Things have to change | Pv Mordh

La nuit était en train de tomber lorsqu’Aamn traversa les rues en direction de chez lui. La journée avait été pluvieuse, grisâtre, comme l’humeur de l’Azgeda. Des discussions, encore et toujours, des hochements de tête approbateurs à droite à gauche et de temps à autre, furtivement, une idée qu’il avançait pour tenter de faire bouger les choses. D’ordinaire pourtant ce genre de conseil était une partie de plaisir et il se régalait à distiller par petites touches judicieusement choisies les dernières nouvelles qui pouvaient porter préjudice à ceux qu’il ne portait pas dans son cœur… Depuis la mort de Galath la vie était bien moins drôle, malheureusement pour lui ceux qu’il aurait tant aimé mettre en porte-à-faux étaient aussi ceux auxquels il devait montrer patte-blanche, prouver son allégeance. Aujourd’hui plus que jamais tout cela n’avait que trop durer et c’est le regard fermé et sombre qu’il arpentait les rues, arrivant enfin en vue de sa maison.

Rabattant sa capuche sur ses épaules il poussa la porte et fut accueilli par la douce chaleur qui régnait à l’intérieur. Nul doute qu’un Sikru aurait trouvé qu’il faisait encore bien trop froid, mais pour l’Azgeda c’était plus que suffisant pour qu’il se débarrasse de sa fourrure sitôt la porte refermée. Mordh apparu à l’autre bout de la pièce et un instant un sourire fendit son visage. « Comment vas-tu ? » Il était content de la voir et elle était probablement bien la seule personne capable de faire naître un sourire sincère sur son visage – quoique les déserteurs y arrivaient assez bien aussi lorsqu’Aamn voyait leur tête se détacher de leurs épaules, mais c’était une autre histoire, un autre type de sourire. Mordh ici, fière et forte comme à son habitude, cela signifiait que la roue continuait de tourner, que rien pour le moment ne venait les contrarier, que le changement était encore possible.

« De telles journées ne doivent plus durer… » Aamn se lassait. La situation semblait suffisamment stable désormais pour qu’ils puissent se permettre de songer à leur prochain mouvement. Syndra occupait la place de reine depuis trop longtemps, le peuple se ramollissait. Entendre des guerriers se plaindre du mauvais temps avait de quoi énerver particulièrement l’Azgeda, ils rouillaient. Bientôt ils deviendraient inutiles, apprendraient des métiers tous justes bons pour occuper les clans du sud. Le clan des glaces méritait bien mieux que ça et le regard d’Aamn s’était fait dur à nouveau tandis qu’il partait dans ses pensées, désormais assis dans son fauteuil favori duquel il pouvait surveiller l’extérieur du coin de l’œil.

Les terres Azgeda étaient encore fraiches – pour un qui était né sur ces terres et plus encore, pour un qui était né dans les contrées situées bien plus au nord que Ulfuris. Cela n’empêchait que le foyer du feu de la maison que Mordh occupait présentement était constamment chauffé par ses bons soins. Si jamais le froid entrait, il était difficile à déloger et qu’avait-elle de mieux à faire que d’entretenir le logis ? C’était ironique, elle qui avait été si proche du pouvoir, maintenant, se retrouvait à errer dans Orst, dans les couloirs creusés dans les montagnes, écoutant les murmures et les conversations des habitants. Ils avaient presque oubliés, oui, qu’elle avait été celle qui murmurait à l’oreille de Galath quand, dans sa folie, elle répandait la destruction sur son clan. Tout était trop paisible au goût de Mordh. Mais c’était une occasion qui se présentait, unique et exceptionnelle, celle de profiter des esprits engourdis par la paix. « Comment vas-tu ? » Elle posa le gris de son regard sur l’homme qui venait de rentrer dans la demeure et il y eut un sourire perfide sur les lèvres de Mordh, alors qu’elle reconnaissait les rares mimiques sympathiques d’Aamn. « Oh tu sais. » Il y eut un mouvement de sa main qui brassa l’air. C’était la même chose que depuis des semaines où elle attendait son heure, tapie dans la demeure de son plus fidèle allié.

Elle observa le conseiller de Syndra s’installer dans le siège où il se posait toujours et elle partit chercher une décoction qui fumait encore au-dessus du feu. Elle en servit deux verres, alors que son regard courrait sur les différentes plantes qu’elle étudiait, pour passer le temps. Puis, lentement, à son aise, comme si la maison lui appartenait – alors que c’était loin d’être le cas, elle offrit l’un des récipients à Aamn, avant qu’elle ne se pose contre le mur, à côté de la fenêtre. « De telles journées ne doivent plus durer… » Et l’expression presque calme de Mordh se tordit en une mimique plus sombre, ne prenant pas la peine de cacher ses véritables intentions quand elle était en présence de son oiseau de malheur préféré. « Je suis bien d’accord. » Elle laissa quelques secondes s’écouler, tandis qu’elle étudiait la boisson entre ses mains. « Que proposes-tu ? » C’était une invitation à la réflexion, comme ils le faisaient souvent. Ça commençait toujours ainsi, par l’un qui s’enquérait de la pensée de l’autre et puis, ils exploitaient les possibilités jusqu’à ce que la nuit tombe et qu’ils s’endorment insatisfaits chacun de leur côté.

