Deux personnes ont habité mon corps. Celle qui ne connaissait pas la Nation des Glaces et celle qui la connaissait trop bien. J’ai toujours été très réservée. Je n’avais pas peur d’aller vers les autres, ce n’était pas une question de gêne ou de timidité. C’était autre chose, je ne saurais pas vraiment l’expliquer. Ça ne m’intéressait pas de parler pour parler, de discuter de la température ou du repas de la veille. Ça ne servait à rien, au fond. On s’en servait pour se distraire, pour oublier les conflits qui régnaient entre les différents clans. Ça ne marchait pas. Je préférais me concentrer sur mes entraînements. Je voulais parfaire mon savoir, être plus agile, plus rapide, plus vive. C’est là que j’ai rencontré Lexa. C’était différent, avec elle. Son côté rêveur déteignait sur moi et son sourire était contagieux. Elle possédait une force de caractère que j’enviais parfois. J’étais intelligente et plutôt débrouillarde, mais je n’avais pas cette chose qui la rendait si unique. Elle est finalement partie sous la tutelle d’une certaine Anya. Elle m’a laissée plus ouverte, plus encline aux nouvelles rencontres. J’étais sensible, trop sensible. Les larmes coulaient sur mes joues plus souvent que l’aurait voulu, je riais plus fort qu’il ne l’aurait fallu. Je laissais les émotions me contrôler et dicter mes actions. L’espionnage me permettait de mettre mes atouts en valeur et d’oublier le reste. C’est tout ce que je voulais être, c’est tout ce que je voulais que l’on voie : la discrétion, la ruse, l’intelligence. C’est tout ce que j’arrivais à aimer.
La Nation des Glaces m’a transformée, refroidie. J’ai appris à ravaler mes larmes, à effacer mon sourire. Je me suis endurcie. Les rêves qui m’avaient un jour habités, le sourire de Lexa qui avait réchauffé mon cœur, je les ai oubliés. Pour me fondre dans la masse, pour être l’un des leurs, j’ai tout effacé. Les souvenirs de Polis venaient parfois hanter mes rêves. C’était le seul moment où je pouvais y songer, où je n’avais pas à m’inquiéter qu’un sourire se dessine sur mes lèvres. On m’a appris à manier la lance, à développer ma force musculaire. Je n’avais plus peur, je possédais l’agilité et la force. Puis tout s’est écroulé. Je ne suis qu’une ombre, fragile et apeurée. Je sursaute, toujours sur mes gardes. Je ne parle presque plus. J’ai toujours cette idée, cette impression de catastrophe imminente. Je me méfie de tout, ma confiance est gardée. J’ai retrouvé Lexa et je ferai tout pour la protéger.
Parle moi de toi -
C’est un jour comme les autres, à Polis. On s’occupe comme on peut. Certains enfants courent à travers les installations de bois, d’autres sont déjà en train d’apprendre les rudiments de leur métier. Je préfère m’entraîner. Ça ne m’intéressait pas beaucoup, au départ, on m’a un peu forcé la main. Mes parents ne sont pas là pour m’apprendre autre chose. Je pense à eux, mais aucune image ne me vient en tête. Tout ce que je connais d’eux c’est ce qu’on a bien voulu me raconter. Je suis orpheline. Ils ont besoin de guerriers, d’espions, de muscles. Je suis la candidate parfaite, je ne peux pas riposter. Maintenant, je ne me plains plus. J’ai découvert mes talents, mes forces et c’est tout ce que je cherche à améliorer. Il y a beaucoup d’enfants qui s’entraînent à Polis, je n’ai donc pas de mal à remarquer le nouveau visage qui se glisse dans le groupe. Une fille, qui doit avoir mon âge. Elle a de longs cheveux bruns qui descendent plus bas que ses épaules. Ma première pensée, c’est que ce n’est pas très pratique. Je garde toujours mes cheveux près des oreilles, pas plus long que le menton. Je prends le temps de l’observer, de loin. Elle ne me remarque pas, trop concentrée sur son entraînement. Je ne sais pas ce qui me pousse vers elle, mais je m’approche tranquillement. J’ai envie de la surprendre, de mettre mes talents à l’épreuve. Je me dissimule du mieux que je peux, mes pas inaudibles sur la terre ferme.
« Je sais que tu es là. » C’est raté. Elle se retourne lentement, le sourire aux lèvres. Elle semble amusée, ce qui me gêne. J’ai vraiment besoin d’améliorer mes techniques, si je ne peux même pas passer inaperçue aux yeux d’une enfant. Même si j’ai envie de prendre mes jambes à mon coup et d’échapper à son regard, je reste immobile.
« Moi c’est Curtis… Tu es nouvelle ici, pas vrai? » C’est peut-être la phrase la plus complète que j’ai pu dire à un inconnu, comme ça. Habituellement, il fallait m’arracher les mots de la bouche. J’étais une grande amatrice des réponses courtes et monosyllabiques. Ma main se leva toute seule, tendue devant moi, paume ouverte. Je ne sais pas ce qui me prend, je ne sais pas pourquoi mon corps tient tant à aller vers elle. C’est presque plus fort que l’attraction terrestre.
