J’ai réussi à trouver un appartement vide pour la soirée. L’ancien habitant a été flotté il y a peu de temps. C’est triste pour lui mais il a probablement fait le choix d’enfreindre les lois donc voilà. Il y a un temps pour pleurer et un temps pour vivre. De toute façon je ne le connaissais pas. Moi je ne vois que l’énorme opportunité qui s’offre à moi : transformer cet appartement en fumerie d’opium pour la soirée. Enfin, dans les faits nous ne fumerons pas de l’opium mais voilà. Il ne m’a pas fallu longtemps pour me procurer quelques bouteilles d’alcool fait maison. Un peu plus de temps pour réussir à faire l’acquisition de plusieurs sachets des diverses drogues que l’on peut se procurer sur l’Arche. Les relations et les anciens participants de mes petites fêtes m’ont aidée. Le troc a fait le reste. Ensuite, j’ai fait passer quelques messages çà et là à ceux qui apprécient de participer à mes fêtes puis, j’ai attendu.

Jusqu’à ce qu’il soit l’heure de quitter les appartements familiaux, discrètement, pour rejoindre l’appartement vide. C’est une fenêtre restreinte. Entre le ménage et la nouvelle installation. Mais nous ne risquons rien si personne ne nous dénonce et si nous ne faisons pas trop de bruit. Alors j’ai trouvé de la musique mais je règlerais le son de façon à ce que cela ne fasse pas trop de bruit. Je suis la première bien sûr, pour le couler avec discrétion dans l’appartement. Petit à petit les gens arrivent. La plupart arrivent seul, certains arrivent à deux mais pas plus, pour ne pas attirer l’attention. Elle esquisse un léger sourire à chaque arrivée, contente de revoir ses habitués. Des jeunes, quelques adultes. Mais assez peu au final. La soirée commence ainsi, boisson, fumée, musique (volume modéré), quelques jeux et des discussions. Un espace très libre, juste pour oublier. Oublier l’enfermement de l’Arche, oublier toutes ces lois, toutes ces règles. Je m’approche d’une bouteille pour me servir un nouveau verre et je vois Juda. Je lui souris et je lui dis : « Je suis contente de te voir ce soir ! ». Bien sûr. Lui comme tous les autres. Puis je reprends : « Tu vas bien ? ». Je tends la bouteille pour lui en resservir s’il en veut.

Je me retrouve face à Juda qui n’est pas le dernier à faire la fête. Comme moi. On se ressemble tous les deux, d’une certaine façon. Donc c’est surement pour ça qu’on s’entend bien. La musique continue à tourner, de la musique ancienne, de la musique plus récente, il y en a pour tous les goûts. Mes convives ne se plaisent jamais. Certains même passent même par la case danse parfois. Ici par exemple, je ne serais pas surprise de voir des gens se lever pour aller danser. Les filles allument un peu ou parfois c’est l’inverse : la drague n’est pas rare. C’est le plus drôle en fait. Les rapprochements improbables que l’on peut voir ici. C’est un peu mon entrée dans le monde, dans l’âge adulte. Je ne veux pas être vue comme une enfant. Mais je n’ai aucune place, aucune légitimité d’adulte. Ici, je peux juste oublier. Je peux être qui je veux. Je souris un peu et je l’écoute me répondre par une question. Je ris un peu et je lui dis : « Le contraire m’aurait vraiment déçu de ta part ! ». Je souris en coin. Oui, ne pas le voir ce soir m’aurait déçue c’est sûr. Même si ça fait un moment qu’on ne s’est pas vu. Trop longtemps. Il est fun Juda, c’est un peu un rayon de soleil, une bouffée d’air frais. Il ne juge pas, il ne me prend pas pour une gosse. Je le sers lorsqu’il me tend son verre puis je me sers et je repose la bouteille.

Il reprend la parole pour me répondre qu’il va bien et me retourner la question. Puis, il me dit que ça fait trop longtemps, que je lui ai manqué et que ça lui a manqué. Et il boit. Je souris un peu. Il est chou parfois. Je le regarde et je lui réponds : « Je vais bien aussi. Je commençais à étouffer. Mais maintenant ça va beaucoup mieux ! ». Je souris un peu. Je suis une gamine. Enfin d’après mes parents. Ils ne comprennent pas cette façon que j’ai de ne pas me sentir bien, de ne pas réussir à trouver ma place. Ils se contentent de me seriner des trucs du genre : « Moi quand j’avais 15 ans… » Blablabla. Ouais. Je déteste ça, cette façon de me faire la morale et d’essayer de me faire croire qu’ils ont raison et que j’ai tort. Pourquoi auraient-ils plus raison que moi ? Pourquoi faudrais-je que je sois comme eux ? Je ne veux pas. Je ne peux pas, c’est comme ça. Je lui réponds : « Tu m’as manqué aussi ! Les autres… ils sont tellement ennuyeux… ». Je fais la moue et je lui dis : « Et les gardes sont plus attentifs ces derniers temps. C’est plus difficile de trouver des endroits où nous regrouper… ».