« J’ai vu Cobra plus tôt. » Elle l’appréciait, ce jeune constructeur, qui avait tant de potentiel. « Il serait prêt à saboter un de ses navires. » Elle eut un rire, Mordh, la future reine, presque ravi. « Plein d’entrain. » Elle eut un bref soupir, sa mine ennuyée reprenant le dessus. « Ce serait trop grossier. »

Il savait oui, il savait même trop bien et la question était finalement plus rhétorique qu'autre chose. Le simple fait de voir Mordh chez lui suffisait à ce qu'il sache qu'elle allait aussi bien que possible en ces temps difficiles pour eux. Sa main balaya le vide d'un geste vague et Aamn se dit que ce geste était finalement un bon résumé de la situation. Du vent, beaucoup de mouvements pour pas grand chose, de l'air brassé. Il était las ce soir, réellement et finalement le sourire qui était né sur ses lèvres à la vue de la future reine - il n'en doutait pas un seul instant - s'était déja évanouie alors qu'il s'installait dans son fauteuil habituel. Sans s'en rendre compte tout de suite, il lui apparu tout à coup que Mordh était en train de leur servir à boire et peut-être bien qu'il appréciait cela en vérité. Ce n'était pas la première fois et ça devenait une habitude peut-être de voir Mordh chez lui, il ne s'en plaignait pas. L'Azgeda n'était pas facile à vivre tous les jours, elle avait son caractère, mais ça aurait certainement était mentir que de dire qu'Aamn n'avait pas le sien également. Quoi qu'il en soit les deux s'appréciaient en plus de partager des intérêts communs, la colocation n'était pas désagréable.

« Merci. » Ils pouvaient parler librement avec Mordh et Aamn ne se fit pas prier pour exprimer tout haut sa lassitude de la situation actuelle. Les murs avaient des oreilles parait-il, mais ici Aamn était chez lui et il savait qu'il ne risquait pas que des oreilles indiscrètes épient leur conversation. Si ça avait été le cas il y a bien longtemps déjà que sa tête ne serait plus sur ses épaules compte tenu des nombreuses discussions que Mordh et lui avaient déjà eut. « Je suis bien d’accord. Que proposes-tu ? » Cela faisait plusieurs mois que la question revenait de manière régulière, posait par l'un ou l'autre, en ouverture à une longue soirée d'idées jusqu'alors toutes rejetées. Aamn ne répondit pas tout de suite, se donnant le temps de la réflexion tandis qu'il sirotait son verre le regard figé sur on ne savait quel point que lui-même ne voyait pas.  « J'ai vu Cobra plus tôt. Il serait prêt à saboter un de ses navires. » Cobra... Aamn hocha la tête, amusé, souriant même, à nouveau en entendant le rire de Mordh. Plein d'entrain oui, c'était cela, Aamn ne crachait pas sur la fidélité du constructeur cependant, ils en auraient bien besoin le moment venu. L'idée toutefois, même si elle avait eu le mérite de les mettre de bonne humeur manquait un peu de subtilité et Aamn hocha la tête à la conclusion de Mordh. « Même si je dois avouer que cela serait plaisant... Je ne pense pas que ce soit la meilleure solution. » Mais quoi alors ?

A nouveau Aamn se perdit dans ses réflexions, laissant le silence revenir et le crépitement du feu imprimer l'atmosphère de la pièce. « Il nous faudrait quelque chose qui légitime notre action. » Quelque chose qui les feraient passer pour les sauveurs du clan Azgeda. Mordh tout au moins, lui n'était que l'homme de l'ombre, rôle qui lui convenait parfaitement. Une diversion, une raison qui les pousseraient à se débarrasser de Syndra pour le bien du peuple. Il soupira, déviant finalement sur d'autres sujets. « J'ai quand même entendu quelques discussions intéressantes aujourd'hui, certaines langues semblent se délier, tous les guerriers ne sont pas ravis de ce manque d'activité. L'entraînement ne remplace visiblement pas une bonne bataille. » Ça ne leur apportait pas une solution pour reprendre le trône mais ça donnait peut-être un peu d'espoir.

Elle ne pouvait pas dire les années avec précision, Mordh, depuis qu’elle connaissait Aamn. Elle était incapable de se rappeler de leur rencontre. Dans ses souvenirs, il y avait jute une distinction claire entre l’époque où elle ne connaissait pas le chasseur de déserteur, et celle qui suivait sa rencontre, le voyant de manière régulière. Ce n’était pas un ami, car celle qui serait reine n’appréciait pas ce qualificatif, trop léger et sujet à la faiblesse. Aamn pourrait lui être arraché qu’elle ne cillerait pas (du moins, pas dans l’immédiat). C’était un allié, c’était son bras droit, et elle aimait le savoir à ses côtés, comme l’ombre qu’il était si bien. Homme sombre et discret. Pourtant, si nécessaire. Les jours qu’ils avaient passé ensemble faisaient que le désir de vengeance n’était plus qu’un sentiment éthéré. Il devenait possible, presque tangible. Ne restait plus qu’à trouver la solution idéale pour mettre fin au règne de Syndra. S’ils tâtonnaient, ils finiraient bien par trouver. Ce n’était qu’une question de temps et les deux âmes dans cette chaumière avaient prouvé qu’ils savaient user de leur patience.

« Il nous faudrait quelque chose qui légitime notre action. » Il y eut un sourire satisfait sur les lèvres de Mordh, alors que Aamn émettait à voix haute la suite des pensées de la rousse, ce qui avait été sur le bout de sa langue, attendant juste le bon moment pour s’exprimer. Ils fonctionnaient suivant les mêmes cadres logiques et c’était plaisant, pour Mordh, de ne pas devoir se méfier quand elle était en présence de son oiseau de malheur préféré. « Il faut dissimuler l’acte régicide derrière un bon prétexte. Ca ne doit pas rester qu’un meurtre, sinon un bon nombre se fera le plaisir de me couper la tête. » Elle ne doutait pas de ça, Mordh, car c’étaient les mêmes noms qu’elle ferait tomber dès qu’elle aurait accès au trône. Elle soupira dans sa réflexion, buvant un peu de sa concoction, son regard voyant au-delà des vitres de mauvaises qualités, qui déformaient tant la réalité. Était-ce ainsi que Galath avait fini par voir le monde, un ensemble diffus de silhouettes qui se succédaient ? « Tous les guerriers ne sont pas ravis de ce manque d'activité. » Ah, qu’elle appréciait ce genre de nouvelle. « L'entraînement ne remplace visiblement pas une bonne bataille. » Elle acquiesça, ses doigts courant sur les cicatrices de ses avant-bras, qui marquaient son rôle dans son clan, marques que son mentor lui avait un jour apposé, quand elle n’avait pas dix ans.

