Before the North

Il y avait des décision plus difficiles à prendre que d'autres, mais malheureusement nous devions passer par là si nous voulions éviter une catastrophe. Nous avions mis tellement d'énergie à maintenir un semblant de paix entre le Azgeda et les autres clans de l'alliance qu'il m'était impossible de laisser tout ça partir en fumée. Syndra était morte et désormais j'étais peut être le seul à pouvoir empêcher une guerre prochaine. Même si nous en étions encore loin, Mordh allait mettre au point des plans pour arriver à ses fins.

Suite à ma discussion avec Lexa et la mise au point de notre plan, je m'étais rendu à Polis pour retrouver Synëad . J'allais devoir lui demande de rester dans la capitale du trikru pour m'informer de ce qu'il se passait. Ce n'était pas une décision facile à prendre de le mettre ainsi à l'écart mais je n'avais pas vraiment le choix. Mordh cherchait à s'emparer de plus de territoire ou peut être même du trône de commander, mais plus que tout elle désirait venger la mort de la reine Galath. Et si nous n'étions que deux à connaître l'identité de son assassin, qui n'était autre que moi aidé de la mère de Costia, elle n'était pas encline à abandonner ses recherches.
Jouer double jeu était loin d'être simple, mais par dessus tout je devais assurer la sécurité de mon second. Si jamais je l'emmenais avec moi et que j'étais découvert, Synëad subirait le même destin que moi et il n'en était pas question.

J'arrivais devant la grande tente qui avait été dressée pour nous accueillir avant de franchir le seuil. Synëad était déjà là depuis quelques jours et j'étais heureux de le retrouver. Je m'avançais un peu dans la tente jusqu'à quelques mètres de mon second.

« Nous avoir beaucoup à dire ! Tout être bien passé ici ? »

Je n'étais toujours pas très doué dans cette langue, mais Synëad faisait de son mieux pour m'apprendre. Je m'étais déjà pas mal amélioré, mais ce n'était pas encore tout à fait ça.

« Toi va devoir continuer de m'enseigner cette langue que toi connaître si bien. »

Je souriais légèrement, en me rapprochant de lui un peu plus. Je ne souriais que très rarement et chaque fois, c'était en sa présence. Il y a des signes qui ne trompent pas.

Il n’aimait pas passer plusieurs jours loin d’Arzhel : à force de veiller sur lui à longueur de temps et de l’assister en tant que second, ses yeux avaient fini par s’habituer à le chercher dans la foule ou à s’enquérir du périmètre pour être sûr qu’il n’y avait aucun danger. C’était devenu instinctif et même quand Arzhel n’était pas là, il fouillait du regard comme pour anticiper toute tentative d’attaque. C’était sûrement maladif mais cela le faisait sourire car il savait que c’était en restant sur la défensive qu’il serait toujours le plus utile à Arzhel.
Alors, après avoir veillé à ce que la tente où ils logeaient à Polis soit digne de confiance, il avait retiré son dessus pour se passer un peu d’eau et se rafraîchir : les températures étaient bien plus élevées à Polis qu’à Orst et il n’y était pas encore habitué. L’eau froide lui arracha un soupir d’aise et tout en se nettoyant sommairement, ses yeux tombèrent sur la légère cicatrice qu’il avait gardé au bras, suite à l’attaque de la montagne. Il détestait l’idée que ces armes soient capables de leur laisser des marques, car cela lui rappelait constamment sa honte et sa faiblesse face à eux. Ce jour-là il n’avait pas pu être aussi utile qu’il l’aurait voulu auprès d’Arzhel et il s’était promis que la prochaine fois, les Mountain Men le paieraient au centuple.

Il avait la tête penchée sur le côté, passant le linge humide sur son cou quand Arzhel fit son entrée : il lui sourit aussi de ce sourire chaleureux qu’il n’adressait jamais qu’aux siens, heureux de le voir enfin revenir à lui. Et quand sa voix râpeuse emprunta les mots de la langue étrangère, il ne put s’empêcher de rire doucement en secouant la tête, amusé de ces tentatives toujours aussi désastreuses. Il avait beau la lui enseigner, Arzhel n’assimilait pas les particularités de ce dialecte chantant.

