Démêler le vrai du faux - Elise

Pour ne pas mentir, Cyan était un peu sur les nerfs ces derniers temps. En fait, son état oscillait entre la crise de nerfs et la flegme la plus absolue. Et ces deux états là, ils la fatiguaient aussi bien physiquement que moralement. Ça se voyait bien grâce aux supeeerbes cernes en dessous de ses yeux, tellement visible qu'on pourrait presque croire à du maquillage. Et pourtant, elle aurait préféré que ce soit ça, du maquillage. Parce que là, elle ressemblait un peu à quelqu'un revenu des tréfonds de la mort. Déjà que le teint pâle aidait pas particulièrement...

Alors non, elle n'appréciait pas qu'on la bouscule dans les couloirs accidentellement. D'abord, elle était certaine que ce n'était pas accidentel du tout. Eh, elle n'était pas naïve okay ? Pas la peine de tenter de la prendre pour plus bête qu'elle ne l'est. Parce que Cyan est loin d'être bête. Et ce n'est pas ce petit "pardon" murmuré du bout des lèvres par ce gars l'ayant bousculé qui allait la berner, loin de là.

Aujourd'hui, Cyan savait ce qu'elle allait faire. Oui, c'est assez étonnant qu'elle ait une idée précise de ses projets, mais ça faisait maintenant quelques jours qu'elle y pensait, alors la jeune femme commençait à se dire qu'il fallait qu'elle passe à l'acte. Parce que si elle ne le faisait pas alors qu'elle ressentait une once de motivation, elle ne le ferait très certainement jamais.

Il y avait cette femme, Elise Heath, une de celle qui s'occupait des animaux. Cyan avait toujours eu des doutes à son sujet, peut-être un peu injustement. Parce que Elise elle avait eu une sœur, dont Cyan ne parvenait pas à se souvenir du nom, et que cette sœur avait fait partie des rebelles. Et Cyan, elle se méfiait de tout (et de rien), alors elle n'avait jamais pu s'empêcher de penser que si ça se trouvait, Elise aussi elle était passé du mauvais côté. Qu'elle pouvait encore être une menace, même à l'heure actuelle.

Jusqu'ici, Cyan avait réussi à modérer ses pensées. Elle n'avait jamais émis le moindre soupçon à voix haute, même si elle y pensait très fort. Mais depuis un petit bout de temps, elle avait remarqué quelque chose pendant une de ses observations discrète de l'autre jeune femme. Cette dernière semblait s'être trouvée un certain intérêt envers Rhodàn Andersen ( qui est une femme que Cyan cherchait plutôt à éviter pour le moment, pour être honnête ). Et Cyan avait beau avoir réfléchi, elle n'en n'avait pas trouvé la raison. Elle qui d'habitude n'aimait pas trop se mêler des affaires des autres, histoire que rien ne lui revienne dans la figure, elle avait quand même trouvé ça particulièrement louche. Si ça avait été quelqu'un d'autre, sûrement qu'elle aurait laissé couler. Elle ne l'aurait sans doute même pas remarqué. Mais là.. Il s'agissait d'Elise.

Et c'est ainsi que Cyan s'était retrouvée devant la porte de là où vivait Lizz, parce qu'elle l'avait déjà vue entrer et sortir d'ici alors la conclusion était que la blonde vivait ici. Elle comptait bien savoir ce qu'elle fabriquait. Quitte à devoir jouer à l'inspecteur. S'il s’avérait que Cyan avait vu juste... Oui, elle verrait bien en temps voulu. Elle était là depuis déjà quelques minutes, en fait. Alors, toquer ou pas toquer ? Ah, elle avait pas fait ce chemin pour rien quand même ? Ok, elle n'avait pas eu tant de chemin à faire. Soit. Mais bon, maintenant, elle était ici, et pour une raison bien particulière. Alors Cyan toqua à la porte, plusieurs fois, pas très fort. Elle n'avait plus qu'à espérer que Lizz soit chez elle, maintenant.

Lizz repensait au déchet humain qu’elle avait quitté la veille. Rhodan avait sombré dans l’alcool au lieu d’assumer ses fautes et elle avait trouvé ça risible, la jeune blonde. Autant pour le héros de la montagne qui avait sauvé les pauvres grounders du joug de Cage (autant pour la peste qui avait mis un terme à leur manière de survie depuis plus de 100 ans). Comme quoi, malgré les changements incessants que subissait le Mont Weather depuis l’arrivée des Archéens, il y avait des éléments, éternels, qui ne changeaient pas : Rhodan restait un déchet. Et aussi agaçant que cela l’était aux yeux de Lizz, elle était incapable de se détourner du traitre, car elle était la seule constante, la seule à laquelle elle était réellement attachée (autant que ça la tuait, car incapable de se détourner du soldat). Elle devrait se faire une raison, l’enfant qui avait grandi. Et peut-être, justement, que c’était ce côté enfant qui l’empêchait de ne plus jamais croiser la route de Rhodan.