« Lexa.» Elle n’en dit pas plus et serre ma main, souriant toujours. Je prends quelques secondes pour réfléchir et décide de lui faire confiance.
-----
Lexa est partie et c’est maintenant mon tour de le faire. On m’a chargée d’une nouvelle mission. Je pars demain pour la Nation des Glaces, seule. C’est une mission importante qui implique beaucoup de responsabilités, mas je sais que je suis à la hauteur. Je n’ai pas échoué une seule tâche que l’on m’a confiée jusqu’à maintenant et l’idée de partir me réjouit. Je n’ai pas particulièrement d’attache à Polis. Pourtant, je ne peux pas nier que la peur me gagne et que mon estomac se serre. Je ne sais pas combien de temps je vais passer là-bas. Ça peut être des semaines ou des mois, ça peut aussi être des années. Est-ce que je veux vraiment quitter tout ce que je connais? La réponse varie à chaque minute. L’excitation et la peur se mélangent et se fondent dans mon esprit. Je ne sais même plus si je dois rire ou pleureur. J’essaie de me ressaisir, de penser à autre chose. De toute façon, je n’ai pas vraiment le choix. Je ne peux pas refuser, je ne peux pas abandonner maintenant. C’est ce que je voulais, au fond. C’est la raison pourquoi j’ai travaillé sans relâche, à parfaire mes aptitudes. Je ne peux pas reculer. Le soleil se couche et demain approche. Je m’étends sur mon lit, les yeux grands ouverts. Le sommeil semble si loin, j’ai peine à croire qu’il pourra m’emporter. J’essaie de compter mes respirations, étudiant le rythme de mon ventre qui se gonfle et s’affaisse par la suite. J’attends demain.
-----
Herga est morte. J’ai peine à y croire. C’est elle qui m’a prise sous son aile lors de mon arrivée à la Nation des Glaces. Orpheline, elle s’est imposée comme figure maternelle. C’est le retour à la base, je redeviens la petite fille que j’ai un jour été. Je redeviens ce petit être qui n’a plus personne sur qui se moduler, qui n’a plus de chemin tracé. Pendant près de huit ans, j’ai vécu auprès d’elle. J’ai appris à être dure, j’ai appris à être forte. Sa mort m’attriste, mais mon cœur ne laisse rien passer. Les larmes ne coulent pas, elles gèleraient sur mes joues. Je ne sais plus quoi faire. Je veux partir, fuir, mais ma mission est plus importante. Les informations que je transmets au clan des forêts sont essentielles. C’est Lexa, le nouveau commandeur. Je dois me retenir de sourire en pensant à ce qu’elle est devenue. Je l’ai vu dans son regard lors de notre première rencontre. Je n’ai aucun doute en ses talents de leader. C’est aussi ce qui me permet de continuer, de supporter. C’est plus facile qu’avant, plus facile qu’au début, mais par moment, ça me déchire. Je dois seulement me souvenir de ne pas le montrer. C’est Galath qui prendra le pouvoir à la place d’Herga. Une boule se forme au creux de mon ventre. Elle est plus dure que la glace, plus terrifiante que la mort. Ses idées sont préconçues et tranchantes. Elle n’accepterait jamais l’alliance. L’idée de l’unification mourrait sous son règne. L’espoir qui m’habitait commence à disparaître. Je ne veux pas rester ici toute ma vie, je veux retrouver Polis. Je veux retrouver le sourire de Lexa.
-----
Je me suis fait prendre. J’ai été vigilante, je n’ai pas baissé ma garde une seule seconde et pourtant, je me suis fait prendre. Ma vie est en danger et mon estime personnelle anéantie. C’est la seule chose que je possédais, ma ruse, mon intelligence. Ça n’avait pas été assez. Galath me surveillait de près, trop près. Je n’ai pas été à la hauteur. Après tant d’années, j’ai échoué. Je m’en veux, mais je ne ressens pas grand-chose. Mes sentiments sont figés, inhibés.
On m’a enfermée dans une pièce noire, plus sombre que la terreur qui m’habite. Je sais que la torture m’attend, que la mort est en bout de ligne. Je me suis fait prendre, mais je ne parlerai pas. Avec un peu de chance, mon silence me ferait mourir plus vite. Je devais être forte, plus forte que je ne l’avais jamais été. Pour Polis. Pour Lexa. Pour l’unification. Je ne sais plus si c’est le jour ou la nuit, si je dois dormir ou rester éveillée. J’essaie de compter les minutes et les heures, mais je n’y arrive pas. Je ne vois même pas mes mains devant mon visage. Je suis aveugle. L’attente me rend folle. J’ai l’impression que je suis ici depuis des années déjà, alors que ça doit faire quelques minutes. Je n’ai pas de nourriture, pas d’eau. Mon seul désir est de sortir, mais je sais que le pire est dehors. Les seules voix que j’entends sont dans ma tête. Elles jacassent sans arrêt. Ma tête tourne et je m’affale sur le sol humide. J’imagine le soleil sur ma peau, le gazon glisser sous mes doigts. Je suis forte.