« J’entends ça mon ami, il va falloir la travailler un peu plus. » admit-il tout en reposant le linge humide à côté de la bassine d’eau.

Arzhel s’étant approché, il tendit la main et la posa sur son épaule dans un geste amical, voire même fraternel, et inclina respectueusement la tête :

« Tout s’est très bien passé en ton absence : nous nous sommes installés et les hommes ont pu se reposer. Ils étaient impatients de te revoir. »

Et son sourire se faisant plus malicieux, il ajouta :

« Moi aussi. »

Je poussais un long soupire de lassitude, non pas destiné à Synëad, mais pour tout ce qu'il s'était passé avant. Nous n'étions pas beaucoup de Azgeda lors de l'attaque sur la montagne et tous avaient péri excepté trois d'entre nous. Au final nous étions revenus que tous les deux puisque le troisième homme avait été blessé lors de l'explosion du missile sur Ton DC. En revanche, nous avions sauvé beaucoup des nôtres enfermés dans les cages par les mountain men.
Synëad avait emmené les survivants jusqu'à Polis après que le banquet se soit terminé, je savais que je pouvais li faire confiance sur beaucoup de choses, sans doute pour tout même. Mais mon envie de le protéger était tout aussi forte que la sienne. Je ne voulais en aucun cas le voir se sacrifier pour moi, pourtant je savais qu'il le ferait sans hésitation le temps venu.

Je n'ajoutais rien, me contentant de l'enlacer dans une étreinte aussi tendre que virile, restant ainsi quelques secondes comme si j'avais besoin de me reposer. Et par Thanor j'avais bien besoin de me reposer après toutes ces péripéties. J'étais sali par la boue et quelques égratignures que je m'étais faites pendant le voyage jusqu'à Polis. Je relâchais l'étreinte lentement pour me diriger vers la bassine d'eau et le linge humide utilisé par Synëad quelques instants plus tôt.

« Nous avoir encore beaucoup choses à faire. Moi être fatigué par tout ça mais nous pas avoir choix. Quelque chose être en train de se tramer, toi devoir rester vigilant. »

Je commençais à passer le linge humide sur mon cou, retirant la saleté et nettoyant une longue entaille encore fraiche. Je poussais un râle de satisfaction en sentant l'eau fraiche sur ma peau.

« Toi m'avoir manqué, moi être content de te sentir près de moi. »

Je n'avais qu'une envie, qu'il me prenne dans ses bras et ne me lâche plus. Nous avions beau être forts, de grands guerriers grounders venus du Azgeda, Synëad et moi ne pouvions nous passer l'un de l'autre. Et tant pis pour le cliché sur les barbares sans coeur venus du nord, nous en avions le sang, mais pas forcément l'esprit.

Il répondit chaleureusement à son étreinte, heureux de le sentir à nouveau près de lui, de pouvoir veiller sur lui comme il l’avait toujours fait. Et cette étreinte lui apprit bien plus qu’il n’aurait dû sur l’état de fatigue général de son chef : Arzhel était épuisé. Il fallait dire qu’ils couraient depuis plusieurs jours, et si lui était rentré à Polis pour aider les leurs qui avaient été retenus prisonniers par les Mountain Men, Arzhel n’avait pas eu cette chance et avait dû continuer ses péripéties. Loin des siens, loin de lui…  