C’est étrange de se retrouver là. Juda est plus vieux que moi mais dans le fond ça ne me dérange pas parce qu’il me comprend et que je le comprends aussi d’une certaine façon. C’est pour ça que nous sommes là en fait. Lui, moi et tous les autres aussi. Même si j’ai une relation privilégiée avec lui. C’est un ami, un très bon ami. Je souris un peu et je lui dis : « Oh aller, comment cela pourrait même arriver ? Tu ne pourrais pas me décevoir, j’en suis sûre ! ». La preuve, il est là. Comme presque tout le temps. Et il est égal à lui-même, ce qui me convient aussi. Parfois, quand ils grandissent, les gens changent. Et ceux qui étaient des amis avant deviennent autre chose. Au mieux des connaissances. Au pire des inconnus. Mais Juda n’a pas l’air d’être comme ça. Et ça me rassure d’avoir quelqu’un sur qui compter. Mais bon, je ne vais pas lui dire, je suis un peu trop fière pour ça.

A sa question, je reste un instant songeuse. Les fêtes m’aident c’est sûr, mais il ne devrait pas y avoir que ça. C’est juste que la vie ici… bah c’est long, ennuyeux et je ne m’y retrouve plus. Et à bien y réfléchir, je me dis que je ne m’y suis jamais vraiment retrouvée. Alors je lui demande : « Tu as déjà eu l’impression de ne pas être à ta place ? ». Je le regarde sérieuse mais je porte quand même mon verre à mes lèvres pour boire deux gorgées d’alcool avant de reprendre la parole : « Des fois je crois que je deviens dingue : j’ai l’impression de voir les murs de l’Arche qui se rapprochent… ». Je roule un peu des yeux. Je n’en ai jamais vraiment parlé. Je ne crois pas que ce soit de la folie. Je crois que c’est plutôt de la peur. Mais bon qu’est-ce que j’en sais hein ? Je deviens peut-être juste complètement barrée.

Je ris d’ailleurs, lorsqu’il reprend la parole pour lui répondre : « C’est parce que les autres sont idiots. Tu es surement le garçon le plus cool de toute l’Arche ! ». Et j’en connais des garçons. Entre les fêtes, les cours, les gens que mes parents me présentent et les gens que je rencontre quand je me promène sur l’Arche pour organiser mes fêtes… Ouais, j’en connais un paquet. La plupart sont ennuyeux. Certains tentent de se donner un genre mais en fait ils sont aussi ennuyeux que les autres. Et quelques-uns, assez rares sont vraiment sympas, comme Juda. J’aimerais qu’ils soient plus nombreux, que la vie soit plus drôle. Mais c’est à croire que le rire sera bientôt puni aussi. « Je n’oublierais pas… ». J’acquiesce un peu en lui souriant. Bien sur que je n’oublierais pas sa proposition. Mais je ne risquerais surement pas de l’impliquer la dedans. Je prends mes propres risques, il prend les siens, mais je ne veux pas qu’il soit puni à cause de moi enfin parce qu’il m’aura aidé. Je souris et je lui demande : « Et donc, qu’est-ce que tu as fait de cool depuis la dernière fois ? Tu dois bien avoir des trucs marrants à raconter non ? ».

C’est une soirée comme je les aime. Les gens s’amusent, ils picolent, ils oublient. Ils en ont besoin, c’est normal dans un habitat pareil. Dans une vie pareille. Et moi, j’avoue que je ne suis pas mécontente d’être là aussi. Devant un verre, à écouter de la musique, à parler avec Juda. Est-ce que c’est un ami ? Peut-être, surement. J’imagine. Mais moi je l’apprécie en tant que tel en tout cas. C’est certain. Lorsqu’il me répond je ris un peu. Il n’a pas l’orgueil dans un tiroir c’est certain. Et c’est plutôt drôle en fait. C’est ce qui me plaît chez lui. Cette façon qu’il a d’être à la fois arrogant et désinvolte. Amusant aussi.

