Memories Hurt Sometimes || Sethen

Memories Hurt Sometimes

Des cris qui résonnaient en écho dans un véritable enfer tâché de sang et de terre, il n’y avait pas pire vision dans l’esprit d’un Homme. Les silhouettes s’emmêlaient pour mieux se déchirer par la suite dans un ballet sanglant qui provoquait hurlements et pleurs brisés. Et que dire de ces lames qui venaient se rencontrer, qui s’entrechoquaient avant de ricocher contre une garde bien trop soudée pour être dépassée. Et là. A cet instant précis, une lance transperça ce tableau de pure horreur pour se figer dans cette silhouette, arrachant un cri à glacer le sang du plus courageux guerrier.

Des griffes semblaient se planter dans sa chair, le torturant lentement, lui arrachant toute idée de repos réparateur. Lincoln ouvrit doucement les yeux et contempla ce ciel tâché de nuages qui le dévisageait depuis deux longues heures déjà. Une douce brise caressa paresseusement son visage aux traits tirés, elle semblait vouloir murmurer des mots rassurants au creux de l’oreille mais la douleur était telle qu’il ne pouvait se concentrer sur ses paroles. Un grognement s’échappa de sa gorge alors qu’il mobilisait ses forces pour se redresser sur ses pieds, le paysage se mit à tourner et sa main se tendit dans une tentative de rencontrer un appui amical, hélas. Le terrien manqua de saluer le sol une nouvelle fois, mais le malheur fut évité par une reprise de dernière minute.

Une fois son gosier rafraîchi par quelques longues gorgées d’eau, il traça son chemin dans ce paysage désolé. La bataille n’avait pas été de tout repos pour Lincoln, son corps n’en était pas sorti indemne, ni même son esprit. Il avait pensé pouvoir surmonter ses souvenirs douloureux, mais ils étaient devenus aussi dangereux que ses adversaires et leurs lames avaient transpercé ses murailles, le blessant bien trop profondément. Trois doigts vinrent glisser le long du côté droit de sa face dans le touché d’une mémoire douloureuse.

Faucheur, il l’avait été et il souhaitait de tout cœur oublier cette drogue qui l’avait forcé à faire d’horribles choses. Des regrets, des remords, la culpabilité pesait encore lourd sur ses épaules, mais il ne laissait rien paraître, ne voulant plus évoquer le sujet. Pour lui en tout cas. Son regard se posa sur une silhouette qui lui évoquait justement ce passé cauchemardesque. Ses pas se firent plus lents avant de se faire absents. Le doute s’installa en lui alors que son attention ne souhaitait se détacher d’elle. Son histoire lui avait été brièvement évoquée, mais il n’en savait pas plus.

Il tâtonna sa blessure, ramenant des doigts poissés de sang devant ses yeux. Ses lèvres se pincèrent et son poing se fermant, blanchissant ses phalanges. Il avait été inconscient de se jeter ainsi dans le tas sans réfléchir aux conséquences que cela aurait pu impliquer. Il chassa la vision de ce liquide vermeil de son esprit et reprit sa route, jetant un coup d’œil au ciel le temps d’une dizaine de secondes. Puis il rejoignit la personne assise, serrant les dents pour faire taire cette douleur. Ses mains se joignirent alors que ses coudes se posaient sur ses genoux. « La bataille n’a pas été trop dure ? »

Memories Hurt Sometimes

Son regard s’attarda quelques temps sur le sien avant qu’il ne vienne se perdre dans le paysage désolé. Sa jambe tressautait au rythme de son anxiété, méditant sur ses paroles. Chaque bataille avait sa particularité et selon lui, chacune avait son lot de douleurs, plus difficiles à supporter que d’autres. Celle-ci avait été particulièrement éprouvante pour le terrien qui avait dû redoubler d’efforts pour ne pas y perdre la vie. Il se devait de revenir auprès de son aimée, il ne pouvait l’abandonner de la sorte. « Il est vrai que le danger a été éradiqué, mais à quel prix ? » Sa voix était à la limite du murmure, mais il savait qu’elle l’avait entendu, il ne cherchait point à débattre sur le sujet, mais il semblait évident de donner son avis.