Il le relâcha pour le laisser filer, et la chaleur s’estompa aussitôt, le refroidissant d’un seul coup. Dans les hauteurs gelées d’Orst, ils avaient l’habitude de se serrer l’un contre l’autre le soir pour retrouver un peu de chaleur… Il se rendit compte à quel point cela lui avait manqué : le seul fait d’être dans les bras d’Arzhel et de ne plus bouger, se contentant de la proximité de l’autre et du rythme paisible de sa respiration.
Son regard le suivit et il le vit s’éponger à son tour d’eau, reprenant cette même langue qu’il ne maîtrisait vraiment pas et qui amusait toujours autant Synëad. Il le regarda faire de loin, n’osant pas s’approcher tout de suite, constatant simplement l’état dans lequel Arzhel lui était revenu : sale de la tête aux pieds, les épaules courbées par la fatigue et le regard las de ceux qui n’aspirent qu’à se poser quelque part et ne plus en bouger. Oui, Arzhel avait présumé de ses forces et malgré tout, Synëad se doutait que ce n’était que le début, que l’homme comptait repartir aussitôt après.

Il se contenta de hocher la tête quand Arzhel lui demanda d’être vigilant : Il n’avait certes pas attendu ces recommandations pour l’être, mais si son chef le lui soulignait, cela signifiait que quelque chose se tramait. Il l’avait pressenti et il n’aimait pas cette sourde impression d’être dans l’attente de quelque chose… Quelque chose qui s’annonçait impressionnant et angoissant. Il allait devoir redoubler d’efforts pour se montrer à la hauteur cette fois-ci, même si l’idée de ne pas connaître ni voir leur ennemi l’angoissait légèrement.
Le regardant faire par-dessus la bassine d’eau, il finit par s’approcher et prit délicatement le linge que tenait Arzhel pour le tremper dans l’eau et venir doucement le passer sur la plaie qu’il avait au cou afin d’en nettoyer les bords.

« Laisse-moi faire d’accord ? »

Lentement, avec les gestes les plus précis qui soient et sans faire naître la moindre douleur, il nettoya la plaie, regrettant une fois de plus de ne pas avoir été là pour protéger Arzhel. Il savait que son chef était un homme adulte qui n’avait pas besoin de lui, mais il savait également que s’il lui arrivait quelque chose alors qu’il n’était pas à ses côtés, il ne se pardonnerait jamais ce manque de loyauté.

« On dit ‘tu’. »

Captant un regard d’Arzhel, il lui sourit tout en continuant à se concentrer sur sa tâche :

« On ne dit pas ‘toi’ mais ‘tu’. Tu m’as manqué. Je suis content de te sentir près de moi. »

Il reprenait ses mots mais les pensait tout autant, et quand il croisa de nouveau le regard d’Arzhel, il vint glisser son index sous son menton, l’obligeant à relever son visage pour venir déposer ses lèvres sur les siennes.

Je laissais Synëad s'emparer du linge humide pour nettoyer mes plaies, à le voir ainsi s'occuper de moi avec toute la tendresse dont il pouvait faire preuve, on avait du mal à imaginer le guerrier rusé et efficace qui se cachait derrière. Sans doute que dans nos moments privilégiés nous étions d'autres personnes, biens différentes de celles que nos ennemis et alliés pouvaient apercevoir sur le champ de bataille. Il n'y avait que douceur entre nous, mis à part pendant l'entrainement qui pouvait parfois être assez… bestial. Mais au final cela finissait toujours de la même façon…

Je poussais un soupire de satisfaction en le sentant contre moi, son odeur, sa chaleur. Je me rendais compte petit à petit qu'il m'était impossible de me passer de lui, le sentiment le plus dangereux pour un chef grounder était l'amour qu'il portait aux autres, voilà pourquoi notre relation restait secrète. Nous avions bien trop d'ennemis, certains invisibles ou pas encore déclaré en tant que tel, pour protéger mes proches et me protéger moi-même également, cette relation devait être la moins visible possible. Synëad comprenait tout cela évidemment, nous en avions déjà parlé à plusieurs reprises, mais ni lui ni moi ne pouvions résister bien longtemps.

