won't return to you. Abigail

La nuit commençait à se faire longue. Le soleil s'était couché depuis un bon nombre d'heures, mais Athénaïs n'avait pas trouvé le sommeil. C'était si étrange de se retrouver dans une navette de l'Arche, au sol, abandonnée. Les délinquants étaient donc descendus dans cette petite boîte, directement du ciel. Un peu comme tous les Archéens, mais sans avoir la certitude de pouvoir respirer une fois au sol. Lorsque Rhodàn l'avait conduite jusqu'ici, Athénaïs avait failli faire demi-tour. Elle se sentait incroyablement mal dans cet endroit où la guerre avait fait des ravages. Elle n'avait pas manqué le cimetière non loin de là, ni les traces de luttes, pourtant anciennes. La façade de la navette avait brûlé, l'intérieur était tâché de sang. Mais la jeune femme avait fini par s'y faire, et l'ambiance sordide ne lui posait plus aucun problème. Elle se sentait en sécurité dans la navette, presque au chaud sous une espèce de couverture, aiguisant lentement un morceau de métal. Sa main, munie d'une pierre, courait sur le métal, fabriquant peu à peu une arme. C'était plus pour se sentir en sécurité, et s'occuper, plutôt que réellement s'en servir. Il y avait très peu de chance pour que cette lame improvisée ne perce une peau malheureuse. Toujours était-il que rien ne venait perturber sa nuit, qu'elle aurait pu fermer l’œil. La nuit dernière, elle était tombée de sommeil, et n'avait pu résister à s'allonger quelques heures. Mais elle s'était réveillée en sursaut, de peur qu'un danger ne soit à proximité. La peur l'avait alors habitée jusqu'aux premières lueurs. Cette nuit, il en serait de même. Athénaïs ne quittera pas le fond de la navette avant que le soleil ne répande ses premiers rayons. Alors peut-être, elle s'autorisera quelques instants de sommeil. Pour l'heure, elle guettait.

Le sommeil l'avait happée, à peine les premières lueurs arrivées. Il était presque midi lorsqu'Athénaïs émergea, et ce fut l'incompréhension qui l'accueillit. Dans la confusion du réveil, elle en avait oublié où elle était. Son souffle s'accéléra brutalement, accompagné de son cœur. Elle se recula contre le mur, cherchant frénétiquement à comprendre où elle était, avant de réaliser. Elle desserra l'emprise qu'elle avait sur sa prétendue arme, et soupira. A force, rester seule commençait à lui peser, et elle regrettait Rhodàn. Avec la jeune femme, elle s'était sentie en sécurité. Elle avait énormément de chance d'avoir été aidée. Sans la présence de la montagnarde, Athénaïs aurait été à cette heure un cadavre glacé aux portes de la Montagne. Pourtant elle était là, en chair et en os, vivante, bravant les épreuves. La fille qu'elle était auparavant n'aurait jamais tenu aussi longtemps dans un monde aussi violent. Mais elle était changée, depuis l'incident, et jamais plus elle ne redeviendra la petite fille fragile qu'elle était. Ce monde ne lui permettait pas.

Le monde extérieur l'attirait, aussi prit-elle la décision d'aller voir les alentours. Elle n'avait pas l'intention de s'éloigner de la navette, ni de se perdre dans les bois. Elle savait que cet endroit était son salut, lui permettant de se reposer à couvert. Même s'il était fréquenté par des archéens, elle se voyait mal emportée de force, alors si quelqu'un lui rendait visite, elle refuserait poliment d'aller à Arkadia. Si elle tombait sur un terrien, elle n'aurait plus que ses jambes pour s'échapper, ou la mort à affronter. De ce qu'elle avait compris, il existait plusieurs clans de terriens, mais elle ne pouvait pas avoir confiance en eux. Alors au moindre bruit, elle savait qu'elle devait se cacher. Cependant, elle ne pensait pas que la situation se présenterait de sitôt.

Ce fut un craquement de branche bruyant qui attira son attention. Alors qu'elle se trouvait à peine à une dizaine de mètres de l'entrée de la navette, elle s'y réfugia à l'étage, décidant d'observer par un trou le nouveau venu. En l'occurrence, il s'agissait d'une femme, et Athénaïs pu respirer. Elle connaissait cette femme, et la savait de l'Arche. Son arme de fortune entre les mains, elle descendit de sa cachette, sortit de la navette en clamant. « Imaginez que je sois un terrien malveillant, vous seriez morte. Prudence est de mise. » Elle avait la voix forte malgré les multiples bandages parsemant son corps. Elle avait la tête haute malgré la douleur qu'elle ressentait. Elle conservait toute sa fierté, parce que c'était la seule chose qui lui restait. Elle voulait leur faire croire qu'elle n'avait peur de rien, et c'était peut-être pour y croire, elle aussi, un jour.

