The suffering gon a kru [Heather]

Je jette un énième coup d’œil furieux à l’horloge murale, cette fichue aiguille n’a pas bougé d’un pouce et ça m’arrache un soupir agacé. Les quinze prochaines minutes s’annoncent terriblement longues. Je m’ennuie, j’agis comme un automate et j’ai à peine conscience de mes gestes tandis que j’enfourne un plat. J’ai hâte de quitter les cuisines et je n’ai qu’une seule envie : me réfugier sous ma couette avec un bon livre entre les mains pour combler mon besoin d’évasion. Ma sortie de l’autre jour ne m’a pas vraiment vaccinée, je ne peux pas me résoudre à accepter cette existence morne et sans intérêt que nous vivons dans la montagne. Oui, je me suis bêtement mise en danger et j’ai bien cru que j’allais y passer mais cette petite escapade dans la forêt n’en était pas moins extraordinaire. La hauteur des arbres, le vent dans mes cheveux, l’odeur des pins, l’herbe sous mes pieds, la clarté du jour et toutes ces couleurs… L’extérieur me manque. Mais après ma petite mésaventure, je me suis jurée – et je l’ai promis à ma mère, qui s’est fait un sang d’encre en remarquant mon absence – que je ne sortirai plus toute seule.

Quand je suis enfin libérée de mon service en cuisine, je me dirige machinalement vers les résidences. En chemin, on me lance des regards curieux et ce n’est qu’après un moment que je réalise que je porte toujours un filet dans mes cheveux. Je le retire avec un soupir et continue ma route en rêvassant, soulagée que ma journée de travail soit terminée. J’arrive finalement dans le couloir qui mène au petit appartement que je partage avec ma mère et je mets une bonne minute à me rendre compte que la personne en face de moi est une étrangère. Pourtant, tout indique que la jeune femme ne vient pas d’ici : la combinaison de décontamination, sa démarche un peu étrange, et finalement sa façon de parler lorsqu’elle s’adresse à moi. A moi ? Je me retourne pour vérifier qu’il n’y a personne derrière moi et je me sens tout à coup bien ridicule, à triturer mon filet à cheveux que j’ai toujours dans les mains avec mon air tout étonné. Mais je me ressaisis, je lui adresse un sourire amical et la salue à mon tour avec enthousiasme. « Bonjour ! » Elle me dit alors qu’elle cherche Rhodàn et je grimace malgré moi, déçue pour la jeune femme face à moi.

« Elle n’est pas là, je crois qu’elle est sortie… »

Je n’en suis pas tout à fait sûre mais il me semble bien l’avoir aperçue, un peu plus tôt dans la journée, qui quittait la montagne. Je passe nerveusement une main dans mes cheveux, embêtée pour l’étrangère qui a sûrement dû faire du chemin et se plier à la décontamination pour rien.

« Mais je peux peut-être vous aider ? »

Je ne suis qu’une petite apprentie cuisinière, je ne pense pas pouvoir faire grand-chose pour elle mais je lui propose tout de même mon aide, sait-on jamais. Je lui tends la main, pas certaine qu’elle sache quoi en faire – je ne connais rien de leurs coutumes – et lui souris chaleureusement.

« Je m’appelle Heather. »

La jeune femme me semble moins intimidante que Sethen mais c’est sûrement parce qu’elle n’a pas d’armes sur elle et qu’elle est vêtue « normalement ». Elle se présente à son tour comme étant Asrid de la nation de glace, ce qui ne me parle pas vraiment puisque je ne connais rien aux différents clans des grounders. Je retire ma main toujours tendue qu’Asrid ne semble pas vouloir serrer, un peu mal à l’aise. Ce n’est pas de sa faute, elle non plus ne sait rien de nos coutumes, mais je me sens quand même un peu ridicule sur le coup. Je suis un peu surprise lorsqu’elle m’explique que c’est difficile pour elle de comprendre l’anglais puisqu’elle s’exprimait tout à fait correctement jusque-là.

