sans jamais retrouver cette liberté ▬ Echo

Kandar était incapable de dire à partir de quand, s’il y eut un changement notoire, mais elle finit par ne plus sentir la douleur. Ni celle de son corps qui se rebellait contre son mauvais traitement, celui de ses os qui n’en pouvaient plus de rester immobiles dans cette cage. Ses muscles étaient lourds et fatigués, ses membres endormis à force de rester amorphe. Elle ne sentait plus la douleur des aiguilles dans sa peau, ne l’enregistrait plus. Parfois, même, elle ne sentait plus son propre corps, et cela aurait dû l’inquiéter plus que de raison. Mais à qui s’en serait-elle plainte ? Qui aurait pu changer quelque chose à sa condition ? Ce n’était pas avec ceux qui la vidaient de son sang qu’elle allait faire appel à la pitié. Elle avait plus d’orgueil que ça, elle préférait mourir en gardant le peu de respect qu’elle avait. Souffrir en silence, attendre son heure, c’était tout ce qui lui restait à faire.

L’homme qui était dans la cage d’à côté était mort pendant la nuit. Quand les gardes étaient passés pour s’assurer de l’état des grounders emprisonnés, il n’avait plus bougé. Son nom était Lakhman, il venait d’un village au nord d’ici, et était pêcheur. Si Kandar n’était plus aussi érodée par son emprisonnement, elle l’aurait regretté. Mais il n’était pas le premier à périr, et il ne serait pas le dernier qu’elle verrait s’éteindre. Au moins avait-il été un compagnon de discussion acceptable. Il lui avait laissé raconter la succession des hedas et il avait écouté, posant ci et là des questions. Vraiment, une oreille admirable. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à attendre qu’un autre malheureux grounder soit capturé pour venir occuper l’espace vacant. Kandar ne savait pas ce qu’elle préférait, entre ne plus jamais rencontrer quelqu’un à sa gauche, vivre de cette solitude jusqu’à ce que sa faiblesse ait raison d’elle, ou alors, qu’en effet, une pauvre âme rejoigne le grand nombre des victimes de la Montagne. La survie la rendait égoïste, mais c’était ce qui était nécessaire, surement, pour qu’elle ne perde pas la tête.

Soit, Kandar bougea un peu, se tournant vers sa droite, regardant un instant sa voisine d’infortune, Echo. Elle venait de la nation des glaces et de ce qu’elle avait compris, les faucheurs s’étaient largement éloignés de leurs zones de conforts pour l’attraper. Son second n’avait pas survécu au premier drainage. C’était il y a longtemps, en fait, toutes les deux étaient là depuis un long moment, et avaient vu passé beaucoup de grounders qui n’avaient pas survécus. Kandar se racla la gorge, passa sa langue sur sa bouche sèche, avant de parler, dans cette langue qui n’était pas la sienne, mais celle d’Echo, du Azgeda. C’était sa manière à elle de rester active, parler une autre langue, s’intéresser aux autres. C’était ce qui la rattachait à cette réalité, l’empêcher d’oublier qui elle était, malgré le piètre état de son corps. Ce n’était pas ce qu’il y avait plus important. Du moment que l’esprit restait fort, rien ne pourrait l’abattre –même si elle devait avoir une terrible mine. « Ca fait un petit temps, que ce garçon est passé. » Bellamy. Il avait livré des paroles intéressantes. Mais qui ne nourrissait en rien l’espoir de Kandar. Elle avait toujours cette rancune envers les 100, car elle avait été témoin de ce cercle de feu qui avait dévoré vivant les siens. Ce n’était pas un spectacle qui s’oubliait facilement.

Kandar en avait besoin, de faire la conversation. C’était important, pour ne pas qu’elle se perde, et qu’elle ne devienne qu’une poche de sangs pour la Montagne. Elle était tellement plus, elle était conteuse, connaissait toutes les histoires qu’il y avait à connaitre sur l’histoire de son peuple, et celles bien avant que le monde ne s’écroule. Souvent, elle se les récitait à elle-même, par peur de l’oubli que l’enfermement aurait pu provoquer. Elle ne butait sur aucun nom, elle s’en serait parfois faite violence quand ça lui échappait, mais elle revenait toujours dessus. C’était ancré en elle, et encré sur sa peau. Elle était la mémoire et elle ne s’éteindrait pas dans une cage, interdite de liberté. Mais parfois, se parler à elle-même n’était pas suffisant. Puis, il y avait tant à apprendre, de la part des autres membre du trigedakru qui avaient eut autant de chance qu’elle. Elle en avait reconnu certains, sans mal, puisqu’ils étaient les guerriers qu’elle avait accompagnés pour combattre le skaikru – qui n’était plus l’ennemi d’aujourd’hui. Et d’autres, elle faisait leur connaissance. Le tour était tombé sur Echo.