Il se redressa quelque peu, lui arrachant un nouveau rictus. Oui il était blessé, mais ce n’était que purement physique. Ce n’était rien comparé à cette souffrance qu’il avait subie tout au long de sa transformation. « Ils ont bien plus important à faire, ce n’est qu’une égratignure. » Un bref sourire réussit à étirer ses lèvres alors qu’il posait de nouveau son attention sur Sethen. « Et toi ? Pas trop amochée ? » Il n’avait pas eu l’occasion de la voir combattre, mais il ne doutait pas de ses compétences. Chaque guerrier avait été brave pour lutter de la sorte contre pareils fous.

Mais un combat pouvait raviver de douloureux souvenirs, de quoi donner un double sens à cette simple question. Les deux anciens faucheurs ne s’étaient pas réellement attardés sur le sujet, peut-être un problème de temps ou tout simplement une envie de faire taire le passé. Ca n’avait été facile pour personne, il fallait le comprendre. Hélas, les gens bornés existaient toujours, et avec eux, leur moquerie et leur ignorance.

Un soupir s’échappa de sa gorge alors qu’il étendait ses jambes, ses doigts craquèrent sous l’impulsion qu’il leur infligea. Le vent soufflait doucement sur sa nuque, chassant ses morbides pensées. Il avait envie de courir, de se détendre, de se défouler, de chasser toutes ces impuretés qui avaient trouvé refuge dans sa poitrine torturée.

Memories Hurt Sometimes

Ses pensées se confrontaient les unes aux autres dans un combat qui semblait sans fin. Mais tout assaut fut stoppé par la voix de Sethen qui résonna sur le champ de bataille. Lincoln s’échappa, sa tête se redressa légèrement pour témoigner de son attention. Son regard se posa sur sa comparse alors que sa jambe ne cessait de tressauter. Un sourire étira ses lèvres abîmées et il lui accorda un hochement de tête pour la féliciter de cette victoire. Pas de cicatrices. Pas de souvenir douloureux.  

Et puis la question fut enfin posée et sa bouche se pinça. Il ne pouvait mentir, mais mettre le sujet sur le tapis n’était pas la meilleure façon d’apaiser les esprits. Mais pouvait-il vraiment faire machine arrière et inventer une toute autre raison à cet air tourmenté qu’il affichait ? Non, il devait dire la vérité, il en avait toujours été ainsi avec lui. Les remords s’agrippaient à son cœur de leurs grandes griffes et les souvenirs devenaient torrent. Octavia n’était pas là pour le soulager de ses craintes. « Eh bien. Pendant la bataille… Les souvenirs sont revenus. »

Il tapota sa boîte crânienne du bout de son doigt et prit une longue inspiration. « Je pensais que ça allait être plus simple de me battre de nouveau, mais c’est encore tout frais. Mes remords reviennent et je n’arrive pas à les chasser. » Son regard se posa de nouveau sur elle. Ses poings se serrèrent et sa gorge se noua. « Je ne pourrais jamais oublier. » Tout ce sang, tous ces cris, toute cette souffrance qui continuaient de couler dans ses veines. Il n’en pouvait plus, il avait besoin que ça cesse. Il se devait d’oublier pour pouvoir combattre de nouveau, pour ne pas se laisser distraire comme il avait fait sur le champ de bataille.

Memories Hurt Sometimes

Cette phrase lui fit l’effet d’un couteau en plein cœur, mais il ne laissa rien paraître sur ce visage déjà tiré par la fatigue. Il ne voulait pas, il le savait, mais il ne voulait pas admettre cette vérité qui lui glaçait le sang. Vivre éternellement avec ses rivières de douleur, ces torrents de rage incontrôlable, non il ne souhaitait pas que sa vie soit dirigée par des souvenirs. « Cet enfoiré. » L’injure lui avait échappé, mais il ne la regrettait pas. Tout faucheur le pensait tout bas, mais n’osait le crier sur les toits. Ils voulaient tous oublier, tourner la page.

Il l’écouta sans jamais l’interrompre, chaque nouvelle phrase était une nouvelle lame qui se plantait dans chaque partie de son être. Il s’était posé les mêmes questions, les avait tournés en boucle dans son esprit tourmenté sans avoir le courage de réellement chercher de réponses ? Il avait bien trop peur de la vérité. « Non, la mort n’est préférable en rien. Seuls les lâches la réclament et nous ne le sommes pas. » Il se tenait plus droit et son poing était serré sur son genou. Il n’en pouvait plus de cette injustice. Il n’en pouvait plus de cette partie sombre qui lui susurrait des choses horribles au coin de l’oreille.

