greta ~ brand new world

Greta est née dans la station Agro, station qui se spécialise dans l’agriculture. Ses parents n’étaient pas agriculteurs, mais ils s’occupaient de plusieurs tâches connexes comme l’entretien des lieux et des machineries. Ses parents étaient très religieux, pour eux, tout était résultat de la grâce de Dieu et de tous ces machins-là. Ils avaient réussi à échapper aux bombes atomiques à bord d’un vaisseau spatial? Dieu. Pendant près de cent ans, les générations précédentes autant que la leur avaient su survivre avec des ressources restreintes? Dieu. Ils avaient mis au monde une jeune fille en santé? Dieu. L’enfance de Greta avait été parsemée de prières et de louanges à un homme, un être qu’elle n’avait jamais vu et qu’elle ne verrait jamais.

Lorsqu’elle était très jeune, elle s’appuyait elle aussi sur ses genoux, les mains l’une contre l’autre en récitant des passages qu’elle avait appris par cœur. À cet âge-là, elle ne pouvait réellement comprendre ce que toutes ces paroles ou ces croyances impliquaient et elle suivait béatement le chemin que ses parents avaient tracé pour elle. Pourtant, petit à petit, elle s’était désintéressée des messes et s’était mise à regarder de plus près ce que les gens de sa station faisaient de leurs journées. L’agriculture, les plantes, la nourriture. C’est en voyant tous ces gens travailler autant physiquement que mentalement, qu’elle comprit vraiment le sens des choses. Enfin, ce qui pour elle était devenu la nouvelle réalité : ce n’était pas Dieu, le créateur, mais bien l’humain.

L’humain était capable de prendre des graines et d’en faire des fleurs, des plantes et de la nourriture. L’humain était capable de prendre cette nourriture et d’en faire des repas. L’humain était capable de prendre un objet et de le transformer à sa guise, sans aide extérieure ou surnaturelle. C’est ce qu’elle voulait faire, elle aussi, créer. Depuis cette réalisation, elle n’avait pas cessé de créer, de bricoler et de fabriquer avec tout ce qui lui tombait sous la main. Chaque projet terminé lui amenait entière satisfaction, même s’il s’agissait du gadget le plus simple. C’est aussi à ce moment-là que son bégaiement avait commencé. Était-ce Dieu qui essayait de la punir pour avoir perdu sa foi? Elle ne pouvait que rigoler à cette idée. Personne ne savait vraiment d’où ça pouvait venir, mais comme elle était encore jeune, ils n’avaient jamais associé la chose à un événement précis ou un traumatisme. Greta n’était pas traumatisée, elle était ébahie. Tellement qu’elle en avait perdu le sens de la parole, ou presque.

Souvent seule, Greta n’était pas la plus douée pour se faire des copains, même lorsqu’elle y était forcée par les travaux scolaires et les événements de groupe. Le problème, c’était qu’elle était toujours distraite par quelque chose, par une idée ou une bricole. Ce n’était pas pour dire qu’elle repoussait les gens, loin de là, mais on avait tendance à la laisser tranquille puisqu’elle avait toujours l’air très occupée. Quand ce petit regard sévère se glissait sur son visage, résultat de concentration ultime, c’était comme si le reste du monde devenait invisible. Il y avait tout de même cette jeune fille qui avait réussi à percer cette petite carapace. Ryan, c’était une petite boule d’énergie qui n’acceptait pas que Greta dévoue son attention sur autre chose que sa personne et elle lui faisaient savoir à chaque occasion. Rapidement, elles étaient devenues amies, puis meilleures amies. On dit que les contraires s’attirent et c’était le cas pour les deux jeunes filles. Elles ne pouvaient pas être plus différentes, mais elles ne pouvaient pas non plus mieux se compléter. Greta ne l’aurait jamais avoué, mais elle ne pourrait simplement pas vivre sans Ryan, sa ratatouille.

