Je souris un peu et je penche la tête en l'écoutant. Quoi ? Même pas un ami ? Personne à qui il manquerait ? Il ne serait pas pleuré ? Je ne peux pas le croire. Il a pourtant l'air si gentil... Je penche un peu plus la tête, puis finalement, je la redresse. Comment c'est possible ? Je ne comprends pas. Je grimace un peu. Même moi, je suis quand même un peu aimée. Je pense que je manquerais quand même à quelques personnes... Mais lui, pense que non. Alors est-ce que c'est juste une pensée ? Est-ce que c'est justifiée ? Je ne sais pas. C'est difficile à dire quoi. Je grimace un peu et je lui réponds : « C'est quand même triste... ». Je le regarde un moment puis je dis : « Tu en es vraiment sur ? Parfois les gens ne sont pas vraiment capables de dire ce qu'ils pensent à ceux qui comptent pour eux… Je suis sure que certains ne le montrent pas mais qu'ils tiennent à toi... ». Et je sais de quoi je parle. Pour ma part je suis plutôt une grosse quiche, sentimentalement parlant. C'est comme ça.

Lorsque nous parlons de la montagne c'est à la fois effrayant et vivifiant. C'est à la fois l'avenir et le passé. C'est chargé d'histoire, d'émotions. C'est le moins que l'on puisse dire. Et c'est clos. Et oui... Clos. Je grimace un peu et je souris doucement à l'idée d'aller m'enfermer dans un endroit clos et sans fenêtre. Je ne suis pas sure que ça soit bon pour ma claustrophobie ça... Mais c'est comme ça. Je l'écoute donc et je réponds : « Je pense comme toi... Ils n'ont pas tous choisis, certains ont juste subi. Et certains sont morts pour tenter de faire changer les choses. Cela montre bien qu'ils ont du potentiel. Et puis nos deux peuples aussi ont fait des choses dont ils ne peuvent pas être fier. Donc, nous ne sommes pas si différent... ». Je souris de plus belle. J'aime discuter avec lui. Le baume est apaisant sur mes jambes. Il rafraîchit les zones qui encore quelques minutes avant étaient brûlantes. Et je me sens mieux, la douleur est largement plus supportable. Même si mon épaule et ma cheville continuent à être douloureuses. Il reprend la parole et je lui dis : « Je n'ai pas vraiment eu l'occasion d'en parler avec eux. Mais ils ont réussi à pardonner aux tiens... Alors j'ai bon espoir, même si cela doit être plus long. Mais je sais qu'ils peuvent être comme ça aussi... Je ne suis pas partisane de la vengeance. Mes amis et moi avons perdu un ami à cause de cela... ». Oui, je pense à Finn, mort à cause de l'une de leur coutume barbare. C'est un peu triste. Je souris et je lui dis : « C'est à nous de faire en sorte que ça change, de leur montrer que nos convictions nous renforcent, qu'elles nous aident à être plus unis, à construire de plus grandes choses... ». Je ne sais pas vraiment depuis quand je suis aussi pleine d'espoir et de force. Mais c'est arrivé. J'ai fini par trouver ma place. C'est une bonne chose je pense. Je reste un moment silencieuse après tout cela. C'est une bonne chose au final. Cette discussion, cette alliance, cette paix qui se profile. Une longue période de tranquillité. Je souris un peu et je demande : « Tu as visité d'autres clans déjà ? ».

C'est plutôt apaisant de parler avec lui. Il est tellement calme et il semble tellement doux. Après tant de brutalité, c'est tellement bon de pouvoir juste profiter de quelques minutes de douceur et de calme, sans précipitation, sans brusquerie. Il reste doux dans ses gestes, même pour appliquer le baume, même s'il semble parfois un peu épais et qu'il pourrait être dur à étaler. Non. Et la conversation est plutôt positive, plutôt emplie d'espoir. C'est sans doute ça qui aide aussi. La compassion, la sagesse qui transparaît dans ses paroles. L'envie de paix, l'envie de pardonner. Je suis plutôt heureuse d'être là. Même si je suis entièrement endolorie. Je l'écoute à nouveau et j'esquisse une légère grimace. Je le regarde un long moment puis je lui dis : « Cela prendra du temps, c'est certain. Mais rien n'est impossible tant que certains y croient... Nous sommes là pour transmettre notre optimisme, nos espoirs... ». Je le regarde simplement, et je lui souris de plus belle. Je veux croire que le plus petit nombre peut changer les choses. Mais je suis encore jeune, peut-être que j'ai tort de m'impliquer de la sorte. Mais si personne ne le fait ? Qui le fera ?