Il me repris sur mon anglais, ce qui me fit sourire, j'aimais qu'il s'occupe de moi, c'était un peu à l'opposé total du leader que j'incarnais, mais c'était ainsi, en sa présence je n'étais plus le puissant guerrier que les légendes contaient, j'étais simplement à lui et uniquement à lui. Et même s'il y avait des choses auxquelles je n'avais pas envie de penser, je ne pouvais m'empêcher de me dire que si par malheur on se servait de lui pour m'atteindre, il serait très probable que je ne survive pas. Reprenant ses mots, je tentais de nouveau la phrase en la découpant pour qu'elle soit la plus correcte possible.

« Tu… m'as… manqué. Je… te veux… près de moi.»

Je le laissais m'embrasser, répondant au baiser avant de lâcher ses lèvres quelques secondes.

« Encore… plus près ! »

Je repris le baiser le plus tendrement possible, fermant les yeux, enlaçant son cou pour que nos corps ne forment qu'un. Il ne fallait pas croire les apparences, le plus tendre et dépendant de l'autre était probablement moi.

Ses gestes étaient toujours doux dès qu’il s’agissait d’Arzhel. Il aurait décapité un ennemi sans sourciller et aurait plongé la main dans ses viscères s’il avait fallu lui arracher le cœur pour s’assurer de sa mort, mais le fier guerrier qu’il était sur le champ de bataille, sans peur et sans reproche, devenait quelqu’un de totalement différent au contact d’Arzhel. Certains auraient pu penser que leur proximité mutuelle les affaiblissait mais Synëad savait parfaitement que non : ils ne perdaient rien à redevenir des êtres humains en compagnie l’un de l’autre, pas plus qu’ils ne passaient pour des faibles à baisser le masque de la terreur du nord quelques instants. Et peu importait ce qu’on disait : si jamais Arzhel osait lui dire que leur relation les rendait plus faibles, il se ferait fort de lui remettre les points sur les i avec vigueur et énergie !
Prenant soin de ne pas lui faire plus mal que nécessaire, il termina de nettoyer la plaie et sourit quand son chef tenta de reprendre ses phrases en anglais, répétant ce qu’il lui avait dit : c’était touchant de voir ses efforts, même s’il savait que dès qu’il serait ressorti de cette tente, Arzhel utiliserait à nouveau ‘toi’ au lieu de ‘tu’. Il était le guerrier le plus doué au combat qu’il n’ait jamais vu, mais l’élève le plus têtu qu’il lui ait été donné de rencontrer dès qu’il s’agissait de manier cette langue. Etrangement, elle l’avait passionné dès qu’il avait pu en décrypter quelques mots, et le processus d’apprentissage lui était venu très rapidement : s’il n’avait pas consacré sa vie aux armes, sans doute aurait-il pu devenir un de ces sages qu’on croisait dans certaines tribus…
Mais ce qui le toucha davantage, ce furent ces mots qu’il devinait sincères et il se laissa aller à l’embrasser, adorant le sentir lui répondre avec autant d’empressement comme si leur séparation avait duré une éternité. Peut-être avait-elle été aussi longue d’ailleurs, car lui-même reconnaissait volontiers la vague de soulagement qui s’était emparée de lui quand Arzhel avait franchi le seuil de la tente.
Il se laissa enlacer, savourant l’étreinte et la chaleur d’Arzhel, s’enivrant de lui comme d’un alcool interdit : ce genre de moment, rien qu’à eux, ne durait jamais longtemps. Un des hommes entrerait, on viendrait les demander, il y aurait un souci à régler à l’extérieur, on venait demander un conseil… Synëad respectait le rang que devait tenir Arzhel, mais regrettait parfois intérieurement que cela l’expose autant au danger et surtout lui enlève toute intimité. Ses bras se glissèrent autour de sa taille, lâchant la serviette qui tomba au sol alors qu’il plongeait son nez dans son cou, respirant cette odeur mâle qui n’appartenait qu’à Arzhel.
Puis il reprit dans leur langue afin qu’Arzhel soit plus à l’aise :