Assez vite je me sens un peu idiote d’avoir dit ça. Je ne peux que comprendre sa réaction. Je me dis qu’à sa place je ferais sans doute la même chose. Je crois que je débloque un peu. J’aimerais bien devenir mécanicien de gravité 0. Pouvoir aller dehors. Mais ce n’est pas ma voie. Alors je vais me contenter de peu. Je souris de plus belle et je lui réponds : « Je crois que j’ai un peu abusé de l’herbe qui circule… ». Je ris un peu, je lui fais un clin d’œil puis je reprends : « Mais je me sens toujours mieux ici… Enfin… Dans les fêtes… ». Pas de doute possible, il va falloir que j’en organise plus. Vraiment plus. Beaucoup plus. Cela me donne vraiment la sensation de liberté dont j’ai besoin.

Il répond ensuite que les gens ne le voient pas à son véritable potentiel… Alors ça… Clairement, c’est bien ce que je reproche à la même chose aux adultes que je connais, particulièrement à mes parents. Je me sens moins seule subitement. Je souris un peu et je lui dis : « Qu’est-ce que je disais… Tous des idiots… ». Je lui fais un clin d’œil amusée et je bois encore un peu de mon verre. Quelques gorgées. Je fais une pause. Le temps de regarder autour de moi. Ils sont là, mais ils ne nous écoutent pas. Ils s’amusent, ils chantent, ils dansent. Rien de très bruyant, mais le simple fait de le faire les grise. C’est encore mieux que l’alcool je crois. Je souris un peu. Puis je l’écoute à nouveau et je m’exclame : « C’est pas vrai ! Toute la semaine ? Mais comment tu as fait ? ». Je le regarde un peu médusée. Et moi ? Qu’est-ce que j’ai fait de beau ? Bah… A bien y réfléchir… Pas grand-chose… Hormis le troc… Je souris en coin et je lui dis : « Du troc… çà et là, pour rassembler ce dont j’avais besoin… C’était fun… ». Et je vide mon verre pour le plaisir de le sentir passer. J’attrape la bouteille et je m’en ressers un verre avant d’en resservir un à Juda aussi dans la foulée.

Heureusement que non, je ne fume pas. A sa question je ris un peu, amusée et contente de voir qu’on peut croire certaines des choses que je dis. Mais non, je n’en fume pas. Je pense que mes parents finiraient par s’en rendre compte. Quoi que, je suis ici, je fais du troc, malgré mon âge. Bon j’avoue que mes grands yeux innocents peuvent aider parfois et sinon et bien je passe pas mal de temps à jauger jusqu’à où je peux aller avec certaines personnes. Ça peut me prendre du temps, mais je suis patiente. Alors je lui réponds : « Non non… C’était juste une blague… ». En référence à sa demande concernant le fait d’avoir pris de l’alcool pas net. Non, non. Peut-être que je suis juste fatiguée et que du coup… Voilà. De toute façon il ne m’en faut pas beaucoup pour perdre quelques degrés de sobriété… L’inconvénient d’être une fille et surtout d’être une gamine… « Je ne crois pas que ça soit une bonne idée de commencer… Et puis j’ai mieux pour me changer les idées ! ». Beaucoup mieux même.

Lorsqu’il me dit que c’est agréable de se changer les idées, j’acquiesce un peu mais je ne réponds rien de plus. C’est agréable, idiot, dangereux mais tellement… excitant. Enfreindre le règlement a quelque chose de vivifiant. Parce que franchement, cette vie est largement monotone et tout bonnement ennuyeuse… Je n’arrive pas vraiment à me contenter de ce que j’ai comme le voudrait mes parents. Trouver ma place, entamer une formation pour suivre leur voie, me trouver un compagnon et à mon tour avoir un enfant. Pourquoi faire ? De toute façon on est tous coincés dans cette foutue grosse boite de métal. Il reprend la parole et je lui dis : « A ça non… Ils sont tous trop ennuyeux à mon goût, hors de question de l’être aussi… ». Je préfère rire, prendre des risques, profiter de la vie, la rendre moins morose. Même si c’est risqué. Peu importe.

Echanger les rations contre des trucs risqués… Ça c’est une bonne idée. Mais je suis surement encore un peu jeune pour faire ça… C’est dommage. Après rien ne m’empêche d’essayer. Je connais pas mal de gens qui troquent, pourquoi pas me renseigner un peu, discrètement. Mais bon, pas tout de suite, je ne voudrais pas empiéter sur son territoire d’échange de et troc. Pas question de me fâcher avec Juda… « Quel rebelle… Quels genres de trucs risqués ? ». Je souris en coin, un peu moqueuse mais dans le fond je ne suis pas mieux et je le sais très bien. Mais ça me plaît. Je souris penaude faisant même la moue et je réponds : « Si… Je n’ai pas tellement le choix, si je ne veux pas attirer l’attention… Et puis mes parents se poseraient trop de questions, je préfère qu’ils m’oublient, au moins je fais ce que je veux de mon temps libre ! ».