Greta n’était pas très attentive à l’école, que ce soit mathématiques ou histoire, mais lorsqu’était venu le temps de choisir une vocation, un métier, elle n’avait pas hésité une seule seconde. Bien sûr, elle aurait pu faire beaucoup de choses avec cette passion pour la création, mais elle tenait à rester dans sa station d’origine, parmi les plantes. Il y avait quelque chose d’encore plus particulier dans la création de la vie. Être aux petits soins d’un être vivant jusqu’à sa maturation pour ensuite aider le peuple de l’Arche à se nourrir, y’avait-il vraiment quelque chose de plus satisfaisant, réjouissant? C’est avec brio qu’elle entreprit ses études en agriculture et qu’elle exerçait le métier qui lui plaisait tant. Lorsque ses parents remerciaient Dieu chaque soir pour le repas qui leur était servi, Greta roulait les yeux et pensait à autre chose. Elle aimait ses parents, bien sûr, mais elle n’arrivait pas à comprendre comment ils pouvaient être aussi ignorants. Ils étaient si près des cultures et des plants, ne voyaient-ils pas tout le dur labeur que les agriculteurs et autres ouvriers enduraient chaque jour? Elle ne disait rien, mais au fond, elle les trouvait bien idiots.

Lorsque les choses avaient commencé à mal tourner sur l’Arche, lorsque les cents étaient descendus sur Terre, Greta avait essayé de garder espoir et de faire preuve de positivisme. Envisager les pires situations n’allait pas changer le cours des choses et donc elle s’efforçait de sourire, respirer, continuer à vivre du mieux qu’elle pouvait. Ryan n’était pas de son avis, elle était exaspérée, en colère, outrée, mais le visage enfantin de Greta arrivait toujours à la calmer, un peu. Malgré les sourires et les espoirs, les choses avaient continué à empirer et l’Arche s’était retrouvée dans une impasse : mourir dans l’espace ou en essayant de rejoindre les autres sur la Terre. Après la mort de près de 300 personnes, elle ne voulait pas risquer de mourir elle aussi dans cette cabine de fer. S’il y avait une chance pour qu’elle puisse voir la Terre, sentir le sol et le vent, ne serait-ce qu’un instant, elle voulait la prendre.

Les archéens s’étaient séparés dans les multiples stations de l’Arche, maximisant les chances de survie pour le plus grand nombre. Certaines stations comportaient peu de risque, selon les calculs, alors que d’autres étaient certaines de partir en flammes avant même l’entrée en orbite. Greta avait eu la chance de rester dans sa station natale, Agro, qui était sécuritaire, mais imprévisible. Les simulations n’arrivaient pas à tracer une trajectoire pour la cabine et sa destination finale était inconnue. Greta essayait, encore et toujours, de faire preuve de positivisme. Elle n’allait pas se laisser abattre alors que les chances étaient de son côté. Malheureusement pour elle, les places au sein de la station étaient limitées et Ryan n’avait pas pu rester à ses côtés. La panique s’était faite plus pressante alors qu’elle perdait de vue son autre moitié et malgré le sourire forcé plaqué sur son visage, elle n’avait pas pu s’empêcher de pleurer, silencieuse.

Greta avait gardé les yeux fermés, du moment où les réacteurs se mettaient en marche jusqu’à l’atterrissage brutal. Elle ne voulait pas voir le sol se rapprocher, elle ne voulait pas appréhender l’impact. Elle voulait juste s’imaginer que tout ça n’était qu’un rêve dont elle ne se réveillerait peut-être jamais. Ils avaient senti la chaleur de l’entrée en orbite et des flammes se pressaient sur les parois de la cabine. Malgré la sueur qui perlait sur son front, Greta ne voulait pas ouvrir les yeux, pas encore. Bientôt, elle n’eut plus à les garder fermer et la noirceur vint sans effort.