Puis, il inspecte ma cheville et mon épaule et rend son verdict. Tout en le faisant, il fait signe à un autre soigneur. Si Quatre semble plutôt doux et amical, le soigneur qui s'approche semble plutôt dur et rustre. Cependant, je ne veux pas le vexer alors je ne dis rien, j'acquiesce et laisse le soigneur approcher un peu plus pour qu'il inspecte à son tour la fameuse épaule. J'essaie de faire abstraction de mon angoisse en écoutant le jeune homme me dire ce qu'il a vu de son monde. Je le regarde un moment puis je lui dis : « Ton voyage a dû être passionnant ! J'imagine qu'il doit y avoir des tas de différences entre les différents clans, et leurs différentes terres... As-tu vu des choses qui t'ont marquées ? ». Je reste un instant songeuse pour répondre à la question qu'il m'a posé. Qu'est-ce que j'aimerais voir moi ? Je finis par lui dire : « Je crois que j'aimerais voir la mer. J'ai vu des images, j'ai lu des livres. Mais je crois que j'aimerais la voir pour de vrai et profiter du spectacle magnifique que cela doit être ». Et pendant que je réponds à sa question, un peu perdu dans mon imagination, le soigneur qui a fini de palper mon épaule me la remet en place dans un craquement sec qui me tire un grognement de douleur suivi d'un grommellement : « C'est pas vrai ça fait super mal... ». Je grimace de plus belle puis finalement je bouge un peu mon bras pour me rendre compte qu'une fois le choc passé, la douleur reflue et est largement plus supportable que quelques secondes auparavant. Alors je regarde le soigneur à qui j'adresse un signe de tête tout en disant : « Merci... ».

Je suis heureuse de l’avoir rencontrée. C’est une bonne chose. Il est apaisant après la bataille. J’ai vu et fait des choses horribles. Même si ces gens que j’ai tué sur le champ de bataille étaient des monstres, je ne suis pas sure que cela justifie de devoir les tuer… Je ne suis pas sure d’apprécier cela. Peut-être que je ne suis pas faite pour être garde ? Peut-être que je trouverais une autre voie dans la montagne ? Je verrais bien. En tout cas, je suis sure que Rhodan pourra m’aider. J’esquisse un léger sourire alors qu’il me parle de son voyage. Des différents clans, des différentes coutumes. Des différents rituels. Je suis fascinée par ses paroles. J’aurais bien envie de pouvoir parcourir tout ça. Découvrir les différents clans à mon tour. Vivre ce genre d’expérience. Je souris un peu en l’écoutant puis je lui dis : « Ca à l’air incroyable… ». Le temps de l’écouter et de parler et le voilà qu’il me remet l’épaule en place. Je grogne mais je le remercie.

Et j’écoute Jakob qui me dit que la douleur va passer et que je dois laisser mon épaule au repos quelques temps. J’acquiesce un peu et je résiste l’idée de lever mon bras pour voir si je peux à nouveau le bouger sans avoir trop mal. Cela irait à l’encontre même de ce qu’il vient de me conseiller. Je le suis du regard quand il va chercher une bande et qu’il revient et je l’écoute à nouveau. Je souris amusée et je lui demande : « Qui ça ? ». Oui je suis curieuse de savoir qui lui a déjà dit ça. Je reprends la parole : « Je crois que c’est l’idée d’immensité sans mur… Mais aussi la beauté des lieux peut-être… Difficile à dire… ». Je souris toujours. Bien sûr que je souris. Même si je suis encore sous le choc de ce qui s’est passé. Même si je garderais ces images en tête pendant encore des années. Mais j’ai survécu. J’ai fait mon devoir pour entretenir la paix et pour espérer qu’il n’y ait pas d’autres guerres avant longtemps. Je regarde Jakob avec sa bande. Je devine que c’est pour ma cheville alors je lève un peu ma jambe blessée pour l’aider. « Mais je suis heureuse d’avoir découvert les plaines et les prairies… Ce sont des paysages dont je n’imaginais pas la beauté… ». Je souris de plus belle. Oui, cet endroit est charmant. Il faut bien le dire. Je ne sais pas si j’apprécierais d’y vivre. Mais les prairies sont vraiment belles.

Je regarde les autres blessés un instant. Certains sont en très mauvaise état. Et c’est là que je me rappelle de cette femme qui m’a aidée et qui était gravement blessée. Je ne me souviens plus très bien. Je ne connais même son prénom alors je lui demande : « Avec moi sur le champ de bataille il y avait une femme au long cheveux noir. Elle a été évacuée rapidement, je crois qu’elle était égorgée enfin… en partie… Est-ce que tu l’as vue ? ». Je suis un peu inquiète pour elle. En plus je lui ai tiré dessus, alors… Je me sens un peu coupable.