Athénaïs repensa à tout ce que Rhodàn lui avait appris. Et surtout, elle repensa à la méfiance qu'elle portait, sans fondement puisque sa mémoire ne lui permettait pas, à l'Arche. Sans qu'elle s'en rappelle, elle les blâmait pour la mort de ses parents. Apeurée, elle était allée trouvé de l'aide ce soir-là, sans réaliser les conséquences que son acte engendrerait. Sans penser que cet acte emporterait son père. Sans penser une seule seconde qu'il lui prendrait sa mère également. La confusion déstabilisa Athénaïs pendant un court instant, et elle reprit ses esprits en enserrant l'arme qu'elle avait fabriquée. «Je sais que je dois faire attention, j'étais juste sortit chercher des plantes médicales et je n'ai pas vu où mes pas me menaient.» Athénaïs grimaça. Elle ne croyait pas aux paroles de l'archéenne, ou du moins, elle y croyait à moitié. Rhodàn lui avait bien dit que les siens n'y mettaient que rarement les pieds, et voilà qu'à peine deux jours plus tard, quelqu'un perturbait son calme. «C'est la montagnarde qui vous envoie ?» Elle n'avait pas perdu de temps, et immédiatement pensé que Rhodàn avait informé de sa présence. Autrement, comment l'archéenne aurait pénétré dans cet endroit sans arme, sans aucun moyen de se défendre contre une potentielle attaque ? Parce que si Athénaïs avait retenu une chose, c'était qu'il ne fallait pas compter sur la chance, en ce bas-monde. «Dis donc vous êtes pas mal amochée.» C'était peu dire. Les paroles de l'archéenne arrachèrent une nouvelle fois une grimace à Athénaïs. Cette dernière lâcha un rire moqueur, secoua la tête et retourna dans la navette. Elle n'avait rien de plus à dire à cette archéenne, et ne voulait pas lui parler. Alors qu'elle retournait sur ses pas, elle fut attirée par un rayon réfléchissant dans un coin. La lumière s'était posée sur une lame qu'Athénaïs n'avait pas aperçue auparavant. Un poignard, à la lame longue et fine, quelque peu usée, pas en parfait état, mais convenable. Cela changeait la donne. Si son arme de fortune n'aurait pu la défendre, celle-ci le pouvait. Elle abandonna son épée improvisée et saisit sa chance, revêtit un manteau délabré qu'elle avait trouvé dans la navette, et sortit de nouveau de sa cachette. L'archéenne s'était rapprochée, et se trouvait à présent à quelques pas d'Athénaïs. Son visage... Son visage lui rappelait quelque chose. La jeune femme sentit son cœur accélérer, elle était en train de faire une crise. Alors qu'elle venait de perdre ses deux parents sur l'Arche, elle avait été admise dans le centre de soins, et shootée à cause de ses accès de colère, découlant eux-mêmes d'une panique profonde, celle du choc post-traumatique. Soudainement, les pupilles d'Athénaïs se remplirent de colère et d'agressivité. La peur n'avait plus sa place, dans son esprit. Elle leva le poignard en direction de la gorge de l'archéenne, et lui somma de reculer. Hors de question que cette femme l'approche. «Qu'est-ce que vous voulez ?» Le ton n'était plus à la moquerie, il sonnait à présent comme des accusations. L'archéenne n'était pas la bienvenue ici, et Athénaïs lui fit ressentir de la façon la plus directe qui soit.