« C’est une fausse perfection. Ils savent se battre entre eux, contre des Azgedas. Nous n’avons pas besoin de ça. » Il y eut cet air maussade. « Je veux des tueurs de Trikru et de Sikru. Des monstres qui savent supplanter la peur du champ de bataille. » Mais c’était un autre sujet. Elle ne serait en rien général de ses armées… elle avait une autre personne en tête pour cela. « C’est Eendth qui doit se lasser de tout ceci. » Mais Eendth n’était pas une alliée pour autant, et si elle respectait la chef d’Ulfuris, Mordh resterait indéniablement méfiante. « Elle restera lasse encore un certain temps. La guerre arrivera, en temps voulu. » Elle sembla réfléchir un instant, le silence se prolongeant, avant qu’elle n’ouvre la bouche, sentait l’air frais s’engouffrer dans ses poumons. « Tu me présenteras ceux qui ne sont pas ravis du manque d’activité… Ils pourraient servir pour une émeute. » Qui déborderait, qui tuerait Syndra ? Il avait tant de façon de tuer une reine, mais laquelle serait idéale ?

Non, le meurtre pur et simple ne pouvait être la solution à leurs problèmes, ce n'était pas cela qui mettrait Mordh sur le trone, Aamn en était convaincu. Syndra aurait disparue depuis bien longtemps sinon et il n'aurait plus besoin de jouer ce rôle dans lequel il se sentait de moins en moins à l'aise. Pas qu'il est peur de finir au fond d'un cachot dans un jour proche, non, il était bien trop intelligent pour cela, ses discours étaient rodés, Syndra était trop faible. Aamn ne craignait pas pour sa vie, seulement il avait l'impression de stagner, voir de reculer, ce n'était qu'un mauvais moment à passer mais il commençait à s'éterniser. « Peut-être Arzhel accepterait-il enfin le trone si vos deux têtes tombaient ? » Il y avait peu de chances toutefois, il l'avait déjà refusé à plusieurs reprises et semblait se contenter de sa position de chef d'Orst. Aamn ne comprenait pas, il ne comprendrait probablement jamais les choix de cet homme, mais ce n'était finalement pas un mal. Lui-même ne voulait pas du trone certes, mais il ne prétendait pas non plus à une position de chef. Homme de l'ombre et oiseau de malheur, voilà deux qualificatifs qui lui collaient à la peau et le résumait fort bien.

Ce n'était toutefois pas avec ce genre de réflexion, tout justes bonnes à cracher un peu de venin gratuitement, qu'il allait trouver un plan pour qu'enfin les choses changent. A défaut de mieux, il se contenta finalement d'informer Mordh de ce qu'il avait pu entendre en laissant trainer ses oreiles là où il faut. « C’est Eendth qui doit se lasser de tout ceci » Il haussa les épaules, un mince sourire aux lèvres « Probablement, on ne peut pas lui enlever ça, ses guerriers sont redoutables. » Levant son verre jusqu'à ses lèvres il laissa le liquide encore brûlant lui réchauffer la gorge avant d'ajouter, un peu plus faiblement, comme pour lui-même « Espérons qu'ils le restent. » Il n'appréciait pas outre mesure la chef d'Ulfuris, il n'appréciait pas grand monde pour être honnête, il était trop méfiant pour ça, trop solitaire et dénué de sentiments. Mordh faisait tout juste exception. Ce qui le gênait avec Eendth c'était son passé, elle n'avait jamais adhéré à la politique menée par Galath et ne s'en était jamais réellement cachée. Mais soit, Eendth n'était pas le problème le pus urgent quoi qu'il en soit et il hocha finalement la tête à la question de celle qui un jour, bientôt il l'espérait, gouvernerait le nord. « Bien entendu. Ils sont de moins en moins difficiles à trouver. » Bientôt peut-être le souhait de Mordh deviendrait-il réalité ?

Une fois de plus Aamn soupira, il en doutait toutefois. Même si les hommes parlaient, l'émeute semblait encore lointaine et bien incertaine. Syndra avait le pouvoir et même si la répression avait fortement chutée depuis son accession au trone tout n'était pas non plus permis. Il y aurait toujours quelques hommes faibles pour souhaiter que la paix perdure, au détriment de la puissance de leur clan, quelques esprits étroit à penser qu'il serait de bon ton de dénoncer tout début de rébellion. « Ah si seulement l'hiver pouvait amener une bonne épidémie qui ferait le ménage parmi tous ces bons à rien... » Un hochement de tête résigné accompagna ses paroles et il s'enfonça dans son fauteuil avalant une bonne gorgée de la décoction de Mordh. Toutefois, cela ne dura qu'un temps avant que ses yeux ne se rétrécissent et qu'un sourire carnassier ne naisse sur son visage. Il se redressa, désormais parfaitement réveillé, revigoré par la lumière qui venait de se faire au fond de son esprit et sans un mot il plongea son regard dans celui de la jeune femme, les yeux pétillants d'excitation, attendant un signe que l'idée avait fait son chemin dans cet autre esprit sans doute aussi tortueux que le sien.