La première chose qu’elle vit, lorsqu’elle ouvrit les yeux, c’était le visage ensanglanté de sa mère qui lui faisait face. Elle poussa un cri strident avant que les sanglots ne viennent couper sa respiration. Elle n’eut même pas la force de regarder à ses côtés, où son père était assis. Elle referma tout de suite les yeux, voulant replonger dans le rêve, dans l’espoir. Elle n’y arrivait pas, elle n’y arrivait plus. Rapidement, on la tira par le bras, détachant les multiples sangles qui la gardaient plaquée contre une paroi de métal. Quelques secondes plus tard, le soleil se reflétait contre les larmes sur ses joues et ses pieds touchaient enfin la terre ferme. Tout ça, c’était trop. Trop d’émotions, trop de sensations. Elle venait de perdre ses parents et de réaliser le plus grand rêve des archéens à la fois. Elle ne savait plus trop où donner de la tête et franchement, elle n’avait plus d’énergie. Elle ramassa rapidement une petite roche à ses pieds, geste mécanique pour se distraire, pour digérer. La route avait été longue, mais ils avaient encore tant à franchir.

Une atmosphère tendue régnait autour d’elle. Les survivants se remettaient lentement sur leurs pieds. Les plus habiles cherchaient déjà à s’organiser, à survivre. La majorité était encore trop abasourdie pour même y songer. La tension monta encore plus rapidement lorsque d’étranges silhouettes apparurent, les entourant. Ils ne ressemblaient à rien que Greta connaisse. Leurs vêtements, leur posture, ils semblaient presque sauvages. Des terriens. On pouvait lire la peur sur le visage des archéens, alors que la panique s’emparait d’eux. Ils n’étaient pas préparés à une telle rencontre, pas si rapidement. Un coup de feu se fit entendre suivit du bruit mat d’un corps sur le sol. Un guerrier de la station, rongé par la peur, avait tout de suite eu recours à la violence. N’était-ce pas là, l’histoire de l’humanité?

Greta, sous le coup de l’adrénaline se jeta sur le sol, cachée par une paroi de la station. Les cris de guerre et les coups de feu s’entremêlèrent jusqu’à ce les réserves de balles s’épuisent. Les archéens étaient plus nombreux, mais beaucoup d’entre eux ne possédaient pas d’arme et ne savaient pas se défendre. C’était le cas de Greta qui, par pure chance, n’avait été touchée par aucun missile, de bois ou de fer. Encore une fois, on la tira par le bras, mais plus durement cette fois-ci. Voilà quelques minutes à peine qu’elle était sur Terre et elle était déjà prisonnière. La mort de ses parents, la découverte d’une nouvelle vie pour se la faire arracher de sitôt, elle aurait pu s’en passer. Si elle tentait toujours de voir le bon côté des choses, elle n’y arrivait pas à cet instant. Elle ne pouvait qu’avancer, un pas devant l’autre.

C’est dans les grottes qu’ils se retrouvèrent, jetés au sol tels de vulgaires pantins. Greta avait des éraflures là où sa peau était entrée en contact avec le sol. Des bleus se formaient sur ses bras, là où on l’avait agrippé brusquement. Elle ne disait rien, pas un mot. Elle n’osait regarder personne, pas même les siens. Les jours qui suivirent furent les pires de sa vie. Elle se faisait battre, pousser, écorcher. Jamais elle n’aurait cru pouvoir souffrir de la sorte. Le désespoir, chose si nouvelle pour elle, l’avait même poussé jusqu’à prier. Prier à ce Dieu dont elle savait l’inexistence. Prier pour qu’un jour cette torture puisse prendre fin. Elle savait qu’un petit groupe d’entre eux avaient réussi à s’échapper, du moins, elles les avaient vu partir. S’ils avaient vraiment réussi à sortir de ces grottes, vrai labyrinthe, elle n’en avait aucune idée. Greta les aurait suivis si elle avait pu, mais elle arrivait à peine à se lever sur sa cheville enflée. Elle soupçonnait une fracture, mais tout ce qu’elle savait vraiment c’était que la douleur était insupportable. Lorsqu’elle fermait les yeux, elle voyait le visage de son père et de sa mère. Puis elle voyait le visage de Ryan, qu’elle espérait toujours en vie. Qu’était-il donc arrivé à la station Alpha