« Tu es parti trop longtemps… Dis-moi que nous n’allons pas moisir éternellement ici et que nous allons bientôt retourner à Orst. Je n’aime pas cette ville. »

Lors de nos moments d'intimité, il m'était bien difficile de ne pas me donner corps et âmes à Synëad. Il m'était encore bien plus difficile de devoir le laisser pour retourner à mes occupations. Mais par chance, nous n'en étions pas encore là. J'avais besoin de son corps contre le mien, sentir ses bras m'enlacer si fermement comme s'il me désirait uniquement pour lui-même, me cachant aux yeux du monde. J'étais à lui, son trésor qu'il convoitait tant et que personne d'autre ne pourra jamais approcher. Il y avait peut être un brin d'égoïsme dans tout cela, le fait qu'il me mette sur un piédestal me faisait vivre en quelque sorte. Je revenais sans cesse vers lui pour goûter à nouveau à ses petites attentions, à sa peau, à ses lèvres. Mon coeur d'ordinaire si souvent éteint, battait plus fort que jamais en sa présence, il devait même le sentir battre nos corps enchevêtrés l'un à l'autre.

Il m'était comme impossible de le faire taire, il semblait vouloir s'extraire de ma poitrine pour s'offrir tout entier à Synëad. J'étais peut être le grand guerrier que tout le monde connaissait, mais entre ses mains je n'étais plus qu'un simple homme cherchant la protection de ses bras et ce regard qui me faisait fondre chaque fois un peu plus. La réflexion allait loin c'est vrai, mais je vous l'avais bien dit que dans ces moments là, j'étais le plus fragile de nous deux.

Je soupirais un peu, réfléchissant à la demande de Synëad et à la réponse que j'allais lui donner. Malheureusement elle n'allait pas lui plaire et je ne savais pas trop comment lui dire pour ne pas le décevoir. Quand bien même je savais qu'il pouvait aisément deviner ce qu'il se tramait dans le nord, je devais lui en dire le moins possible pour le garder en sécurité. Je le poussais sur un fauteuil avant de m'assoir sur lui et de l'embrasser de nouveau.

« J'espérais que tu ne demanderais pas ça… mais tu as dû le sentir n'est-ce pas ? Mordh a pris la tête du Nord et cela devient bien trop dangereux pour que je t'emmène avec moi cette fois-ci. »

C'était un peu déchirant pour moi de lui dire ça, j'aurais presque pu verser des larmes si j'avais pu en être capable. A la place, je me payais un bon mal de crâne, c'était ce qu'il se passait lorsque j'étais triste. Je l'enlaçais de nouveau en chuchotant à son oreille.

« S'il te plait, ne m'en veux pas. »

Il comprenait parfaitement que la politique était importante et qu’ils ne pouvaient décemment plus vivre retirés du monde actuel en procédant comme leurs ancêtres avaient fait. Ils devaient s’impliquer pour pouvoir changer les évènements actuels et les influencer : et dans ce but-là Arzhel avait un rôle important.
Et pourtant, il rêvait intérieurement de revenir à cette époque bénie où il n’avait pas besoin de penser à cela et se contentait de s’entraîner matin et après-midi avec son chef, partait en patrouille et protégeait les siens. Quand il se contentait de vivre pour Orst et pour Arzhel. Désormais leurs vies étaient chamboulées et il s’y perdait, se raccrochant comme il pouvait à ce qu’il connaissait. Luttant pour rester aux côtés d’Arzhel et l’aider autant qu’il pouvait : il avait certes appris l’anglais et savait toujours aussi bien se battre, mais il avait de plus en plus l’impression que cela ne suffisait plus.
La tactique de son amant pour l’obliger à s’asseoir et ainsi mieux le maintenir sous contrôle ne lui échappa nullement : autant Arzhel savait généralement garder son calme quand il s’agissait d’annoncer une mauvaise nouvelle, autant Synëad avait parfois tendance à mal réagir quand cela le concernait et à avoir parfois des réactions plus violentes que ce qu’il faisait en temps normal. Et ce qui suivit fut exactement le genre de raisonnement qui avait tendance à le faire déraper.
Il déglutit en entendant son propre chef, dont il était second et en qui il aurait pourtant dû avoir confiance, lui signaler qu’il n’était pas à la hauteur et ne viendrait pas pour l’accompagner. Ses yeux s’écarquillèrent et il pinça les lèvres, se sentant soudain terriblement honteux.
Il ne réagit pas à l’étreindre, bien trop mal à l’aise pour réaliser ou même y répondre… Son échec à la montagne n’était donc pas qu’une illusion : il était faible au point qu’Arzhel ne voulait plus de lui à ses côtés. Et il ne savait pas si c’était la constatation de son propre échec ou le fait qu’Arzhel le repousse qui le terrifiait le plus.
Ses yeux se baissèrent et son regard se figea alors que la honte l’envahissait, terrible et mordante. Il était trop faible pour accompagner son chef… Trop faible pour assumer le rôle qu’on lui avait donné.