Accéder au trône n’était pas facile. Elle qui avait vu la couronne offerte à Galath quand celle-ci n’avait rien demandé, pour que Mordh y ait elle-même accès, il y avait tant à prendre en considération. C’était ainsi, elle allait forcer le destin au lieu d’attendre que ce fainéant ne décide de mettre une autre personne à la tête du Azgeda. Et ça ne serait certainement pas Arzhel. Maintenant qu’il avait décliné à plusieurs reprises la possibilité de diriger ses terres, quelle serait sa légitimité ? Surtout que dans l’avenir que Mordh envisageait, il n’y avait que peu de place pour le chef du village dans lequel ils résidaient présentement. Ainsi, la blague de Aamn ne la fit pas rire, tout juste lui tira une expression ennuyée. Arzhel était le dernier de ses soucis pour le moment. Il le deviendrait (ô combien le serait-il). Il y avait plus urgent et une reine à assassiner demandait toutes leurs réflexions, alors qu’ils butaient sur toutes les occasions qui s’offraient à eux. Si provoquer la mort d’une personne était simple, qu’importe son statut social, c’était tiré avantage de la disparation, qui n’était pas toujours évident. Qu’importe qu’une armée de guerriers mécontents soient à leur service.

« Ah si seulement l'hiver pouvait amener une bonne épidémie qui ferait le ménage parmi tous ces bons à rien... » C’était chose courante, le froid affaiblissant les défenses immunitaires, les plus faibles tombaient comme des mouches. Que ce soient les guerriers blessés lors des batailles, les nouveau-nés fragiles, les personnes âgées. « Ca ne serait pas ce qui tuera Syndra. » Dit-elle dans un soupir, alors qu’elle quittait cette vision brouillée des verres de la fenêtre, pour lire l’expression d’Aamn. Il était radieux, lui, son homme de l’ombre et elle fronça les sourcils devant un tel changement d’attitude. « Tu ne penses pas. » Elle restait critique, sceptique. « Je t’ai dit, les reines sont trop bien prises en charge pour être soign… » Elle s’arrêta, la lueur, finalement, se transmettant d’un être à un autre, prenant une couleur plus sournoise dans les iris de Mordh. Puis, le sentiment descendit, après avoir emplit l’esprit de la femme, longeant sa colonne vertébrale, tournant dans son estomac en une chaleur chaude qui lui tira un faible rire.

Il dura des secondes, ce pure sentiment d’émerveillement, alors qu’elle vocalisait ce qui avait été compris. « Elle n’a pas besoin de tomber malade. » C’était connu, au Azgeda, ces maladies et ça restait discret, médiocre. Trop pour que ça attire l’attention du peuple, son inquiétude… Mais à plus grande échelle, des sacrifices pouvaient être fait, des prières aux dieux offertes. Et s’il y avait une personne qui, depuis longtemps, avait appris à se servir de ces dieux qui n’existaient pas, c’était Mordh…

« Ça ne serait pas ce qui tuera Syndra. » Oh que non, ce n'était pas une simple maladie hivernale qui viendrait à bout de la reine actuelle, Aamn en était bien conscient et Mordh devait bien se rendre compte que ce n'était pas là qu'il voulait en venir. Son esprit tournait certes au ralenti depuis qu'il évoluait aux côtés de ces gens dont il n'appréciait pas la façon de voir les choses, mais à ce point tout de même... Il ne répondit rien aussi, se contentant de garder son sourire énigmatique clairement plaqué sur son visage, fixant Mordh dans l'attente qu'elle comprenne d'elle même ou qu'elle admette finalement ne pas voir où il voulait en venir. « Je t’ai dit, les reines sont trop bien prises en charge pour être soign... » Il était certain qu'elle finirait par comprendre ce qui se cachait derrière son humeur soudain joyeuse, derrière ses yeux pétillants de la joie de toucher peut-être enfin du doigt un plan qui les mèneraient vers ce trône que Mordh convoitait.

Une lueur s'était finalement allumée dans le regard de Mordh, et même si le silence se prolongea encore quelques instants Aamn savait à cet instant que dans la tête de son allié un plan était en train de prendre forme, le même que dans la sienne sans aucun doute, tout cela lui paraissait tellement évident à cet instant, pourquoi n'y avaient-ils pas pensé avant ? « Elle n’a pas besoin de tomber malade. » Aamn hocha la tête lorsque Mordh évoqua à haute voix le fond de ses pensées, de leurs pensées. « En effet, elle n'en a nullement besoin. » Il suffisait que l'épidémie prenne suffisamment d'ampleur pour que le simple fait d'attendre que l'hiver passe ne soit pas suffisant. Les mots n'étaient probablement pas nécessaires pour que les deux se comprennent, mais Aamn choisit toutefois d'exposer son point de vue, ne craignant nulle oreille cachée dans un recoin de cette habitation qui était la sienne. « Bien entendu il faudra que l'épidémie se propage, que malheureusement les plus faibles meurent en nombre avant que cela prenne l'ampleur dont nous avons besoin... » Il n'en était nullement désolé, bien au contraire, cela ne ferait à terme que renforcer la force du Azgeda, Aamn en était convaincu. « Et alors un sacrifice sera nécessaire, pour apaiser les dieux mécontents de nos dirigeants... Je te laisse cette partie, bien entendu, qui mieux que toi saurait invoquer ces occultes puissances hein ? » Allons, un peu de flatterie n'avait jamais fait de mal n'est-ce pas ? Même si cela relevait peut-être plutôt de l'humour mais soit, l'idée semblait bonne, réalisable, et pour la première fois depuis bien longtemps Aamn se sentait de bonne humeur, prêt à reprendre ses murmures d'oiseau de malheur.