« Je leur ai montré, je continue toujours de leur montrer que les faucheurs n’étaient que des machines, que nous n’étions pas maîtres de nos actes. Ne peuvent-ils pas ouvrir les yeux et se rendre compte de nos blessures toujours ouvertes ? Ils… » Sa langue passa sur ses lèvres alors qu’il cherchait ses mots. Lincoln refusait de déclencher une guerre en crachant sur le dos de ceux aveugles, ceux qui se permettaient de les critiquer sans connaître. Il leur était venu en aide pour cette bataille, il voulait la paix entre les peuples, il voulait un monde meilleur.

« Ils ne savent pas. Mais chaque traumatisme est difficile à comprendre quand on ne l’a pas vécu. » Son regard se perdit une nouvelle fois dans le paysage. « Mais je refuse de me sentir coupable. Ce faucheur n’était pas moi. Aucun faucheur n’était nous. »

Memories Hurt Sometimes

Elle avait sûrement raison, Lincoln était d’accord avec ses propos, il l’illustra d’un bref hochement de tête. Il fut légèrement distrait par la moiteur de son sang contre sa peau fatiguée, mais s’empressa de l’ignorer. Sa douleur pouvait encore attendre, il ne voulait pas partir, pas maintenant, c’était encore trop tôt. « Non heureusement, certaines personnes savent faire la différence et sont là pour nous aider. » Il avait déjà quelques noms en tête, ceux qui auront à jamais sa confiance et son aide éternelle, même à travers la mort.

Ses doigts tracèrent une ligne imaginaire sur son crâne aussi lisse que la pierre. Ses yeux se fermèrent quelques secondes, il s’accordait le temps de la réflexion. Il en avait besoin. Son cœur s’était doucement calmé dans le creux de sa poitrine et avec lui, sa respiration déjà moins rebelle. Son regard s’offrit une nouvelle fois au monde lorsque Lincoln l’entendit soupirer. Tranquillement, son attention se posa sur la blonde. « Les gens qui comptent pour moi ? C’est grâce à eux que j’ai vu la lumière. Sans eux, je serai resté ce monstre sans foi ni loi. » Son genou tressautait au rythme de son anxiété grimpante.

« Ils sont venus me chercher et me capturer. Jamais ils ne m’ont vu comme un monstre. Jamais. » Sa voix était presque comme un murmure alors qu’il repensait aux paroles de sa chère et tendre, et au reste de ses proches. Ils avaient toujours été là pour le raisonner. Le peuple du ciel avait su ramener sa partie humaine et chasser cette addiction. Il ne pourrait jamais assez remercier Clarke et le reste. Mais surtout Octavia qui avait été là durant toute cette douloureuse période de convalescence. Il avait hâte de la revoir. « Mais ce n’est pas pour autant que je me sens différent vis-à-vis d’eux. Parfois, je me dis moi-même que j’ai changé. Pas toi ? » Peut-être se contredisait-il, mais ce n’était pas important.

Memories Hurt Sometimes

Les paroles qu'elle prononçait étaient tout à faire juste, il ne pouvait pas nier ses propos. Il pouvait sentir les changements et les conséquences de ces quelques jours d'esclavage, mais il restait Trikru. Elle avait raison. Son côté monstrueux persisterait toujours dans un coin de son cœur, mais il pouvait toujours lutter contre. Le silence s'installa entre eux et Lincoln en profita pour faire le tri dans ses pensées qu'il jugeait trop brouillonnes.

Son regard s'abaissa vers sa blessure qui n'avait rien d'élégant ou de magnifique. La peau était enflée, rouge, les lèvres de la blessure tournaient dans les tons violacés. Pourtant la douleur semblait s'être atténuée. S'il continuait à repousser sa visite auprès des guérisseurs, l'infection n'en serait que plus grave. Dans un soupir, il se leva, une main pressée sur le flanc. "Tu as raison."

Il la remercia d'un hochement de tête avant de tourner les talons. "Fais attention à toi. Une nouvelle vie nous attend dans nos clans." Et il avança vers les tentes, les traits durs et la démarche boiteuse. Cette discussion ne l'avait pas aidé, il devait l'avouer. Au contraire, elle avait réveillé des peurs qu'il avait pensé à jamais oublier. Là, au plus profond de lui, vivait une parcelle de noirceur qu'il ne pouvait éradiquer.