Ce matin, elle avait voulu passer voir son ainée, pour lui vider un seau sur la tête et lui faire payer les actes de la veille. Mais à son grand étonnement – à sa grande colère aussi – elle avait entendu deux voix sortir du logement de Rhodan. Alors, Lizz s’en était détournée, partagée entre l’amertume et la rancœur. Elle erra, incapable de retourner dans la section élevage, car toujours interdite de s’y rendre. La marque était encore visible sur sa joue brulée, rougeur discriminante. Elle n’en avait que faire des regards des autres, car elle les ignorait, son attention fixée sur ses pieds, les mains enfoncées dans ses poches, n’écoutant pas les murmures qui se faisaient. Elle rencontra deux Archéens qui lui demandèrent son identité et sans les regarder, elle pointa son badge qui restait accroché sur sa poitrine. Pour tuer le temps, elle songea à se blesser, avoir une excuse potable pour se rendre à l’infirmerie. Finalement, même si la lame de son cutter la démangeait, elle songea à une solution plus saine. Elle prétendit que sa joue lui faisait encore mal et l’infirmier qui s’occupait d’elle l’ausculta, échappant un « tu sais, avec la moëlle, tu n’aurais pas ce problème. » Ca avait tourné en engueulade et finalement, presque satisfaite de la tournure qu’avait prise sa journée, elle s’était rendue jusque chez elle, prête à affronter la solitude de son petit logement.

C’était sans compter sur une surprise de taille, alors qu’elle vit une étrangère sur le pas de sa porte. Ce n’était pas totalement une inconnue, puisque ici tout le monde se connaissait. C’était Harrell, l’une des informaticiennes. Que pouvait-elle lui vouloir ? Elle fronça les sourcils et sa voix un peu rauque s’éleva. « Qu’est-ce que tu veux ? » C’était légèrement hostile, typique chez Lizz qui rencontrait une autre forme de vie à 23 paires de chromosomes.

Au début, il n'y avait pas eu de réponse. Cyan avait froncé les sourcils, et avait attendu quelques secondes avant de recommencer à toquer. Peut-être qu'elle n'était pas là pour le moment. Ou alors peut-être qu'elle dormait. Ou alors elle ne voulait pas ouvrir. Hah, pas moyen de savoir. La femme soupira. Elle n'avait peut-être pas eu tant de chemin à faire que ça, elle avait quand même pas mal réfléchi et c'était embêtant de faire des efforts pour rien, même quand il ne s'agissait que d'efforts faits mentalement.

Mais heureusement pour elle, elle n'eut pas à faire plus d'efforts. Elle n'eut qu'à tourner la tête quand elle entendit une voix, voix qu'elle n'était même pas sûr d'avoir déjà entendu une fois, d'ailleurs. Si Elise fronça les sourcils, Cyan haussa les siens. C'est vrai ça, qu'est ce qu'elle lui voulait ? Cyan n'allait tout de même pas lui sortir quelque chose du genre « JE VEUX QUE TU ME DISES CE QUE TU PRÉPARES, SALE FOURBE ». Non, ça ne le ferait pas. On l'enfermerait très certainement. C'était pas le but. Il allait falloir qu'elle trouve une manière de s'exprimer assez clairement sans pour autant froisser Elise.

« J'aurais aimé te parler, de quelque chose que j'ai en tête depuis un certain temps. »

Elle s'adossa au mur qui faisait face à la porte. Si elle paraissait décontractée, peut-être que la blonde se montrerait plus coopérative qu'elle ne pourrait. Ou alors, Cyan se trompait sur toute la ligne et cela agacerait Lizz. Après tout, Cyan ne la connaissait pas vraiment. Que de nom, et de loin. Les suppositions qu'elle avait, eh bien... Ce n'était exactement que des suppositions. Elle aurait peut-être du réfléchir à un plan, une manière et un ordre d'étaler ses propos, peut-être. Prions qu'elle ne s'emporte pas.

« Si tu le veux bien, bien sûr. Je ne fais pas ça pour t'embêter, j'ai juste quelques questions. »


Comme cette marque sur sa joue, par exemple. Marque que maintenant qu'elle la voyait d'assez proche, Cyan ne pouvait s'empêcher de fixer. Elle n'avait pas spécialement honte, non. Avait-elle été dehors, et s'était-elle blessée d'une manière ou d'une autre ? Ah, Cyan n'étais pas au courant de ceux qui avaient accepté de prendre de la moelle. Elle savait juste qu'elle n'en n'avait pas pris, et qu'elle n'était pas prête à en prendre. Il faudrait qu'elle se prenne un autre bon gros coup sur la tête, pour ça. Et elle ferait attention à ce que ça, ça ne se reproduise plus.