« T’ai-je déçu à ce point-là ? »

Sa voix était glaciale, si loin de ce ton chaleureux qu’il avait quand il se retrouvait en totale complicité avec Arzhel. Dire qu’il lui en voulait était un euphémisme, d’autant qu’il s’en voulait autant à lui-même qu’à son amant.

« J’ai échoué à te seconder. » ajouta-t-il d’une voix blanche.

Je voyais le désespoir dans ses yeux, la peine que je lui infligeais en ne l'autorisant pas à repartir dans le Nord. J'étais assailli entre la culpabilité de ne pouvoir lui dire la vérité et l'envie de le protéger coute que coute. Je ressentais sa déception qui me déchirait le coeur en deux, si je n'avais pas été si faible, nous n'aurions jamais eu à avoir cette discussion. Même mon étreinte n'y faisait rien, sa déception était trop grande, je me dégoûtais sur le moment, j'en avais la nausée.
Je pris sur moi, tentant d'apaiser les choses par des gestes tendres, mais les quelques mots prononçaient par mon second eurent l'effet d'un coup d'épée. Je tremblais, c'était incontrôlable, mes maux de tête reprirent de plus belle si bien que j'avais du mal à me concentrer sur ma réponse. Après quelques instants à le regarder, je pris son visage entre mes mains avant de l'embrasser.

« Tu ne m'as jamais déçu… saches que si il y a un faible sous cette tente c'est uniquement moi. Tu… tu ne comprends pas, je ne peux risquer de te perdre. Tu es un excellent guerrier, mais le jeu qui anime le Azgeda aujourd'hui est tout autre. Si je fais la moindre erreur, ils s'en prendront à toi, car tu es ma seule faiblesse, tu es tout ce que j'ai et si ils venaient à te prendre, je leur donnerais tout ce qu'ils veulent. »

Moi qui me pensais dépourvu de larme, voilà que mes yeux se mirent à briller, c'était peut être le maximum que je pouvais exprimer actuellement, mais c'était aussi une première pour moi.

« En aucun cas tu as échoué à me seconder, c'est plutôt moi qui ai échoué à être un bon chef. Tu n'es pas que mon second Synëad, tu es bien plus à mes yeux, tu es une partie de moi et la meilleure protection que tu puisses m'offrir, c'est de rester en sécurité pour le moment. Il aurait s'agit de batailles, je t'aurais de suite emmené avec moi, mais il y a une personne qu'il faut à tout pris évité au Azgeda. Je ne t'ai pas tout dit sur ce que j'ai fait par le passé, il faut que tu ai confiance en moi, sans cela je ne pourrais avancer. »

Je le serrais de nouveau, plongeant mon visage au creux de son cou.

