi dire ni quoi faire. Ces occurrences ne lui arrivaient pas. Et les dieux s’étaient tus alors qu’autre chose parlait. Doucement, elle leva une main, pour la tendre vers ce corps chaud à ses cotés, et elle caressa la joue de Kandar avant de reculer comme si elle s’était brulée. Mais il était trop tard. Elle était bien brulée. Entière, à l’interieur. Elle avait apprit cette delicatesse qui la poussait à n’avoir laissé que de maigres marques de ses ongles qu’elle n’avait pas controlé. Elle avait tenté la douceur. « Tu es un feu qui brule à l’interieur. » Un feu qui avait heurté ses plaies. Elle avait la flamme Kandar, et elle l’aura toujours. « Tu parles les étoiles. » Elle affirmait. Avec cette maladresse orale qu’elle avait toujours, et c’est avec fascination qu’elle laissa son regard sur Kandar. Comme un chiot perdu qui avait perdu de sa fougue l’espace de quelques secondes. Tout prendrait bientôt fin. Tout était ephèmere. Elle ne le savait que trop. Elle le savait bien.

Les traces étaient portées et Kandar savait que sur sa chair fragile, certaines resteraient. Et si elles disparaissaient aux yeux des autres, elle les sentirait toujours, sous sa peau, à la dérobée des regards. Salem était un animal dangereux, oui, la mise en garde avait été verbalisée à plusieurs reprises et la conteuse adorait l’avoir, à présent, sur sa peau. Comme elle adorait le goût du brouillon sur sa langue, et la chaleur résiduelle dans ses poumons. Elle lui avait enseigné la délicatesse et s’il y avait eu des écarts, le sang avait à peine coulé. Alors Kandar laissa glisser ses doigts sur la peau dénudée de Salem, une caresse en guise de récompense, profitant du contact des deux corps, retenant ce besoin de découvrir la fille de l’ouest d’une manière moins retenue. Elle adorait l’histoire d’Icare, Kandar, mais elle ne voulait pas se bruler les ailes, ou se bruler les doigts. Ce fut Salem, qui sembla rencontrer le feu, alors que la proximité physique diminuait, retrouvait ce goût du risque qui fit sourire la conteuse, dévoilant les crocs prédateurs, à peine visibles en journée. « Tu es un feu qui brule à l’intérieur. » Elle secoua un peu la tête, alors qu’elle se penchait à nouveau sur ce corps allongé, une main prenant appui à côté du cou de Salem. Elle s’approcha, laissa courir ses dents sur la joue de la sauvage apprivoisée. « & maintenant je brule à l’intérieur de toi. » Salem avait ce même feu, torride, à l’intérieur de ces entrailles qui soupirait d’aise.

Et puis, Kandar se redressa, assise sur ce lit de fortune, les jambes croisées, la nuit pénétrant la pièce par une lucarne sans fenêtre, laissant la fraicheur avivé un peu plus la nudité de la conteuse, qui ne prêta aucune attention à ce qu’il se passait dehors. Ainsi, dans l’obscurité, Salem donnait cette impression d’être une création du monde des ténèbres, ses contours flous, se mélangeant à ce qui n’existait pas et que la sorcière était la seule à entendre. « Tu parles les étoiles. » Et le sourire était toujours là, éclat blanchâtre dans le nuit, alors que ses doigts, eux, n’arrêtaient jamais de parcourir ce corps qui était à sa portée. Qui savait, quand elle partagerait la chaleur d’un autre, encore ? Elle était loin de Polis et des partenaires déjà consommés. Alors, elle profitait. « Je parle beaucoup de langues. » Et c’était joueur, presque suave, le trigedasleng roula, le temps d’un mot. « Beaucoup. » Et un autre dialecte, encore, celui du sud. « Beaucoup. » Avant de tomber sur l’anglais qu’elle maitrisait sans faille. « De langues. » Puis revint l’ouest qui était déjà partout sur elle et qui avait une emprise enivrante. « Qu’aimerais-tu savoir ? » C’était calme, chaleureux dans le fond de sa gorge. « J’ai dit que je te parlerais jusque la fin de la nuit. » Et celle-ci n’était pas encore terminée.