Si vous venez de la station Agro :
- Avez-vous perdu des gens dans le Crash - Comment ? Non, elle n'avait pas grand monde à perdre pour commencer.
- Quel type de torture avez-vous subi ? Les plus communes : privations d'eau et de nourriture, isolement entre autre. Au début de son enfermement elle a tenté de s'échapper avec un petit groupe, ils ont tous eu les chevilles brisées en plus de subir le fouet pour servir d'exemple. Il y a eu également du waterboarding , ainsi que des brûlures et coupures, pour essayer de tirer d'elle des informations et des connaissances diverses. A partir du moment où elle est tombée malade ils ont arrêtés.
- Faites-vous confiance aux terriens ? Non. Elle n'a aucune confiance en eux à l'heure actuelle.
- Où êtes-vous maintenant ? Toujours prisonnière dans les grottes.
L'arrivée de la station Agro au sol fut une catastrophe. Il n'est pas difficile de deviner ce qu'il s'est passé : à peine atterrit nous nous sommes fait attaqués par des Terriens. Nous nous sommes fait capturés et traîné jusqu'à des grottes humides et froides, notre nouvelle prison.
A croire que nous n'étions pas destinés à voir les étoiles depuis la Terre.
Mais peut-être était-ce mieux ainsi si tout ce qui nous faisait face étaient des barbares assoiffés de sang.
Les premiers jours là en bas furent les plus difficiles. Nous étions à peine nourrit alors que nos geôliers devaient certainement débattre de ce qu'il valait mieux faire de nous. Ce fut durant cette poignée de jours que je découvrais mes co-détenus.
Et parmi eux Tara Crowley.
Je ne sais pas pourquoi mais elle attira mon regard plus que les autres. Peut-être était-ce la flamme qui brillait au fond de ses yeux bleus ou le sourire qu'elle adressait toujours aux autres, comme pour les rassurer, alors même que je pouvais entrapercevoir ses mains qui tremblaient par moment. Etait-ce à cause du froid ou de la peur ? J l'ignorais. Elle avait certainement compris que paraître abattu n'améliorerait pas le moral de ceux présents ici.
Je ne me serais peut-être pas plus intéressé à elle si les événements n'avaient pas tournés au cauchemar.
La première fois qu'ils emmenèrent quelqu'un avec eux nous ignorions totalement quel sort funeste nous attendait. Mais nous ne tardions pas à le comprendre lorsqu'ils ramenèrent leur victime parmi nous.
C'est ce soir là que Tara décida qu'il fallait agir, mettre un plan en action. J'écoutais d'une oreille distraite pendant qu'elle parlait à voix basse au reste du groupe. Anciennement infirmier sur l'Arche, elle m'avait demandé de m'occuper des blessés. Bien sûr j'avais accepté sans rechigné.
Quand mon patient revint dans un état de conscience correct, je lui expliquais la situation.
Il semblait surpris que cette femme ait pris son parti. Il m'expliqua alors, il me raconta comment plus jeune il l'avait connue, et même martyrisée avec d'autres. A l'époque elle était différente, plus effacée, plus renfermée, elle venait d'une famille peu appréciée de l'Arche et maintenant qu'il l'évoquait ça me revenait doucement.
Tiberius – c'était son nom – me raconta d'autres histoires encore, sur lui et sa famille qu'il avait perdu lors de la capture. Parler semblait le rassurer, comme si quelque part ça lui permettait de les faire vivre encore un peu.
En échange je posais des questions sur Tara.
Il me raconta ce qu'il avait entendu d'autre sur elle. En soi son parcours n'avait rien d'exceptionnel. Elle avait été formée comme ingénieure après avoir travaillé dur pour devenir apprentie. Elle ne semblait pas sortir du lot comme ça, mais selon lui elle était plus intelligente qu'elle le laissait paraître.
Il se souvenait la façon dont une fois elle avait utilisé ses connaissances de l'Arche pour échapper à lui et d'autres garçons. Il avait un peu honte de l'admettre mais je lui avais demandé. Il m'avoua soupçonner qu'elle avait passé la nuit là, car le lendemain elle portait les mêmes vêtements avec quelques traces de saleté en plus.