« Oh … Je suis désolée, je ne parle pas le … votre langue. »

Je lui fais une petite moue confuse. Je n’avais même pas pensé que ça puisse être la même chose de son côté et ça m’embête un peu, ça va être difficile de se comprendre l’une l’autre. Je suis sûre que Rhodàn se serait bien mieux débrouillée que moi pour répondre à ses questions… puisque c’est pour cela qu’elle est ici. Je hoche doucement la tête, c’est bien normal qu’elle cherche à en savoir plus sur la montagne et ses habitants. Après tout, elle aussi doit me trouver un peu bizarre et être intriguée sur notre façon de vivre enfermés dans un bunker depuis toutes ces années.

« J’y répondrai avec plaisir ! »

Je suis normalement un véritable moulin à paroles mais avec Asrid, je fais attention à bien articuler d’une voix claire et je parle assez lentement pour lui faciliter la tâche. Néanmoins, j’espère ne pas lui donner l’impression de la prendre pour une attardée…

« Que voulez-vous savoir ? »

Je pense pouvoir lui répondre aisément concernant notre mode de vie en général mais j’espère très fort qu’elle ne me posera pas de questions sur l’histoire du Mont Weather – j’ai toujours trouvé ça barbant et je n’écoutais pas vraiment à l’école – ni sur nos tactiques militaires ou quelque chose de ce genre-là que j'ignore totalement.

La curiosité d’Asrid me paraît tout à fait naturelle, je crois que ça me plairait bien aussi de voir où les grounders vivent et ce qu’ils font de leurs journées. Mais je me vois très mal débarquer dans l’un de leurs villages pour demander à l’un d’entre eux de me faire faire une visite guidée… La jeune femme que j’ai en face de moi n’est pas du tout agressive mais je sais que c’est loin d’être le cas pour le reste de son peuple. Nous sommes tellement différents les uns des autres, c’est normal qu’elle veuille en savoir plus. Je hoche la tête, un sourire sur les lèvres, lorsqu’elle me remercie chaudement. Elle me demande alors de lui parler de la vie ici, au sein de la montagne.

« D’accord ! Voyons… »

Je réfléchis à ce que je pourrais lui raconter qui serait susceptible de l’intéresser. Sa demande est plutôt vague et je ne sais pas bien par quoi commencer… D’autant plus qu’en ne parlant pas la même langue, je vais avoir beaucoup de mal à lui expliquer certaines choses. Asrid me suggère de lui montrer en même temps pour l’aider à comprendre, je n’y avais même pas pensé !

« Bonne idée, je vais vous faire visiter, ce sera plus simple ! »

Et puisque nous nous trouvons dans les quartiers résidentiels, autant commencer par ici ! Ce n’est pas forcément ce qu’il y a de plus intéressant à voir mais bon… Je sors une clé de ma poche et me dirige vers la porte qui mène au petit appartement que je partage avec ma mère. Une fois ouverte, je fais un pas sur le côté et je fais signe à la jeune femme d’entrer avant moi.

« Voilà, c’est ma maison. C’est ici que l’on passe du temps en famille après notre travail. »

Ce n’est pas le grand luxe, le salon est même plutôt petit. Il y a un canapé dans un coin et une table avec des chaises de l’autre côté de la pièce, mais c’est suffisant pour deux personnes. Heureusement, ma mère n’est pas là à cette heure de la journée, je crois qu’elle me tuerait si elle me voyait laisser entrer une inconnue chez nous. J’ouvre ensuite la porte de ma chambre pour la montrer à Asrid, même s’il n’y a pas grand-chose à voir à part le lit et une commode.

« Et ça, c’est ma chambre. C’est ici que je dors ! »

Le tour de l’appartement est vite fait, il ne me reste plus que la petite salle de bains à lui montrer. Mais je lui donne d’abord le temps de tout voir et de me poser ses questions si elle en a.