Cette épidémie, il leur faudrait la créer, l'entretenir savamment. Elle commencerait sur un mensonge, certes, et ce n'était pas ce qu'affectionnait l'homme de l'ombre, mais il comptait bien faire de ce mensonge une réalité que personne ne pourrait remettre en doute. C'était son rôle de s'en assurer et s'il faillait à sa tâche ce serait probablement la dernière chose qu'il ferait. S'ils décidaient de se lancer il n'aurait guère le choix, mais il s'en délectait d'avance.

Le sentiment était proche de l’euphorie et parfois, un rire d’une pureté malsaine franchisait la limite de ses lèvres pour se répandre dans l’air. Son regard s’était illuminé, mais il n’y avait aucune candeur sur ses traits. Si cette idée qu’ils venaient d’avoir fonctionnait, cela aurait de grandes répercutions sur le clan, sur leurs vies. Et des frissons dansaient sur sa peau d’une excitation presque impatiente, aux plans qui se mettaient en place. Ce n’était que le début, ce n’était que le balbutiement. Mais s’il y avait des personnes patientes aux Azgeda, s’étaient bien ces deux âmes. Mordh n’avait pas attendu plusieurs années avant de mettre en place cette vengeance. Elle pouvait voir les ultimatums, comprenait que l’homme était un être naturellement lent. Elle ne pouvait que suivre leur rythme. Bientôt, elle n’aurait plus à le faire, plus entièrement, quand elle serait à la tête de ce clan dont les ressources avaient été gaspillées depuis trois années maintenant.

Ils étaient beaux, ainsi, presque jubilant de ce que l’esprit d’Aamn avait porté au monde. Il ne resterait plus qu’à le réaliser, constater les conséquences de leur rêve. « Malheureusement les plus faibles meurent en nombre avant que cela prenne l'ampleur dont nous avons besoin... » Ils étaient beaux, ainsi, à se réjouir de la mort et du malheur qu’ils pouvaient projeter sur ceux qui le méritaient. « Ne fais pas comme si tu te souciais des faibles. » Ils étaient pareils sur ce point (et sur beaucoup d’autres). Ceux qui diminuaient le clan ne seraient pas une perte. C’était les aléas de ne pas pouvoir jouir d’un clan entièrement militarisé. Mais les faibles étaient nécessaires, c’étaient ce qui donnaient le goût à ceux qui avaient la force, mais qui manquaient de motivation, de se mouvoir, de se dépasser. Elle détournerait ce besoin en vengeance, en fidélité. La figure était toute trouvée : Syndra, celle qui avait amené la paix dans un clan qui survivrait grâce à la guerre. Syndra, celle qui avait gagné son accès au trône suite à la mort de Galath. Elle pouvait ne pas être responsable de l’assassinat, Mordh en avait parfaitement conscience. Mais de tous, elle était celle qui en avait tiré le plus d’avantages.

« Qui mieux que toi saurait invoquer ces occultes puissances hein ? » Elle eut un petit sourire, presque enfantin, parfaitement tordu sur ses lèvres qu’elle cacha de ses doigts fins et abimés par le froid. Elle se détacha du bord de la fenêtre où elle s’était installée, s’approchant légèrement de Aamn, jusqu’à ce qu’elle puisse déposer sa main sur l’épaule de son oiseau de malheur préféré. « Les dieux n’ont aucun secret pour moi. » Depuis toute petite déjà, elle se servait des os d’ours (et d’autres) comme d’un médium pour ses envies. Les plus crédules, les plus fervents, n’y voyaient que du feu. Ce seraient les plus faciles à manipuler, à convaincre. Quant aux plus dérangeants… « Quelle tristesse de perdre tous ces alliés de poids pour Syndra, eux qui seront emportés par la maladie. » Ou part d’autres assassinats sournois. Et le sérieux revint sur ses traits, alors qu’elle délaissant l’épaule de son ami et qu’elle allait s’installer sur un autre fauteuil. « Il va nous falloir des hommes pour disperser la maladie… As-tu une idée de ce que nous pourrions répandre ? » Assurément, mêmes les dommages collatéraux ne méritaient pas une mort douce.

L'esprit de l'oiseau de malheur était en ébullition, la fatigue de la journée, la lassitude de ses jours se répétant sans cesse, tout s'envolait avec l'excitation du plan qui voyait le jour en ce moment même. Bien plus beau que la naissance d'un bébé, ce machin rose et fripé qui hurlait, la naissance du plan qui les mèneraient tout deux vers les sommets était un moment indescriptible. Et probablement incompréhensible pour quiconque n'avait pas l'esprit tourné de la même façon que ces deux-là, autant dire qu'ils étaient peut-être bien les deux seules personnes à pouvoir partager leur allégresse. Qu'importe, ils n'avaient besoin de personne d'autres, ils se comprenaient. « Ne fais pas comme si tu te souciais des faibles. » Un faux air choqué apparu un bref instant sur le visage d'Aamn. « Oh, voyons Mordh, tu sais bien que je me soucis de chacun des membres de notre clan. » Et son attitude naturelle reprit bien vite ses droits, chassant ce faux visage qui d'ailleurs ne lui allait pas du tout pour laisser la place à son sourire carnassier, synonyme de bonnes nouvelles pour Mordh, de mauvaises pour ceux qu'il avait dans son viseur. Rien n'était plus vrai que ce qu'il venait d'annoncer, l'oiseau de malheur se devait de connaître aussi bien les forts que les faibles, de retenir qui pourrait un jour lui servir et... les autres, qui pour une fois lui serviraient fort bien également.