« S'il te plait ne m'en veux pas, je ne veux pas te perdre… je ne suis pas l'homme fort que tu croyais avoir comme mentor. Au jeu de la politique, je suis bien trop fort pour ne pas envisager qu'ils puissent se servir de toi contre moi. Pardonnes moi... »

J'étais comme soulagé d'un poids lorsque Synëad accepta de me faire confiance. Sans cela je n'aurais pas pu agir pour le bien de tous, j'aurais été bloqué par le fait que mon compagnon se mette en trop grand danger et pire, j'aurais pu trahir Lexa. Je continuais de le serrer de toutes mes forces, embrassant son cou et sa joue. Il avait un pouvoir d'attraction sur moi qu'aucun autre être ne possédait et c'était tant mieux, ainsi je savais que je resterais à lui jusqu'à la fin.

« Il n'y a rien à pardonné, car tu n'as commis aucune faute, je t'aime trop pour te laisser te mettre en danger et je me sers du fait d'être ton chef pour avoir plus de poids. Si quelqu'un doit s'excuser c'est plutôt moi. »

Evidemment que j'étais honteux, je lui interdisais de faire ce que moi-même j'étais en train de faire. Comment aurais-je pu lui en vouloir, non je m'en voulais à moi et uniquement à moi. Mes mains caressèrent ses bras, remontant à ses épaules jusqu'à son visage. Il était si beau, comment aurais-je pu lui résister ? Je lui fis l'un de mes rares sourires, de la malice aux coins des yeux.

« Ne t'inquiètes pas pour cela, je te reviendrais quoi qu'il arrive, il n'y a que ta mort qui pourrait me faire commettre des imprudences. Et tu crois vraiment que j'accepterais de laisser un corps comme le tient aussi loin de moi ? Hors de question.»

A nouveau mes lèvres se posèrent sur les siennes et mon corps frissonna. Il y avait quelque chose d'électrique entre nous, comme chaque fois, il m'infligeait une espèce de décharge interne qui parcourait tout mon corps.  

« Ne t'inquiètes pas pour ça, nous avons bien assez de temps. »

Un nouveau sourire plein de sous entendus cette fois, je ne partais que dans un jour ou deux, cela dépendrait de ce que j'avais encore à faire ici avant mon départ, mais quelque chose me disait que j'allais être bien occupé.  

J'étais heureux, si tenté qu'on puisse l'être avec une épée de damoclès au dessus de la tête. Mais la présence de Synëad suffisait à me satisfaire, je m'enivrais de sa voix, de ses mots, dans la sécurité de ses bras. Je souriais encore à ses mots, sa malice arrivait toujours à me surprendre parfois et ce n'était jamais aisé de me surprendre pourtant. Mais Synëad avait quelque chose de plus que les autres et même si je ne savais pas de quoi il s'agissait, je le ressentais ainsi. Il m'attira à lui pour m'embrasser et je tentais une réponse mes lèvres collées aux siennes.

« Oh et quels genres de projets ? Il ne reste plus qu'à me séquestrer pour assouvir tes désirs alors. »

Je n'avais plus envie de bouger, je voulais rester ainsi durant des heures, ma peau épousant la sienne jusque dans les moindres recoins. Un nouveau sourire alors qu'il disait ne pas pouvoir me laisser partir sans avoir vérifié que je n'avais pas d'autres blessures et j'en avais bien d'autres en effet. Des entailles sans grande gravité, enfin de ce que je savais elles n'étaient pas infectées.

« Tu vas devoir me retirer mes vêtements alors si tu veux voir ce qu'il y a en dessous ! »

Et cette fois c'était à moi de lui lancer un regard plein de malices. Je n'arrivais même plus à penser au fait que j'allais bientôt devoir repartir dans le nord. Le Azgeda m'attendait avec tous les dangers qu'on lui connaissait et je savais pertinemment que c'était peut être ma dernière nuit avec Synëad. A la moindre erreur, Mordh risquait de ne pas me le pardonner et malheureusement je savais que j'allais devoir faire des erreurs si mes plans devaient être menés à bien.