« Où veux-tu en venir ? » Kandar eut un sourire, s’appuyant sur le côté de la cage qui donnait sur celle de la fille de la nation de la glace, puis elle poussa un soupir, pour l’effet dramatique, plus que par tristesse – ça ne l’atteignait plus vraiment, maintenant. « Oh, tu es si directe. » Echo pouvait être pressée de finir la conversation, ça n’était pas le cas de la conteuse, qui s’ennuyait ferme. Alors, elle haussa les épaules par réflexes, sentant sa peau se frotter au grillage qui avait pris la température de son corps. « Nulle part, j’avais juste envie de faire la conversation. Pour ne pas avoir l’impression de finir folle de cette cage. » Il y eut cette rage qui la prit à la gorge et elle tapa du pied, comme elle le faisait à quelques occasions, pour se rassurer que cette porte ne s’ouvrirait pas de sitôt. Cette fois-ci, le soupir qu’elle poussa fut bel et bien réel et elle porte sa tête en arrière, fermant les paupières pour ne pas avoir ses yeux agressés par les néons qui les empêchaient d’avoir une réelle notion du temps. « Il s’est surement fait avoir. » Elle pinça les lèvres. « Le skaikru ne devraient pas faire de promesses qu’ils ne peuvent pas tenir. » Et c’était amer, songeant que c’était ce qui leur couterait, certainement. S’accrocher à des espoirs qui n’existaient pas. Il y avait seulement Anya et Clarke, qui étaient sortis de la Montagne. Et c’était tout. Si Clarke était encore vivante, Kandar avait cette peur au ventre, cette vérité au ventre, que son amie était bel et bien morte. Et ils finiraient tous ainsi.

En tant que prisonniers – ou de poche de sangs, au choix- les grounders n’avaient pas vraiment le luxe de choisir leurs voisins de cage. Echo n’était pas la plus bavarde, ni la plus attentive. Mais Lakhman était mort pendant la nuit et elle s’ennuyait à en mourir… enfin, si seulement. Alors oui, elle forcerait bien Echo à prononcer un mot ou deux. Même si Kandar serait celle qui parlerait le plus. Ça, c’était pas grave, elle aimait, même, parler. Elle préférait un autre contexte, mais elle avait le pressentiment que sa situation ne changerait pas sous peu. Elle tourna alors la tête vers la fille du Azgeda, souriant vaguement à son expression lasse. « Mais ils sont plus malins que tu le pense. » Ah ça… Kandar haussa les épaules, bougeant un peu dans sa cage, tentant d’étirer ses muscles fatiguées de cet emprisonnement trop long, Il n’y eut aucun soulagement en sa chair, tout juste une douleur passagère qui s’éveilla. « Je sais parfaitement de quoi ils sont capables. » De ça, elle avait pu en être témoin. Elle savait tout ce qu’il s’était passé, avant la fameuse attaque de l’armée sur la navette. Ils agissaient comme des enfants, aussi vicieux que ceux qui apprenaient, mais dotés d’une intelligence et d’un savoir qui était dangereux. Elle le savait, elle en avait été témoin. Elle leur en voulait pour ça, mais cette rancune avait laissé placer à celle dirigée contre les hommes de la montagne. Une plus utile, car c’était bien ce qui lui permettait de tenir, alors qu’elle était saignée dès que la qualité de son sang était acceptable pour ces scientifiques.

« J’ai vu un fléau de guerriers tués, brulés en quelques secondes par leurs actes. » Ah, ça paraissait si loin, cette époque. Avant que tout ne dégénère pour elle. Alors qu’elle pensait, encore, qu’elle rentrerait dans une tente de fortune, avant de continuer sa marche, de rapporter la victoire du trigedakru sur ceux tombés du ciel. Ca n’avait été qu’une illusion de plus qui tombait. Et maintenant, il y avait tous ces gens qui lui manquaient, qu’elle revoyait, parfois, dans ses rêves. Elle pensait à ses enfants, à leur père, à Curtis et Lexa. Kandar poussa un mince soupire, fermant les yeux, la frustration grondant dans son estomac. En plus d’être coincé ici, elle ratait certainement les plus grands moments décisifs de son clan, pour des années. En tant que conteuse, elle savait parfaitement qu’elle ne pourrait être témoin de tout. Et que d’une part, c’était une occasion idéale, d’être ici, d’être témoin de la montagne. Mais sa place, elle l’aurait échangé avec le premier curieux qui se montrait, sans douter une seule seconde. « Les hommes de la montagne possèdent la même technologie qu’eux. L’avantage qu’ils avaient sur nous n’est plus là. » Mais il y en avait d’autres, n’est-ce pas ? En tout cas, c’était ce que Kandar espérait, pour que Heda ait accepté de s’unir avec le skaikru.