« Les dieux n’ont aucun secret pour moi. » Aamn hocha la tête en souriant, heureux de voir le regard de la future reine pétiller. Nul doute que ce rôle était fait pour elle, Mordh serait parfaite, l'oiseau de malheur n'en doutait pas une seule seconde. Déjà il s'imaginait que dans sa tête milles pensées se bousculaient, milles manières d'agir qu'il faudrait simplement ordonner, trier, et mettre en oeuvre pour que leur plan se réalise. Et déjà le sérieux revenait, l’euphorie des premiers instants, de la découverte de cette possibilité qui leur était offerte - non, qu'ils allaient s'offrir - d'enfin saisir ce pour quoi ils étaient fait, se dissipant dans des questions pratiques. « Il va nous falloir des hommes pour disperser la maladie… As-tu une idée de ce que nous pourrions répandre ? » Voilà une question qui assurément méritait une réponse et Aamn laissa son sourire s'évanouir pour retrouver le regard froid qu'il arborait naturellement. Ses sourcils se froncèrent tandis qu'il réfléchissait, plongeant une nouvelle fois ses lèvres dans la tasse désormais à la bonne température pour qu'il se permette une longue gorgée. « Je me dis que le mieux serait de passer par l'eau... » Aamn parlait sans cesser de réfléchir, mettant au point différents hypothèses, en éliminant d'autres en même temps qu'il parlait à Mordh, la pensée allait tellement plus vite que les mots. « Je pourrais chasser un animal malade, une contamination de l'eau pourrait rapidement nous permettre d'atteindre une bonne partie de la population. » Un mal venu dont ne savais où, tout au moins au départ, voilà qui pouvait leur convenir. Toutefois, même si des dommages collatéraux seraient inévitables, il était nécessaire de réussir à cibler les infectés, il n'était pas question que leurs alliés les plus sûrs se retrouvent cloués au lit ou pire, qu'ils meurent eux-aussi. L'idée était peut-être bonne, mais loin d'être aboutie et le regard d'Aamn se tourna vers celui de son alliée afin d'entendre ce que son esprit avait pu concocter.

C’était un différend niveau de considération, une vision du monde qui était biaisée, par rapport aux autres. Mordh et Aamn, ils avaient à cœur le bien de leur nation, du clan. C’était une idée qui dépassait la notion de l’individu, la pensée du bien de chacun. Ce n’était pas vraiment un idéal, car indéniablement, ils blessaient des gens dans leurs sillages. Mais c’était leur vision du monde, faite de meurtres, de mensonges, de tromperies. Azgeda était une déception, pour ceux qui avaient appréciés les grands jours de gloire du clan. Ils mettraient à terme à cette mascarade sur laquelle trônait Syndra. Un terme à ce subterfuge créé par l’assassinat de Galath. La future reine mettrait à un point d’honneur pour y arriver, qu’importe que cela lui coute la vie : c’était le prix que tous se devaient de payer, d’une manière ou d’une autre, lentement ou dans la souffrance. Beaucoup souffriraient, sous les actes d’Aamn. C’était une des raisons pour laquelle la rousse l’appréciait autant. Lui et cette expression carnassière qu’il revêtit, alors qu’elle ne retenait rien, dissimulait à peine son propre amusement aux propos de son oiseau de malheur préféré.

Mais ils n’étaient pas là pour s’amuser. Loin de là. Ils avaient assez flâné, assez attendu. Maintenant était l’heure de se mettre en mouvement, de planifier ce qui serait le début de la gloire retrouvée de leur clan. . « Je me dis que le mieux serait de passer par l'eau... » Le regarde de cendre de Mordh glissa sur sa propre boisson, envisage la possibilité. C’était une bonne idée, et le bref mouvement de sa tête prouva son aval. Les puits pouvaient être une bonne manière de cibler les villages, sans toucher les nappes phréatiques qui pourraient devenir viciées pour des années à venir, s’ils ne faisaient pas attention. « Je pourrais chasser un animal malade. » La ligne de son regard se plissa, la concentration visible, alors qu’elle pesait les arguments pour, et contre. « Non, ne fait pas ça. Il pourrait être repéré par un villageois… » Elle fit tourner sa boisson entre ses doigts, suivant un instant les formes insondables qui passaient devant les vitres de la maisonnée du conseillé. « C’est une des premières choses qu’il chercheront, si une épidémie se lève. » Ses doigt grattèrent les formes de son verre, alors qu’elle considérait les possibilités. Mordh n’avait jamais douté tiré profit de ces longues heures passées à écouter et lire les rapports de ce qui se passait dans le clan, quand Galath était trop enfoncée dans sa folie, pour se soucier de ces détails. Mais c’était dans ceux-ci que le diable dansait. Et un lueur dansa, dans le fond de son regard, quand elle mit la main sur l’élément qu’il leur manquait.

Elle ne sut pas combien de temps elle avait gardé le silence, mais ses lèvres sèches furent une indication. Si bien qu’elle but deux gorgées de sa tisane, avant de d’offrir à son bras droit ses plans. « L’animal malade servira de couverture. Ils penseront que le problème sera réglé. Mais ce que nous mettrons dans l’eau, ça sera autre chose. » Mordh n’aimait pas le terme de poison, car s’en était un qui avait tué Galath. Cependant, depuis ce tragique évènement, elle s’était intéressée de plus près à cette science si particulière. « Qui ne nous rendra pas malade, quand nous partagerons l’eau avec eux. » C’était un élément primordial également. Il ne fallait pas que les hommes de confiance soient abattus par la maladie. C’étaient les faibles qui étaient visés, pas les forts…

Lentement et le pas léger, avec une grâce retrouvée, elle partit chercher dans l’une des armoires un bagage dont l’existence n’était connue que d’eux deux (ah, encore un secret !). Mordh s’installa sur la table, laissant ses longs doigts parcourir les flacons, pour choisir l’ingrédient idéal. « Nous en donnerons à tes hommes de confiance, chacun avec un village bien précis. Si une zone n’est pas touchée, nous saurons qu’il y a eu des dissidences dans les rangs. » Et rien de tel pour remonter le moral de l’ancienne éclaireuse que de planifier la punition de traitres.

