Depuis son départ des grottes, grimacer de douleur était devenu son rituel matinal. Rhodàn avait, certes, pris soin d'elle, mais Athénaïs n'avait pas bénéficié de soins appuyés lui permettant une récupération totale. Elle ne boitait presque plus, mais elle était incapable de lever les bras au dessus de sa tête, les blessures qu'elle portait aux côtes l'entravant. Elle commençait à en avoir plus qu'assez d'être infirme. Elle n'avalait presque rien, mis à part des baies, et du poisson qu'elle réussissait parfois à attraper avec son poignard. Elle était à présent devenue plus discrète, elle osait se déplacer un peu plus loin de la navette. Mais ses forces s'amenuisaient considérablement, et elle bientôt à court d'options. Fallait-elle qu'elle rejoigne le camp des archéens ? Devait-elle demander de l'aide aux siens ? L'éternelle méfiance qu'elle ressentait troublait son esprit. Athénaïs clôt ses paupières, fronce les sourcils. Elle a du mal à accepter ses troubles de mémoire, se refuse à y croire, à y voir une réalité.
Souplement mais non sans douleur, elle se remet sur pieds. Pour changer ses idées, elle décide de se mettre en quête d’une nourriture. A ce stade, elle mangerait même des feuilles. Elle avait quelques faibles notions datant de ses années d’école, merci à son assiduité sans faille pendant cette période. Elle avait toujours été l’enfant modèle, avant de tomber dans le gouffre. Aujourd’hui, elle se retrouverait ici, sur Terre, dans une navette de l’Arche échouée dans un monde auquel ils n’étaient pas préparés. Ni les 100, ni le reste de l’Arche, et encore moins Athénaïs. Elle empoigne le manche de son poignard et se dirige vers la forêt. De ce côté-ci, elle avait trouvé un ruisseau. Elle comptait s’y rendre afin de se rafraîchir, de se faire une toilette rapide, nettoyer ses plaies et trouver de quoi grignoter. Il était encore très tôt dans la journée, elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Le soleil se levait à peine lorsqu’Athénaïs atteignit la rivière, mais il frappait fort alors qu’elle s’était presque assoupie, ayant terminé tout ce qu’elle avait à faire, à part se trouver à manger. Elle n’était pas encore résignée à manger des insectes. Elle se contentait des baies qu’elle savait comestibles. Mais alors qu’elle reprenait la direction de son abri, elle eut à peine à faire deux cents mètres qu’elle entendit quelqu’un arriver. Sans qu’elle ne puisse le contrôler, la peur l’envahit. Sans qu’elle ne s’en rende compte, elle enserre le poignard si fort que ses doigts virent au blanc et rouge. Lorsqu’elle les aperçoit, ils sont trois, dont un à la traîne. Elle se trouve derrière lui, planquée derrière un arbre. Elle se trouve à une grande distance, lui permettant de demeurer cachée. Mais pour combien de temps ? Elle ne devait pas sous-estimer ces guerriers. Trop confuse, elle ne s’aperçut pas de la différence de la troisième silhouette, une archéenne. Si elle l’avait remarquée, elle n’aurait sans doute pas eut aussi peur, et eut une idée aussi folle.
Armée de son poignard, Athénaïs se baisse au fur et à mesure, derrière les buissons. Elle avance lentement, profitant des feuilles mouillées pour ne point attirer l’attention. Elle se trouve à présent à quelques mètres de sa cible, sur laquelle elle bondit au moment où  les deux autres se retournent. Frappée de terreur, elle enfonce le poignard dans le ventre du guerrier, et réalise.
La jeune femme eut un hoquet, et lâcha le poignard. L’arme s’écrasa au sol, en un bruit sourd. Athénaïs s’accroupit derrière sa cachette, et respira trop fort. Elle observa ses mains, comme pour vérifier que c’était bien une hallucination, comme pour vérifier qu’elles n’étaient pas pleines de sang. Mais elle n’était pas dupe, elle savait qu’ils l’avaient entendue. Elle dissimula son poignard dans ses bottes, et prit une profonde respiration. Il était peut-être temps qu’elle accepte de l’aide. Mais elle ne voulait ni être emportée par les personnes de l’Arche, ni être ramenée dans les grottes, ou mieux, tuée. Etaient-ils en train de la rechercher ? Athénaïs se préparait déjà mentalement à fuir, le plus vite et le plus loin possible. L’un des trois était blessé, et bien plus qu’elle, elle lui échapperait. Quant aux deux autres, elle ne les avait pas assez longuement vus. Terrorisée mais courageuse, elle sortit un œil de sa cachette, et ce qu’elle vit la plongea dans une hésitation profonde. Parmi les trois guerriers se trouvait la silhouette, celle qu’elle n’avait pas vue, l’archéenne. Le choix n’était plus entre la mort, ou la fuite, mais entre la prison et la fuite, et elle ne savait pas ce qu’elle préférait. Saurait-elle courir assez vite ?