Des formateurs avaient discutés de ça en se croyant hors de porté des jeunes oreilles, et apparemment les parents de l'enfant qu'était Tara étaient négligents au mieux, carrément dangereux pour leur fille au pire.
Le groupe eut quelques jours de répits, sans doute les sauvages étaient-ils occupés par d'autres groupes que le nôtre. Nous étions isolés dans une grotte sans issue où l'air était lourd et vicié par notre présence. Inutile de vous dire que nous pouvions oublier les toilettes et autre accommodations.
Tiberius se remettait lentement mais sûrement et bientôt le plan pour s'échapper prit place.
La première phase se déroula sans trop de difficulté : la patience suffit pour attendre qu'un garde vienne essayer d'attraper l'un de nous. Nous l'attaquions et l’assommions avant de nous en prendre à celui qui l'accompagnait dans l'espoir que l'alerte ne soit pas donnée. Ceci fait nous avions pour but de retrouver nos armes. Même si la plupart d'entre nous n'avait jamais touché un pistolet, nous connaissions les rudiments de leur utilisation, aussi nous aurions dû pouvoir en faire quelque chose.
Malheureusement nous n'eûmes même pas l'occasion de nous en approcher car bientôt l'alerte fut sonnée et nous fûmes capturés de nouveau.
Tara prit le blâme et il n'en fallut pas plus pour qu'ils l'amènent loin de nous.
Il se passa une presque deux semaines avant qu'elle réapparaisse. Nous la pensions tous mortes et lorsqu'on la vit, nul doute que certains pensèrent qu'il aurait sans doute mieux fallut.
Son état était lamentable. Sous ses habits on pouvait voir des traces de sang et ses pieds pendaient dans des angles improbables. Lorsque je soulevais le tissu pour prendre soin de ses blessures avec le peu d'eau que nous avions, je découvrais que ses habits accrochaient à certains pans de peau brûlée. Ses chevilles étaient complètement brisées. J'ignorais si elles pourraient se réparer réellement un jour.
J'utilisais des bâtons et du tissu arraché d'une veste pour les maintenir en place comme je pouvais mais je la voyais souffrir. J'imaginais à peine les douleurs qu'elle devait ressentir, si elle ressentait quoique ce soit. Ses lèvres bleutées et son teint pâle, la peau marbrée par les veines, indiquaient qu'elle devait être gelée malgré une certaine fièvre.
Je prenais grand soin d'elle et dormais à peine durant les jours qui suivirent.
Il y a quelque chose dans le fait d'être prisonnier qui fait resurgir en nous nos plus bas instincts, le pire comme le meilleur, un changement profond et invisible au premier abord, comme une fissure lézardant un tuyau, une fissure qui se prolonge et s'agrandit au fil du temps au point que parfois l'homme laisse place à autre chose.
Et parfois, dans un souffle infime, je crois percevoir ce changement chez Tara. Comme si elle n'était plus humaine, plus qu'un animal qui priait pour que je mette fin à ses souffrances et l'abatte.
C'était l'espoir parti en fumé, tailladé et noyé à mesure que les tortures avaient prises places.
Un souffle de mort.
Le pire était sans doute lorsque la fièvre se saisissait de son esprit et que le délire s'emparait de son être. Des mots jaillissaient entre ses lèvres par intermittence, des suppliques auprès de personnes sans doute mortes aujourd'hui. Elle suppliait pour le pardon de ceux qu'elle avait aimé un jour et vénérerait si elle pouvait les retrouver quand sa gorge parcheminée par la soif le lui permettait, quand ses lèvres blêmes, craquelées, ne saignaient pas du pauvre traitement qu'elle subissait.
Je me demandais pourquoi elle demandait pardon quand un poids pesa sur mes épaules une fois. Je réalisais qu'elle devait avoir parlé. Elle devait avoir cédé sous des tortures auxquelles j'aurai à peine survécu.
Elle ne pourrait certainement pas survivre à tout ça.
Pourtant... pourtant elle survécut.