Hmmm Mordh avait raison, et elle était probablement bien l'une des seule à pouvoir ainsi le contredire sans qu'il ne s'en trouve offensé et nourrisse du ressentiment à son égard. Son intervention était juste, et si Aamn pouvait en vouloir à quelqu'un c'était seulement à lui-même de ne pas avoir vu cette évidence seul. Mais il ne s'en voulait pas, ils étaient en phase de réflexion, toute idée, même mauvaise pouvait faire avancer les chose, il hocha simplement la tête, grattant sa barbe de plusieurs jours. « Oui, tu as raison, c'est loin d'être assez subtil. » Et la subtilité était bien quelque chose avec laquelle ils allaient devoir jouer pour parvenir au résultat escompté, ce n'était pas en avançant à découvert avec de gros sabots qu'ils réussiraient à faire chuter Syndra.

Ils se plongèrent alors dans un long silence, chacun cherchant dans sa tête l'élément manquant, ce petit quelque qui leur permettrait de monter le plan diabolique qu'il rêvait d’échafauder. Combien de temps cela dura-t-il ? Pas plus que Mordh il n'aurait été capable de le dire, mais sa future reine bougea finalement et Aamn releva la tête, croisant son regard alors qu'elle portait son verre à ses lèvres et il sut qu'elle tenait quelque chose. Avide d'en entendre plus il attendit, silencieux, peut-être un peu tendu vers l'avant, et finalement il sourit. « Bien sûr... Mordh, ton esprit est fantastique. » Elle le savait, il le savait, mais c'était toujours bon de le rappeler et montrait combien Aamn partageait l'excitation qu'il sentait monter chez la future reine.

L’œil brillant, Aamn regarda Mordh allait chercher le fameux sac qui contenait forcément ce dont ils avaient besoin et se releva quand elle le déposa sur la table, trop excité désormais pour rester calmement assis dans son fauteuil à siroter son verre. Ces flacons, il ne doutait pas que Mordh savait ce qu'elle faisait, bien mieux que lui n'aurait été capable de le faire. Il la laissa observer, réfléchir, choisir. Son plan était doublement diabolique et il aimait ça, il pouvait sentir des frissons lui parcourir l'échine à l'idée que les choses allaient bientôt se mettre en marche. « Il n'est jamais vain de s'assurer de la loyauté des hommes. » Ils partiraient sur des bases saines ainsi. Même si Aamn espérait que les hommes en qui il pensait pouvoir avoir confiance ne le trahirait pas, on n'était jamais à l'abris d'une mauvaise surprise. Ce serait un coup dur à encaisser pour l'oiseau de malheur, mais il se débarrasserait du traître sans le moindre remord, bien au contraire. « Quand veux-tu que nous commencions à lancer les choses ? » Il était peut-être un peu impatient désormais, mais il faudrait encore du temps avant qu'il puisse avertir tous ses hommes et distribuer les fioles. Il faudrait être prudent, ne pas se faire remarquer... comme toujours. Mais cette avancée éclairait déjà grandement l'avenir qui jusque là c'était présentait sous des cieux bien sombres. Syndra mourait, cela n'était désormais plus qu'une question de temps, Syndra mourait et Azgeda vivrait, rien n'était plus important maintenant.

C’était ce sentiment, celui d’être à un tournant, d’avoir trouvé ce qui pourrait être l’élément déclencheur d’un renouveau (que Mordh ne considérerait comme tel que quand celui-ci arriverait réellement). Il y avait cette pointe d’excitation qui s’enfonçait entre ses côtes, alors que son esprit agençait les pièces de cette maladie qu’ils désiraient offrir sur les terres du Azgeda. « Bien sûr... Mordh, ton esprit est fantastique. » Elle rit un peu, avant de secouer la tête, vilaine joueuse. « Tu sais bien que la flatterie ne te mènerait nulle part. » Elle appréciait la plaisanterie, avant de se remettre à farfouiller les différents poisons qu’elle gardait précautionneusement, résultats de longues années d’études et d’entrainement. Au début, ce qui avait été une enquête pour découvrir quelle substance avait causé la mort de Galath, s’était muée en une passion discrète, qu’elle cultivait en toute discrétion. Bien que les mauvaises langues pourraient prétendre qu’un tel passe-temps n’avait rien de surprenant pour la future reine. « Il n'est jamais vain de s'assurer de la loyauté des hommes. » Elle opina distraitement, Mordh. Elle ne pouvait qu’être d’accord et cette certitude était partagée entre les deux acolytes. La loyauté, un élément si important, mais qui changeait si facilement. Ceux qui ne pouvaient s’en tenir à leur serment de servir méritaient de mourir. Aux yeux de Mordh, tout le Azgeda mériterait d’être mis à feu et à sang, pour l’irréparable qui avait été commis, des années auparavant. Mais de cette même haine venimeuse qu’elle ressentait envers ces âmes innocentes, il y avait aussi ce devoir dont elle ne pouvait se détacher, Mordh. Celui de servir et de rendre la gloire passée au clan. Qu’importe s’il fallait l’éventrer pour y parvenir.