Lizz n’aimait pas ça, les gens devant sa porte (les gens tout court non plus, elle n’aimait pas ça, mais c’était une longue histoire). Elle avait trop de souvenirs des visites de sécurités de la part des gardes, pour s’assurer qu’elle n’avait rien à voir avec les rebelles. Ça ne s’était jamais arrêté et, quelque part, elle supposait que ça ne s’arrêterait jamais. Lizz avait abandonné l’idée de vivre libre et elle vivait mieux ainsi, en fait. Persuadée que sa vie ne serait qu’une succession de contrôle, de fuite de l’autre et de prendre soin de ses animaux. Autant dire que, ces derniers jours, tous ses repères étaient bousculés. Il n’y avait eu aucune fouille de son logement, elle était tenue à l’écart de ses animaux et surtout, elle se rendait régulièrement chez Rhodan. Ca ne lui ressemblait pas, mais une fois encore, qu’est-ce qui pouvait l’être, dans un Mont Weather qui avait été ouvert, avec de la moelle qui se donnait à qui le désirait. C’était incompréhensible. Tout comme l’était la présence de Harrell juste devant sa porte.

« J'aurais aimé te parler, de quelque chose que j'ai en tête depuis un certain temps. » Lizz se renfrogna un peu plus, et cela fut visible dans les petits plissements de son nez, la noirceur qui surgit dans le fond de son regard. Regard qu’elle ne posait que sur l’épaule de Harrell, refusant d’établir un contact visuel plus approfondi. Elle n’était pas à son aise, mais ça ne l’empêcherait pas de se montrer désagréable. C’était sa première nature, et la jeune femme qui osait l’interrompre dans ses pérégrinations tranquilles allait bien comprendre à qui elle avait affaire. « Si tu le veux bien, bien sûr. Je ne fais pas ça pour t'embêter, j'ai juste quelques questions. » Lizz poussa un soupir et se gratta la cicatrice sur son avant-bras, encore fraiche, rosâtre qui contrastait avec son teint blafard. « Non, je ne veux pas. » C’était clair, net, tranchant. Et ça restait distant, hostile. Il n’y avait rien qui prêtait à l’invitation, car Lizz était ainsi, un bout de rancune et de méfiance.

Après tout, elle ne connaisait Harrell ni d’Eve, ni d’Adam, bien que celle-ci connaissait surement quelqu chose à son sujet, si elle avait pris la peine de venir jusque chez elle et de proclamer qu’elle avait une série de questions à lui poser. Mais à présent que le régime de Cage était tombé, et qu’ils étaient au moins des Archéens, Lizz ne se plierait plus jamais aux interrogations de personnes trop investigatrices. Alors, sur un dernier regard elle reprit sa route, sortant la clé qu’elle tenait déjà entre ses doigts, qui étaient enfoncé dans sa poche.

Cyan, elle n'avait jamais vraiment eu de remords lorsqu'elle réalisait qu'elle embêtait quelqu'un. Parce qu'elle ne le faisait généralement pas exprès, alors elle ne voyait pas d'utilité à s'excuser pour quelque chose dont elle ne se sentait pas responsable, et encore moins coupable. Dans le cas présent, elle avait réalisé assez vite que sa présence n'était pas des plus plaisantes pour Lizz. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas le constater. Pourtant, Cyan n'avait pas envie de rester dans le doute pendant plus longtemps qu'elle ne l'avait été. De toute manière, qu'elle ait raison ou non, ça n'aurait plus d'incident sur leur vie, maintenant.

Ah. Eh bien, voilà qui était clair. Ça n'invitait aucune réponse. Cyan ne s'y était pas attendue, à vrai dire. Et voilà ce que c'est d'agir sans plan, on n'est pas préparé à tout ce qui peut se passer et là bam, on se prend un mur en plein dans la face. C'est vraiment l'impression qu'elle avait, en fait. Se prendre un tel refus, c'est pas tout les jours que ça arrive. Surtout que ce n'est pas tous les jours que Cyan daigne adresser la parole à quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Alors elle resta plusieurs secondes sans bouger, sans même cligner des yeux. C'est quand ses yeux commencèrent à piquer qu'elle se dit qu'elle devait sortir de cet état semblable à celui d'un légume. Elle n'aurait pas du se laisser surprendre comme ça, mais bon, faut avouer que lorsqu'on arrive, plein d'entrain et prêt à tout pour obtenir des réponses à ses questions, ça fout quand même un sacré coup de se prendre un stop aussi rude. Mais soit. Si Elise avait refusé tout dialogue, c'est certainement qu'elle avait quelque chose à cacher. Mais oui, c'est évident ! Rah, elle savait bien qu'elle n'aurait pas du se laisser décourager juste pour un non. Rien ne l'empêchait d'insister. C'était pas très sympa, en effet, mais est ce que quelqu'un doutait du fait que Cyan soit tout sauf sympa ?

