"Petite fille, tu t'endors."
Je la sens sursauter derrière moi et raffermir sa prise autour de ma taille. Cela fait plus de quatre jours déjà, que nous voyageons. J'ai beau en faire en sorte de m'arrêter régulièrement, la cadence est difficile à supporter pour une enfant. J'espère que nos informations sont bonnes et que nous n'aurons pas à continuer longtemps ainsi. Je suis mal à l'aise à l'idée de passer plus de temps que nécessaire avec Nayou.
Sa tête se fait plus lourde contre mon dos et je la sens glisse lentement. Fichue gamine. Je tire sur les rennes de Sonraun, ma vieille jument grise et elle se met au pas. Je nous dirige à l'ombre des grands arbres qui pleurent sur le fleuve. Nayou doit se reposer. J'installe une paillasse rudimentaire sur le sol et y couche la gamine. Je m'assois à ses côtés, j'attends. Il ne me fait pas longtemps non plus pour sombrer dans un demi sommeil. Ce sont ses cris terrifiés qui me réveillent.
"No ! Wan daun ! Wan daun ! " (Non, arrêtez ! arrêtez )
Encore.... Je lui saisis le bras et elle se réfugie dans les miens. Nayou ne pleure pas. Cette petite a l'air de garder ses émotions à l'intérieur et de les enterrer profondément. Je peux comprendre. C'est bien pour ça que je ne peux pas la garder près de moi. Je lui tends ma gourde. Elle l'accepte volontiers.
"On y va." annoncé-je.
Nayou hoche la tête mais ne me regarde pas. Je sais qu'elle m'en veut. Je sais aussi qu'elle souhaiterai rester avec moi. Il en est hors de question. Je ne peux pas. Je ne pouvais pas non plus la laisser mourir là où je l'ai trouvée. Petite chose transie de froid, recroquevillée dans la cavité d'une grotte à la frontière d'Azgeda. Les yeux fixés sur le cadavre déjà infestée de sa mère.
Je chasse ce souvenir en secouant la tête. J'aide Nayou a se remettre en selle et je monte à mon tour. Tranquillement, nous suivons le cours du grand fleuve. Pour apaiser les tensions, je m'efforce de chantonner une vieille mélodie de mon clan. Tant pis si c'est un peu mélancolique.
Au bout de quelques heures, j'aperçois enfin le Kraken à l'arrêt sur le fleuve. J'accélère la cadence et ne m'arrête que lorsque je peux me présenter à un garde.
" Hei ! Ai laik Ansgar en ai gaf yu fisa Nixia " ( Salut ! Je suis Ansgar et je cherche votre guérisseuse Nixia )
Nayou se serre davantage contre moi pour calmer son inquiétude. On nous demande d'attendre. J'en profite pour aller attacher Sonraun à un arbre. La petite ne me quitte pas. Je soupire, presque agacé qu'elle me demande tant d'attentions. De façon maladroite, un peu brusque, je la saisis par les épaules et la fixe :
" Nayou, tout va bien se passer. Je te le promets."
C'est vain. Et c'est même peut-être un mensonge. Elle feint d'acquiescer et nous redressons tout deux pour faire face à la passerelle artisanale du Kraken, attendant qu'on nous fasse entrer ou que Nixia vienne à nous.