« Quand veux-tu que nous commencions à lancer les choses ? » Son regard bleu quitta finalement l’assortiment de fioles et de flacons, pour lire l’impatience qui tournoyait dans le regard de son oiseau de malheur préféré. Et elle sourit, presque tendrement, alors qu’elle considérait la réponse. « Attendons deux semaines, tout au moins. » Elle inspira brièvement, avant de sortir l’ingrédient parfait pour ce qui viendrait. « J’irais trouver les croyants et jouerais avec mes précieux os d’ours. » Et d’autres viles créatures qui n’avaient plus l’usage de leurs os… « Ils répandront la rumeur qu’un malheur va s’abattre sur le clan. » Rien de bien différent de ce que les plus pessimistes aimaient croire. Et Azgeda était connu pour essuyer les intempéries, autant qu’ils soient. Rien qui n’attirerait l’attention sur Mordh, car trop anodin pour être remarqué. « Cela nous laissera le temps de sélectionner les villages qui doivent être frapper par la maladie, traquer les bêtes, les rendre malade… » C’est que cela demandait de l’organisation, de répandre une épidémie sur tout un peuple. Si Mordh ne l’avait jamais fait, elle était persuadée qu’elle pourrait trouver des personnes de bons conseils… tout en s’intéressant aux anciens rapports, ces registres poussiéreux qui n’intéresseraient personnes, mais qui pourtant étaient de véritables mines d’ors… « Ensuite, il ne restera plus qu’à attendre que tout prenne de l’ampleur. » Ah, c’est qu’elle sentait presque le poids de la couronne sur sa tête. Presque, car elle ne vendrait pas la peau de Syndra avant de l’avoir tuée.

Spoiler:

hrp:

User de flatterie sur Mordh n'était certainement pas la meilleure des choses à faire pour parvenir à ses fins, et Aamn en avait pleinement conscience. C'est d'ailleurs parce qu'il ne désirait rien obtenir d'elle en particulier, sinon une place dans son plan diabolique qui lui était déjà acquise, qu'il s'était laissé aller à ce petit commentaire, sourire aux lèvres. C'était un sourire heureux, satisfait de cette soirée et des idées qui avaient germées dans leurs deux cerveaux, c'était un sourire à la Aamn, qui ne présageait rien de bon pour ceux qui ne monteraient pas dans le bon bateau. Il aimait cela l'Azgeda, cette excitation, cette impatience qu'il ressentait comme un fluide revigorant lui parcourant le corps. Il était pleinement éveillé désormais, en plein possession de ses moyens et ses yeux pétillais tandis qu'il observait Mordh analyser une à une ses petites fioles. Aamn ne savait pas ce qu'elles contenaient, ne voulait pas le savoir, il faisait totalement confiance à Mordh pour qu'elle choisisse la plus appropriée à la situation. Il voyait le futur, plus clairement que jamais et laissa peut-être son envie prendre le pas sur sa raison pour une fois, se permettant de montrer un peu d'impatience, il en avait le droit non ? En présence de Mordh et pour cette seule et unique fois, la nuit était trop belle pour se retenir. Ils étaient loin d'être des gosses et pourtant l'oiseau de malheur ressentait presque une joie enfantine, bien que malsaine, à l'idée que les choses allaient enfin bouger, pour le mieux si tout se déroulait comme ils le prévoyaient.

Quand Mordh posa son regard sur lui il y lu un peu d'amusement peut-être et l'oiseau de malheur reprit un peu contenance. Il ne fallait pas se montrer trop pressé, Mordh avait raison, comme toujours, deux semaines étaient probablement une bonne chose, le temps de finaliser les choses, de préparer le terrain, de vérifier que tous les méandres possibles avaient été envisagés et qu'ils ne laissaient rien au hasard. Un peu plus grave il hocha finalement la tête lorsqu'elle exposa de quelle manière elle souhaitait mettre à profit ce temps. « Je ne manquerais pas de me tenir informé des retombées de ces sombres rumeurs. » Aamn avait des yeux et des oreilles partout ou presque, l'oiseau de malheur disposait d'un réseau et tirait des ficelles bien huilées. « Je ne doutes pas qu'il suffira de quelques jours à peine pour que ces rumeurs se répandent comme une traînée de poudre. » Ou comme un poison dans l'eau, étant donné le sujet dont il était ici question.

Quoi qu'il en soit, l'un comme l'autre n'allaient bientôt plus avoir l'occasion de se plaindre d'ennui. Ils avaient du pain sur la planche, mais c'était un travail oh combien agréable qui les attendaient, le but en valait clairement la chandelle et Aamn n'hésiterait pas un seul instant à retrousser ses manches pour que tout se déroule selon leur imagination. Dès le lendemain il lui faudrait faire passer quelques messages, réactiver certains informateurs endormis depuis quelques temps, s'assurer qu'il pouvait toujours leur faire confiance grâce aux informations d'autres personnes plus proches de lui, plus fidèles. Il était reparti dans ses réflexions, se faisant mentalement la liste de ce qu'il fallait désormais accomplir. Finalement il releva la tête, sirotant la fin de sa tasse avant de reprendre la parole. « Je ne penses pas qu'il faille répandre l'épidémie trop loin. Pour commencer, laissons Baal'th et Ulfuris en dehors de cela, tout au moins s'ils ne cherchent pas à venir s'immiscer dans nos affaires.  » Ces villages étaient trop lointains selon lui. Oh bien sûr ils aviseraient si certains devaient retourner dans l'un ou l'autre des villages après avoir séjourné à Orst, il se pourrait bien qu'ils ramènent la maladie avec eux... Mais peut-être valait-il mieux se concentrer sur seulement quelques cours d'eau au départ, ils seraient toujours à même de donner plus d'ampleur à l'épidémie par la suite.