Elle n'était pas non plus méchante, alors elle ferait de son mieux pour rester calme et ne pas trop froisser la blonde, même si elle avait l'impression qu'elle avait déjà franchi la deuxième étape. Elle se mit à marcher alors que Lizz était près de sa porte de manière à se mettre dans le chemin. Ah, si elle avait été Lizz, elle se serait collé une baffe. Mais elle était toujours elle même, alors elle n'avait rien à craindre pour sa joue.

« Je vais me permettre d'insister. Je suis sûre que ça ne durera pas longtemps, mais j'aimerais bien passer le restant de mes jours sans ces questions qui me tordent l'esprit quand j'essaie de dormir. »

Bizarre, elle sentait qu'Elise se ficherait totalement de ce détail. Bah, si ça pouvait lui faire perdre son temps...

« Et puis le fait que je te pose des questions ne changera rien, je sais garder ce que je sais pour moi. »

Pour le moment. Si jamais il y avait une nouvelle guerre qui éclatait un de ces quatre, tout type d'information pourrait être utile.

« Et sincèrement, je suis quelqu'un de borné. Si j'ai pas ce que je veux, je continue jusqu'à l'avoir. »

Et c'était vrai. Elle avait déjà beaucoup trop attendu pour agir, maintenant elle comptait bien obtenir les réponses. Mais quelque chose lui disait que ça ne serait pas aussi facile qu'elle ne l'aurait voulu.

Le dégoût lui tira une friction vive, un tremblement dans tout son corps, alors que Harrell se plaçant devant elle pour lui bloquer le chemin. Lizz, fondamentalement, n’était pas une personne violente (ça, c’était seulement envers elle-même, et envers un cas particulier auquel elle ne voulait pas penser présentement), il n’y avait qu’à voir comment elle se comportait en présence des animaux. Pourtant, à cet instant, il y eut une tension, qui n’attendait que le bon moment pour éclater. C’est qu’elle était tenace, la Harrell… Ah, tellement détestable Parle pour toi. Elle aussi, elle n’était pas un enfant de cœur, mais elle ne s’en était jamais cachée. Surtout, elle ne venait pas harceler de manière totalement hasardeuse d’autres habitants. « J'aimerais bien passer le restant de mes jours sans ces questions qui me tordent l'esprit quand j'essaie de dormir. » Elle haussa un sourcil, Lizz, alors que le reste de son visage se refermait complètement, seul l’agacement profond visible sur ses traits.

Elle tenta un pas sur la gauche, qui fut à nouveau devancé par Harrell. L’enfant qui avait grandi trop vite serra ses doigts sur ses clés, enfonçant le métal froid dans la paume de sa main, se concentrant sur la fraicheur de celle-ci, pour détourner sa fureur grandissante avec la jeune informaticienne. « Je sais garder ce que je sais pour moi. » Est-ce que c’était un ‘tu peux me faire confiance’ ? C’était une plaisanterie, c’est-ce ? Lizz détourna son regard de ce point d’épaule de Harrell qu’elle ne quittait pas (ça n’était pas son habitude d’aimer les contacts visuels, ni aucun type de contact, elle n’allait pas commencer aujourd’hui), pour s’intéresser à ce qui se passait dans le couloir. Est-ce que quelqu’un les voyait, les observait ? Il y eut encore plus de vent qui fut brassé par l’immonde bouche de la brune et, finalement, une accalmie.

Lizz reposa son attention sur celle qui la dérangeait parfaitement. « Tu tournes beaucoup autour du pot, c’est agaçant. » C’était un euphémisme. Si la blonde n’avait pas eu les contacts avec les autres en horreur, elle aurait déjà eu sa main appuyée sur la gorge de Harrell pour la faire taire. Mais encore une fois, Lizz n’était pas réellement violente. Pas physiquement en tout cas. « Je ne sais pas ce que tu t’imagines à mon propos, pour que ça t’empêche de dormir, je m’en fiche éperdument. » Et finalement, le bleu de son regard, irritable, fâché, se posa sur les prunelles de Harrell. « Maintenant dégage. » C’était un ordre. Si son interlocutrice voulait jouer à celui qui avait l’esprit le plus fort, elle allait se heurter à un réel défi. Après tout, en face d’elle se tenait la fille qui s’était voilée la face pendant plus de dix ans. Qui pouvait vaincre ça, à part Rhodan ?