A la seconde même où elle s'était imaginée courir, Athénaïs y avait renoncé. Il était impensable qu'elle y parvienne, et même si elle avait réussi, ce n'était qu'une question de temps avant qu'une autre personne ne la retrouve. Et il valait mieux pour elle que ce soit ces trois-là, plutôt que trois autres, ayant de grandes chances d'être plus hostiles. Elle serra le manteau de Rhodàn contre elle, s'armant de courage pour affronter l'échec. Ce dernier était insupportable pour elle, battante. Cependant, elle se rendait bien compte qu'elle serait incapable de continuer dans ces conditions. Si la solitude l'avait si bien accompagnée, elle finirait par la tuer. Les blessures qu'elle portait sur son corps avaient besoin d'être soignées, son estomac rempli et son esprit apaisé par une sécurité permanente. Pourtant, malgré cette séance de rationalisation interne, Athénaïs désirait toujours s'enfuir. Elle choisit simplement de remettre la satisfaction de ce désir à plus tard, en un temps qui lui permettra d'en jouir pleinement.

« Ne t’enfuis pas. Nous sommes la pour t’aider. » Il semblait au courant. Ils semblaient tout trois au courant, et surtout à la recherche de quelqu'un. Ils n'étaient pas surpris de la trouver là, ils n'étaient pas sur le qui-vive d'une menace éventuelle. Ils semblaient ratisser les bois à sa recherche, sûrement à la recherche des rescapés des grottes. Athénaïs n'était pas sans songer que les deux guerriers pouvaient faire partie de ceux qui les ont torturés. L'amertume emplit son esprit alors qu'elle sort de sa cachette de fortune, le regard haut et fier malgré la douleur qui malmène ses membres. Sans un regard pour l'archéenne qui s'accroupit, Athénaïs fixe les deux autres membres de l'équipe, une haine sans limite emplissant ses pupilles. Son regard noir n'échappera pas aux terriens. La jeune archéenne s'entête à gaspiller sa salive et l'insolente torturée ne supporte pas ces pitreries. Faisant référence au questionnement d'Harper, Athénaïs lâcha, sans lui accorder un seul regard, « Vous avez le temps pour les futilités, vous ? » Qu'elle se relève, Athénaïs ne montrera aucune peur, pas depuis qu'elle a posé ses yeux sur les deux terriens. Chez elle, la haine prenait toujours le dessus sur la crainte. L'un à côté de l'autre, ils avaient fier allure dans leurs apparats. La jeune femme ressentait un dégoût sans fin pour ces terriens qui avaient massacrés les siens. Elle ne les considérait pas une seule seconde individuellement. Pour elle, ils étaient tous de la même trempe perfide et vicieuse. La solitude lui avait pleinement laissé le temps de cultiver cette aversion des terriens. Avec aigreur, elle fait quelques pas en leur direction, presque à reculons. Son expression est féroce, et si elle se mettait à grogner, cela paraîtrait presque normal. Les terriens ne devaient pas la penser menaçante, elle, la pauvre archéenne échouée derrière un arbre, le corps zébré de blessures. Alors qu'elle s'avance encore en direction des terriens, de ces créatures pour lesquelles elle ressentait une telle antipathie, son manteau s'écarta légèrement, laissant apparaître son t-shirt auparavant blanc, et aujourd'hui imprégné de sang chaud. Elle était extrêmement mal en point, quelques jours de plus et ses plaies auraient eu raison d'elle. Son cœur ne pouvait se résigner à retourner aux membres de l'Arche, mais son corps en avait cruellement besoin. Arrivée à quelques pas des terriens, elle cracha à leurs pieds, provocante, dédaigneuse. « Remballez vos belles paroles hypocrites. Vous avez torturé des innocents, et vous paierez par le sang. » Ses yeux si clairs étaient plantés dans ceux du guerrier qui semblait avoir la position de leader, malgré toute la répulsion qu'elle ressentait pour les terriens. Sa vision est troublée par la rancœur. Ses pupilles, elles, sont lugubres. Sauvages.