Dans ses moments de lucidité j'essayais de la ménager, de lui dire de ne pas parler, de garder ses forces, pourtant elle insistait. Elle me répétait souvent que je devais trouver quelqu'un, Seena, que je devais lui dire la vérité si jamais je parvenais à sortir d'ici.
Il fallut du temps pour que je comprenne qui était cette femme pour Tara mais je finis par le deviner.
La douceur qui se faisait dans son regard était sans appel dans ces instants et je comprenais. C'était le seul moyen que j'avais de comprendre cette femme, de saisir ce qu'elle ressentait. Son regard était des plus parlants.
Au fur et à mesure que le temps passe – le temps, une notion que nous oublions tous – elle commence à se rétablir. Ses chevilles vont mieux et j'ai bon espoir qu'elle puisse remarcher un jour. Elle essaye par moment de redonner espoir aux autres détenus mais leurs mines grises indiquent que ce qu'elle dit ne fonctionne pas. L'avoir vu comme elle était après deux semaines à se faire torturer a dû coupé court à toute pensée positive dans l'esprit des autres.
Tiberius me relaie lorsque j'ai besoin de repos et veille également sur Tara. Je les entend discuter même lorsque je suis allongé sur la pierre froide et face au mur, leurs murmures résonnent dans ce lieu glacial.
Il a fini par s'excuser de tout ce qu'il avait pu faire et peut-être est-ce seulement dû aux circonstances, mais elle l'a pardonné sans la moindre hésitation. Elle dit à quel point les choses ont changés pour elle quand elle a pu trouver son rôle sur l'Arche et qu'elle n'avait aucune raison de lui en vouloir. Elle parle de ce qu'elle était devenue, de la fierté qu'elle ressentait d'avoir su s'en sortir malgré tout.
Je sens dans la voix de l'homme qu'il est plus touché qu'il voudrait l'admettre d'avoir su trouvé la rédemption. Peut-être pense-t-il que la fin et proche et qu'il partira l'esprit libéré d'un poids. Peut-être, me dis-je, veut-elle se montrer grande avant une fin possible.
Le temps semble infini dans ses grottes et ça commence à nous rendre fous. Un matin nous découvrons notre première perte. Yillian s'est étranglée dans la nuit.
L'ambiance est plus noire que jamais et personne ne sait quoi dire, même Tara reste silencieuse elle qui d'habitude a toujours un mot encourageant. Je me sens coupable de ne pas avoir plus parlé à celle qui s'est suicidée, de ne pas y avoir prêté plus attention.
Nous payons nos respects à la défunte et c'est Tara qui prend la parole la première. Elle se montre forte, plus que la plupart d'entre nous et promet qu'un jour ils paieront tous pour ce qu'ils ont fait. Car se sont eux les vrais responsables, les Terriens, et pas nous. Elle semble bouillonner à l'intérieur et son regard est plus déterminé que jamais.
Tout le monde est d'accord et quelque part cela gonfle nos poitrines d'un nouveau sentiment là où il ne restait plus que le désespoir. Le désir de vengeance est grand, et l'âme qui avait accordé son pardon si facilement ne semble plus exister.
Après tout ça il est décidé que tous les soirs, ou plutôt ce que nous pensions être le soir, nous prendrions le temps de parler, de s'ouvrir.
Nous en découvrons un peu plus sur les uns et les autres. Nous apprenons tous que la raison pour laquelle Tara se trouvait sur la station Agro alors qu'elle était sur-qualifiée venait d'une erreur qu'on lui avait attribuée. Un collègue l'avait accusé d'être à l'origine d'une défaillance qui avait mené à une blessure, sans doute pour se couvrir. Comme le litige était insolvable, il avait été décidé qu'elle serait envoyée là.
Je me demande un instant ce qu'il se serait passé si elle n'y avait pas été. Peut-être serait-elle libre en cet instant.
Ces moments de partage sont agréables et permettent de ramener un semblant de sourire sur nos visages, tout du moins jusqu'à ce que nous fassions trop de bruit au goût de nos geôliers.
Certains d'entre nous sont pris et je reste.
Tara est emmenée de nouveau.
Je ne l'ai pas encore revue.