Les choses semblent se calmer autour de nous. Dehors aussi. C’est étrange ce calme. Cela me fait un drôle d’effet. Parce que pendant que la bataille faisait encore rage, les mauvaises nouvelles restaient dehors. Mais plus le calme se fait et plus j’ai peur d’entendre le nom de mes amis dans le nom de ceux qui ne respirent plus. Alors, oui, j’appréhende beaucoup ce qui va arriver. Ce que je vais entendre. Mais parler avec lui m’apaise. En entendant le nom de Raven je souris et j’acquiesce un peu en lui répondant : « Oui… Raven, notre super mécano… Nous irons voir l’océan ensemble alors… ». Je souris. Je suis sure que ça sera le cas. Nous nous donnerons le temps et les moyens de le faire. Nous irons jusqu’à la côté, nous irons admirer le couché de soleil sur l’océan. La vue imprenable. Les remous de l’eau. L’écume des vagues. Oui. Je souris un peu plus.

Puis, il me répond. Il ne l’a pas vue. Mais il se peut qu’il l’ait loupée, ou qu’elle soit arrivée à un moment où il était déjà occupé. Je souris un peu tristement puis je secoue un peu la tête pour répondre : « Non… Je ne la connais pas, mais elle m’a aidée, là-bas… ». Je regarde à nouveau autour de nous. Je me demande comment seront nos vies maintenant. Je me demande qui sera encore là. Qui je vais devoir pleurer. Je fais une légère moue et je lui dis : « Non.. Reste s’il te plaît… ». Je le regarde à nouveau et je dis : « Je ne sais pas… Je… Je ne sais pas comment je vais réussir à gérer si l’un de mes amis est mort… ». Ma gorge se serre un instant. Maintenant que le calme revient, y compris dans ma tête et dans mon cœur, l’inquiétude grandit. C’est un peu comme un monstre qui grandit à mesure que le temps passe, plus gros à chaque seconde qui s’égrène et qui menace de me dévorer. Le monde change. Et je ne suis pas sure de vouloir le voir changer.

La fatigue commence à se faire sentir. La douleur aussi. L’adrénaline s’amenuise doucement dans mes veines et l’ensemble des choses que j’ai vues, que j’ai faites, que je vais devoir gérer dans les heures qui viennent commencent à prendre plus d’ampleur. Je fais une légère moue. Mais il est suffisamment gentil pour rester avec moi. Je m’occuperais de la femme plus tard. Quand je serais plus capable de me sentir forte et d’assumer. Là, j’ai juste besoin d’une pause. Une petite pause. Encore quelques minutes dans un cocon. Je le regarde et je le remercie d’un sourire alors qu’il m’explique qu’avec le temps on se fait au fait de ne plus voir les personnes qui nous sont chères. Jasper, Jimmy, Monty, Raven, Charlie. Même Clarke. Même si je ne l’aime pas, elle a fait partie de ma vie, d’une certaine façon. Je le regarde un long moment et je lui dis : « Je ne sais pas si je serais assez forte… ». Je souris un peu triste, essayant de ne pas trop y penser. Rien que l’idée de devoir vivre sans eux, qui sont ma famille aujourd’hui me fait peur, me fait mal. J’en aurais presque les larmes aux yeux. C’est terrifiant. Il reprend la parole et ce qu’il me dit me rend le sourire. J’acquiesce un peu et je lui dis : « Tu as raison… Ce sont des dures à cuire. De vraies mauvaises herbes, impossible à exterminer… ». Je ris un peu à cette image. Mais l’épidémie qu’ils nous ont envoyée par le biais de Murphy a fait des ravages. De nombreux morts. Je retiens mon soupire et je lui souris à nouveau. J’apprécie ses efforts pour me remonter le moral.

Puis, il interpelle une soigneuse et lui parle dans sa langue. Je comprends quelques mots, mais pas tout. Et je n’arrive pas vraiment à tout capter. C’est difficile d’apprendre une langue sans cours, sans aide. J’essaie d’écouter, de trouver des similitudes entre les deux langues. Parfois, je capte des constructions de phrases identiques, il y a pas mal de mots qui sont les mêmes. Certains se ressemblent. Mais d’autres sont différents. Je les regarde puis je regarde Jakob terminer le bandage puis reprendre la parole. Je l’écoute et j’acquiesce un peu et je lui dis : « Merci beaucoup de ta patience et de tes soins… ». Je lui souris de plus belle et je réponds : « Je ferais attention. Sur l’arche, nous avions des béquilles pour ce genre de choses. Je trouverais des branches solides pour me faire une canne ou une béquille pour m’appuyer et éviter de trop m’appuyer dessus ! ». Je pense que je n’aurais pas le choix de toute façon. Je pense que je vais surement avoir du mal à marcher dans les prochains jours. Je devrais faire attention et me débrouiller pour ne pas envenimer ma blessure. Plus vite guérie, plus vite capable de recommencer à bosser de façon efficace. Et puis, je peux être heureuse, Jakob a raison, je ne suis pas la plus blessée du lot.