On me sort de la pièce brutalement, en me serrant les bras jusqu’à en former des ecchymoses. C’est ma première séance de torture et mes os tremblent et grincent. J’ai peur. On m’amène près d’un ruisseau qui ne doit pas être très profond. C’est juste assez pour me plonger la tête dedans. Une main pèse sur l’arrière de mon crâne pendant que mes bras débattent sur les côtés. Je n’ai pas pris mon souffle, je ne peux plus respirer. Je crois mourir et pendant un instant, je suis soulagée. On me tire violemment. L’air entre à nouveau mes poumons douloureux. Quelques secondes de répit et le manège recommence. La noirceur me semble invitante, maintenant.
C’est la deuxième fois qu’on m’arrache à ma tanière. La lumière du soleil pique mes yeux. Mes muscles sont crispés, mon cœur s’accélère et mes pensées s’agitent. La seule vue de l’eau me donne la nausée. Pourtant, ce n’est pas là que l’on m’amène. J’ai envie d’être soulagée, mais je crains toujours ce qui m’attend. Ce n’est que le début, ça ne s’améliorera pas. C’est là que je la vois, Costia. Je ne lui ai jamais parlé, juste observée. Je sais qu’elle et Lexa sont amies, j’imagine le pire. Elle est attachée à un tronc d’arbre, les mains ligotées derrière le dos. On me plante devant elle. Ses yeux sont humides et affichent le désespoir. J’essaie de me faire rassurante, mais mon visage de bouge pas. Je ne peux rien lui promettre, de toute façon. Je ne peux rien faire. Plusieurs lames s’enfoncent dans son corps. Le sang coule lentement sur le sol, créant un chemin jusqu’à mes pieds. Mes genoux cèdent. Les cris de Costia emplissent ma tête qui menace d’exploser. Je ne peux plus. Je ne veux plus. Quelque chose se brise en moi, je l’entends craquer. Aidez-moi.
-----
Galaath a été tuée. L’unification s’est formée. Je ne suis pas morte et je ne sais pas si c’est pour le mieux. On me retourne au clan des bois, auprès de Lexa. Je ne ressemble plus à rien, je suis un cadavre vivant. Lorsque je me retrouve face à elle, je cherche le sourire sur son visage, en vain. Ses yeux sont froids et ses traits sont durs. Elle a réussi, mais à quel prix?
-----
Que pensez-vous de l'alliance avec les sky people?« Je suis méfiante, mais à ce stade-ci, je me méfie de tout. Il m’est impossible d’avoir l’esprit tranquille, d’accepter sans douter. Pourtant, c’est la décision de Lexa et je la respecte. Je n’irai pas m’interposer. »
Que pensez-vous des sky people d'ailleurs?« Ils sont bruyants et insouciants. Ils sont illogiques, téméraires. Ils ne comprennent pas la ruse, les stratagèmes. C’est un miracle s’ils ont survécu jusqu’à maintenant. Sans ces machines automatiques, ces boules de feu, ils ne sont rien. »
Avez-vous peur des armes à feu?« J’ai peur de n’importe quelle arme qui ne se retrouve pas dans mes mains. Une arme est une menace, une promesse. Elles sont plus rapides et plus efficaces, je le conçois. C’est leur plus gros avantage et oui, je les crains, mais je sais me faire discrète. Ils ne peuvent pas m’atteindre si je ne suis pas dans leur mire. »
De la technologie en général?« On a peur de ce qu’on ne connaît pas et de ce qu’on connaît trop bien. La technologie m’effraie, parce que je ne la comprends pas. Je ne sais pas comment l’arrêter, je ne sais pas comment l’éviter. N’est-ce pas ce qui à éradiquer la Terre, il y a près de cent ans? N’est-ce pas ce que les Sky People ont fui? Je ne comprends pas comment ils peuvent encore l’utiliser, alors que ça a causé tant de morts. »
Croyez-vous vraiment que les Faucheurs puissent revenir?« Je l’espère. C’est bien une des seules choses qu’on aura apprises des Sky People. Je ne crois pas que ce soit possible pour tous les Reapers. Il faut être fort, être capable de passer à travers. Certains vont préférer la mort et vont cesser de se battre. »
Avez-vous de la famille? « Non. Je n’ai que Lexa. »
Quel est votre rôle dans le clan?« Je suis maître espionne et garde du corps de Lexa. Ma défaite dans la Nation de Glace me hante encore aujourd’hui, mais j’essaie de passer au travers. Je ne passe pas un jour sans m’entraîner, sans exercer mes atouts. Je ne serai jamais assez forte, jamais assez rusée. Je dois continuer à pousser. »
Respectez-vous le commandeur?« Autant avec ma tête qu’avec mon cœur. Je ne pourrais être plus fidèle. C’est elle qui m’a donné espoir, il y a bien des années. Je ne peux que la remercier et lui vouer mon respect. »
Je suis experte à la lance. J’ai perfectionné mon art à la Nation de Glace. Mon lancer est précis et violent. Je trimballe aussi avec moi une dague à double lame, plus utile pour le corps à corps. Mes peintures de guerre sont faites à l’encre bleue, quelques lignes près de mes yeux.
. C'que j'en penses c'est