Colère et raison s'entremêlaient dans son esprit. Ce dernier hésitait entre l'une et l'autre, souffrait d'un mélange toxique des deux. D'un côté, son esprit la sommait de se calmer, de respirer un bon coup, d'abaisser son arme, d'éloigner le poignard de la pauvre archéenne. Cette dernière ne lui voulait aucun mal, en apparence. Mais voilà, c'était le en apparence qui dérangeait Athénaïs. Elle manquait d'eau, de nourriture, et ses blessures saignaient toujours. Elle n'avait trouvé aucun fil, ni aiguille pour se rafistoler. Son état ne la rendait qu'encore plus suspicieuse, à la limite de la paranoïa. Ses yeux venimeux se plantèrent dans ceux de l'archéenne alors que cette dernière semblait surprise, et quelque peu apeurée. Ce n'était point Rhodàn qui avait indiqué sa position, alors le hasard faisait vraiment mal les choses. Athénaïs était très loin d'avoir envie de retourner sur l'Arche, ou du moins dans les vestiges des stations. Elle n'avait pas envie de retrouver les ordres, contraintes et sanctions. La vie sur l'Arche avait toujours été trop règlementée, trop stricte. Elle avait besoin, aujourd'hui, de liberté. Et si quelqu'un lui enlevait sa liberté une nouvelle fois, elle était persuadée de finir complètement cinglée.

Lorsque l'archéenne lui annonça qu'elle cherchait des plantes, Athénaïs eut un rire moqueur. «Si vous vouliez perdre encore plus en crédibilité, c'est fait.» Elle voulait la déstabiliser, et elle avait tellement de haine et de rage en elle que ça lui faisait du bien que ça sorte. Parce que les plantes lui seraient bien utiles, présentement. «J'ai besoin d'être soignée. Vous allez m'aider, ou laisser l'un des vôtres au bord du chemin ?» En cet instant, Athénaïs s'en fichait pas mal de lui devoir quelque chose ou non. Elle était en position de force, et prenait ce qu'elle voulait. De l'aide, des plantes, du soin. Peut-être qu'elle serait d'attaque après cela, mais il était hors de question que l'archéenne l'emporte au camp. Si elle ne voulait pas lui apporter de l'aide ici, alors qu'elle parte.

Athénaïs jubilait. Cela faisait tellement longtemps qu'elle ne s'était pas retrouvée en position de force. Depuis les grottes, elle n'avait été qu'une victime impuissante et avait vu sa dignité constamment violée. Aujourd'hui, c'était elle qui tenait l'arme. Et si elle n'avait aucune intention de blesser l'archéenne, elle n'hésiterait cependant pas à se défendre. Elle avait traversé trop d'épreuves pour perdre la vie par empathie. Athénaïs voyait bien que la médecin, si elle en était une et non l'envoyée, essayait de se contrôler. La jeune femme se doutait bien qu'elle n'était pas une apprentie, elle était bien trop âgée pour cela. Mais il lui semblait étrange qu'elle réagisse de cette façon. Il fallait un caractère bien trempé pour s'aventurer seule, sans arme, dans ces bois. Et ce n'était pas ce même caractère qui transparaissait derrière l'inquiétude évidente de l'adulte. Alors qu'elle tentait de s'expliquer, Athénaïs lui rit au nez. Les rôles étaient pleinement inversés. C'était la mère qui se perdait en explications bafouilleuses devant sa fille. Mais les paroles que prononcèrent l'archéenne par la suite fit perdre son sourire à Athénaïs. « Tant que je ne l'aurais pas décidé, vous ne retournez pas au camp, et je ne bougerai pas du périmètre. » Hors de question qu'elle rapatrie de force Athénaïs à l'aide des petits soldats qu'elle dégotera une fois retournée au camp. Malgré ses apparences douces, Athénaïs se méfiait profondément de l'adulte. Elle prendrait la première occasion pour lui mettre un coup de pression, et renforcer sa stature dominante.
Mais après tout, l'archéenne avait accepté d'aider Athénaïs. Enfin, ce n'était pas vraiment un choix. « Où pouvez-vous trouver ce dont vous avez besoin ? » Si elle ne voulait pas l'avouer, l'archéenne le comprendrait assez vite. Athénaïs n'avait pas assez de force pour parcourir de longues distances, et il ne fallait pas oublier qu'à la tombée de la nuit, il lui fallait retrouver son abri. Si la jeune femme regrettait au départ l'arrivée impromptue de l'archéenne, elle y voyait à présent une opportunité de recouvrer quelques forces.
Fidèle à elle-même, Athénaïs ne pu s'empêcher d'ajouter une menace. « Et vous avisez pas de me la jouer à l'envers. Avec ce que j'ai traversé, j'hésiterai pas une seule seconde à vous le planter en plein dans le mile. » Ce disant, elle leva son poignard en direction de l'abdomen de l'archéenne. La jeune femme pouvait très bien imaginer ce qu'elle ressentirait si cela se produisait. « Croyez-moi, c'est pas très agréable. »